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Sciences
économiques et politiques.
La BCE et le rachat des dettes
souveraines.
Jean-Paul
Baquiast et Joseph Leddet 24/01/2015
La
Banque centrale européenne a annoncé
jeudi 22 janvier, par la bouche de son président
Mario Draghi, qu'elle s'était enfin
résolue à faire ce que beaucoup
d'économistes et d'hommes politiques
demandaient depuis longtemps: racheter avec
des euros créés à cette
fin une partie des dettes souveraines des
Etats (eurobonds ou assouplissement quantitatif).
Le montant annoncé est de 1.100 millions
d'euros sur 1 an, soit 60 milliards par mois
jusqu'à fin septembre 2016, durée
éventuellement susceptible de prolongation
(Voir notre brève d'actualité
du 22/01
Les achats d'obligations souveraines seront
réalisés au prorata de la répartition
de chaque pays du capital de la BCE, ce qui
favorisera les grands Etats (Allemagne 26%,
France 20%). Un montant plus faible sera consacré
au rachat des dettes des plus petits pays
comme la Grèce (3%). Ils concerneront
les obligations des seuls États membres
de la zone euro et des Institutions européennes.
Les rachats se feront par l'intermédiaire
des banques centrales nationales. Pour la
France, ce seront 220 Mn qui seront rachetés,
soit environ 4 années d'impôt
sur le revenu. Rappelons que le budget français
de l'Etat pour 2013 représentait 386
milliards d'euros de recettes et 455 milliards
d'euros de dépenses, soit un déficit
de 69 milliards d'euros, ou 3,3 % du PIB.
L'apport de la BCE sera donc équivalent
au 2/3 des recettes budgétaires.
Le
fait que la BCE rachète sur le marché
secondaire les bons du Trésor des Etats
membres de la zone-euro, même pour des
montants élevés, et même
pour les emprunts nouvellement émis,
ne réduit en rien le montant de la
dette de ces Etats; au contraire, elle facilite
son maintien, voire son développement;
donc le poids de la dette ne diminuera pas,
bien au contraire, même si son taux
d'intérêt reste contenu. La Dette
demeure mais c'est la BCE qui en devient créditrice.
S'il
avait été possible d'alléger
réellement la dette des Etats (par
exemple sous la forme d'un prêt non
remboursable de la BCE à ceux-ci, fut-ce
pour un montant plus faible, l'effet favorable
aurait été bien plus grand.
Lorsque l'on sait que le ministère
des finances français est actuellement
à la recherche d'économies nouvelles,
pour environ 3 milliards d'euros, ou que les
mesures actuellement envisagées pour
renforcer les moyens de lutte contre les attentats
seraient d'environ 1 milliard, on pensera
qu'un apport de la BCE sous la forme indiqué
ici permettrait de faire face à ces
besoins.
Mais
le rachat des dettes ne correspond pas immédiatement
à des recettes budgétaires nouvelles.
D'une part la BCE ne rachètera sur
le marché secondaire (autrement dit
le marché des actifs déjà
existants) que 25 % du montant de chaque émission
obligataire des différents États.
D'autre part, les sommes consacrées
à ces rachats permettront de diminuer
la charge de remboursement correspondant à
des dépenses déjà faites
et non à financer des dépenses
d'investissement nouvelles. Les sommes fournies
par la BCE ne permettront donc pas d'augmenter
directement le montant des investissements
productifs tant des Etats que des entreprises.
A
terme cependant, si les Etats savent se servir
de l'aisance ainsi obtenue non pour augmenter
leurs dépenses improductives mais pour
augmenter les dépenses considérées
comme productives, l'opération permettra
non seulement à court terme de lutter
contra la déflation en relançant
le processus général de dépense,
mais à moyen terme, de relancer des
investissements productifs grâce notamment
à une reprise modérée
de l'inflation, encourageant les entreprise
à investir.
Rappelons
que nous avions proposé ici que la
BCE achète des obligations émises
par un ou plusieurs fonds d'investissement
européens, destinées à
couvrir de grands besoins industriels ou de
recherche communs, par exemple dans le domaine
des nouvelles énergies ou de la lutte
contre les effets du réchauffement
climatique. Nous en sommes loin pour le moment.
Beaucoup d'analystes font valoir que, puisque
les apports d'euros ne seront pas spécifiquement
orientés vers des investissements,
ils pourraient contribuer à augmenter
les sommes déjà trop importantes
consacrées par les agents économiques
à des spéculations dangereuses
et dont ne bénéficie pas le
reste de l'économie.
Cohésion
de l' Europe ?
Cependant,
il faut reconnaître que la décision
de la BCE va dans le bon sens. La preuve en
est qu'elle a suscité de nombreuses
objections de la part du gouvernement allemand,
craignant que les Etats les plus dispendieux
n'en profitent pour ne pas faire de réformes,
engageant des dépenses dont l'Allemagne
aurait supporté seule la charge.
Sur
ce point, à la suite de négociations
laborieuses, la Chancelière Merkel
s'est vu donné partiellement raison,
du fait indiqué ci-dessus que les rachats
d'obligations ne se feront pas au bénéfice
d'une dette partiellement mutualisée
des Etats, comme l'appartenance à la
zone euro aurait pu le recommander, mais par
Etat compte tenu de sa part dans le capital
de la BCE. Seuls 20% des dettes pourront être
mutualisés, au bénéfice
des Etats les plus petits ou les plus faibles.
Autrement dit, seuls 20% des achats d'actifs
supplémentaires seront soumis à
un régime de partage des risques, comme
l'a expliqué Mario Draghi, limitant
ainsi le degré de solidarité
entre contribuables européens.
Au
plan du marché des changes, les décisions
de la BCE ont entrainé une baisse de
l'euro par rapport au dollar et au yuan. Pour
un pays comme la France, ceci bénéficiera
à ses exportations, tandis que, important
peu, notament peu de pétrole grâce
au nucléaire, son budget de dépense
ne devrait pas augmenter sensiblement.
Faut-il
comme certains l'ont fait, considérer
que la décision de la BCE s'apparentait
à une attaque contre le dollar et l'économie
américaine? Certainement pas, les économies
européennes et américaines sont
(malheureusement) trop imbriquées pour
que de tels effets se fassent sentir. Les
investisseurs américains ne s'y sont
pas trompés. Au Forum de Davos, un
certain Laurence Finkchef, vice président
du fonds spéculatif américain
BlackRock, a déclaré que les
financiers avaient eu raison de faire confiance
à Mario Draghi: We've seen
over the last few years you have to trust
in Mario. The market should never, as we have
seen now, the market should not doubt Mario.
Concernant
l'avenir de la zone euro, certains commentateurs
font valoir que l'opération de la BCE
rompt l'unité des pays de la zone.
Non seulement l'euro en serait affaibli, mais
certains de ces pays (on pense ces jours-ci
à la Grèce) pourraient décider
de sortir de l'euro, sinon de l'Union. Ils
seraient sans doute suivie par les pays latins
et la France, laissant l'Allemagne régner
avec ses alliées d'Europe centrale
sur une Europe reconstituée à
son profit. Ce serait alors le danger d'une
Grande Allemagne (Großdeutschland ),
qui ressurgirait. Plus généralement,
la disparition de l'euro réouvrirait
une grande porte au profit de la domination
du dollar.
Mario Draghi s'est dit conscient du risque.
Il a promis que la BCE coordonnerait les rachats
de façon a sauvegarder l'unicité
de la politique monétaire de la zone
euro. Pour notre part, nous pensons que, bien
que Draghi ne soit pas entièrement
fiable, compte tenu de ses sympathies américaines,
lui et la BCE, comme la majorité des
Etats membres de l'eurozone s'efforceront
sauf catastrophe de préserver celle-ci.
En France, ceux qui prêchent la sortie
de l'euro font selon nous un très mauvais
pari. Cette sortie ferait directement le jeu
de Washington et indirectement celui des résurgences
d'un nationalisme allemand.
Post
scriptum. Notre ami Joseph Leddet
propose les compléments suivants, dont
nous le remercions.
- primo, l'idée
d'un fonds d'investissement européen
stratégique financé par la dette
me paraît à la fois irréaliste
et inopportun, car cela reviendrait à
augmenter encore davantage les impôts
des ménages et des entreprises; il
faudrait au contraire le financer soit par
des partenariats "public/privé",
lorsque le service rendu est susceptible de
générer des rentrées
financières, soit carrément
par des subventions de la BCE de type "planche
à billets", non remboursables
par les Etats, de manière à
les rendre indolores; ces subventions auraient
alors , dans le bilan de la BCE, le qualificatif
de "contribution à l'économie
collective", et leur valeur comptable
ne serait pas révisable (il faudrait
bien entendu que leur enveloppe reste limitée
à un pourcentage raisonnable du PIB,
pour ne pas trop gonfler la masse monétaire);
- secundo , les dernières mesures prises
par la BCE confirment l'indépendance
de son état-major face à l'Allemagne;
elles vont dans le bon sens, par leur côté
libéral et en donnant un rôle
spécifique à chaque banque centrale
nationale pour le rachat des dettes de son
pays; à cet égard, l'attitude
de M. Draghi doit être saluée;
il sert le bien collectif de l'Europe, à
la différence de son prédécesseur
que l'on peut tenir par son inaction comme
principal responsable en chef de la crise
de la dette grecque et de la zone -euro de
2009/2010....
Cela
étant, je reste persuadé qu'on
ne relancera l'activité de l'Euro-zone
qu'en injectant directement de l'argent de
la BCE vers les agents économiques
de base, PME et ménages, via des subventions
"one shot" (par exemple 3 000 €
par ménage et 30 000 € par entreprise
de moins de 1 M € de CA), et en incitant
en parallèle le secteur bancaire à
développer des "packages"
faciles d'accès de prêts aux
petites entreprises, pour favoriser leur développement
sans exiger des garanties excessives, quitte
à leur faire payer des taux d'intérêt
plus chers; cela ne sert à rien en
effet de donner de l'argent aux banques, comme
le fait la BCE d'une manière illimitée,
si en contrepartie cet argent ne repart pas
dans "la vraie vie".
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