Sciences,
technologies et politique.
Espace et domination du monde. Quelques éléments
d'actualité
Jean-Paul Baquiast 10/12/2014
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Prologue
Dans
la lutte ininterrompue que se livrent les grands puissances
pour la domination du monde, la domination spatiale a toujours
été, depuis les succès des V2 allemands,
un objectif essentiel. Il faut dominer l'espace de la même
façon que l'on cherche à dominer le monde.
Les américains ont d'ailleurs forgé un mot,
intraduisible par les grands enfants de choeur que sont
les européens: « full spatial dominance »
Les
Etats-Unis y ont toujours réussi parfaitement. Faut-il
rappeler qu'ils dominent l'espace militaire, avec notamment
un réseau incomparable de satellites. Ils dominent
aussi très largement l'espace des télécommunications
et tout ce qui s'y rattache, c'est-à-dire l'espionnage
à très grande échelle. Dans le domaine
du spatial scientifique, ils sont là où il
est essentiel d'être, avec par exemple des robots
depuis longtemps opérationnels sur la planète
Mars.
Cependant,
depuis qu'ils avaient gagné la course à la
Lune avec les succès des missions Apollo dans les
années 1960-1970, ils avaient semblé se désintéresser
des missions habitées (avec équipage). Un
calcul économique simple leur avait montré
que l'entretien de la Station spatiale internationale et
des navettes permettant d'y envoyer des astronautes et du
ravitaillement ne leur apportait aucun bénéfice
concret. Ils avaient donc laissé les Russes et les
Européens s'en occuper.
Cependant,
si la Russie semblait hors jeu dans la course à l'exploration
planétaire, d'autres Etats s'y sont lancés
depuis quelques années, notamment la Chine et l'Inde.
Les Américains se devaient de réagir. C'est
dans cette volonté que s'inscrit le programme Orion,
sur lequel nous donnons quelques informations ci-dessous.
On imagine le prestige acquis aux yeux de 11 milliards de
Terriens par le pays qui, le premier, retournerait sur la
Lune pour y installer une station permanente et, à
fortiori, qui mettrait un peu plus tard en place une telle
station sur Mars. Nous tenons nos lecteurs, sur ce site,
régulièrement informés des pas que
font en ce sens la Chine et l'Inde. Les progrès sont
lents, mais assurés. Ils sont soutenus par une volonté
politique sans faille, et semble-t-il, par l'enthousiasme
spontané des citoyens, prêts à supporter
toutes les économies nécessaires au déploiement
de ces projets.
Et
l'Europe
Qu'en
est-il de l'Europe, demanderez vous? La réponse est
simple, l'Europe, hormis quelques laboratoires scientifiques,
n'a rien à faire de l'espace. Il s'agit moins des
citoyens, dont l'enthousiasme récent face aux résultats
de la mission Rosetta aux prises avec la comète Churyumov-Gerasimenko
ont surpris plus d'un observateur, mais des gouvernements
et des intérêts spéculatifs à
court terme qui les financent.
Seule
la France fait encore un peu exception. Certes le temps
n'est plus où le gouvernement d'inspiration gaulliste
finançait sans hésiter des projets audacieux
dont il reste encore les bijoux de famille que sont le CNES
(Centre national d'études spatial) et une industrie
aérospatiale d'une puissance exceptionnelle pour
un pays comme la France, bien moins riche que ne l'est l'Allemagne.
Néanmoins, quel gouvernement français a-t-il
usé de son autorité pour imposer au sein de
l'Union européenne le beau programme Galiléo,
très largement initialisé par la France et
qui est en train de perdre toute actualité face aux
systèmes de positionnement global par voie satellitaire
(GPS) américain, russe, chinois, indien et pourquoi
pas un jour un système qatari ou saoudien (financé
par nos achats de pétrole) ?
Non,
nous sommes injuste. L'Europe n'a pas entièrement
démissionné dans un domaine essentiel, celui
des lanceurs civils. Elle le doit pour l'essentiel à
la France, voulant s'affranchir de la domination américaine.
Chacun connait la saga Ariane, lointaine descendante d'un
programme spatial de la 4e République, repris et
relancé par le gaullisme. Le 19 décembre 1961,
le gouvernement de Michel Debré créait le
Centre national détudes spatiales précité.
Chargé de coordonner toutes les activités
spatiales du pays, cet organisme visait principalement à
convaincre les Français mais aussi les Européens
de ne pas se laisser distancer par les Américains
et les Soviétiques.

Ci-dessus
maquette commémorative
Cette
date marquait le début de la politique spatiale française
qui conduisait le 26 novembre 1965 au lancement dAstérix,
le premier satellite artificiel français, à
laide de la fusée nationale Diamant-A. Prévu
et annoncé, lévénement nétait
pas une surprise, hormis peut-être lexploit
technique qui fit de la France la troisième puissance
mondiale, derrière lURSS (1957) et les États-Unis
(1958).Aux yeux de Charles de Gaulle, accéder à
lespace par ses propres moyens incarnait un acte dindépendance,
mais aussi un sentiment de grandeur : la France était
sur le point de maîtriser un ensemble de technologies
la plaçant au même rang que les deux superpuissances.
La fusée Diamant, par ailleurs, découlait
de la recherche balistique des « Pierres précieuses »,
un programme militaire engagé dès 1959 par
de Gaulle. Certains ingénieurs militaires, qui travaillaient
déjà sur des projets dengins-fusées
depuis le début des années cinquante, ont
proposé de convertir lune de leurs études
en un lanceur spatial. Cette démarche présentait
lavantage déviter tout programme redondant.
Les scientifiques, puis les politiques ont accepté
et soutenu cette conception. Qui aujourd'hui en France se
souvient de cet anniversaire de novembre 1965?
Laccès
de la France, à cette époque, au rang de troisième
puissance spatiale a-t-il contribué à
la construction de lEurope spatiale qui sest
esquissée à la même époque ?
Sans aucun doute, mais il a fallu pour cela des efforts
considérables de la part des scientifiques et des
industriels de l'espace pour convaincre les gouvernements
européens qu'un relais s'imposait au niveau de l'Europe.
Ce fut le début de la saga de l'Agence spatiale européenne
(Esa) et d'Arianespace, qui nous ne pouvons évidemment
pas relater ici.
Leurs succès sont connus, mais ils sont les fruits
d'investissements engagés il y a plus de trente ans.
Les efforts s'essoufflent aujourd'hui. L'actuel lanceur
lourd Ariane 5 devait impérativement être remplacé.
Pour cela il fallait que les gouvernements acceptent d'engager
les dépenses nécessaires. Jusqu'à ces
dernières semaines, on a pu craindre que, prenant
prétexte de la crise, mais en fait par incompétence,
ils n'en feraient rien. De plus les rivalités entre
pays menaçaient de tuer le futur projet Ariane comme
elles l'on fait du programme Galileo. Cependant quelques
esprits clairvoyants, notamment au sein des membres de l'Esa,
ont su convaincre les décideurs. Un accord sur un
programme Ariane 6 vient d'être annoncé. Nous
donnons quelques détails à son sujet dans
la seconce partie du présent article.
Espérons qu'il ne sera pas remis en cause. Un lanceur
n'est pas suffisant pour permettre un débarquement
sur la Lune, néanmoins un jour il pourra y aider.
Tout au moins, en ce qui concerne la France, si l'opinion
publique cessait de ne s'intéresser qu'au football
et au travail du dimanche, si un gouvernement plus volontariste
et plus éclairé montrait que les emplois de
demain en dépendront très largement.
Première
Partie. Le programme Orion de la Nasa
Ceux,
nombreux dans le monde, qui considéraient, depuis
la réussite de la mission Apollo 11 sur la Lune en
1969, que seule la Nasa était capable de tels exploits,
s'indignaient du fait que la réduction récente
des crédits alloués à l'Agence condamnait
celle-ci à l'inaction. Inaction d'autant plus dommageable
pour la Nasa et l'Amérique que de nouveaux concurrents
très sérieux sont en train de se mettre en
place, Chine et même Inde en premier lieu. Ceux-ci
visent non seulement un retour sur la Lune mais une mission
habitée autour de Mars ou d'un de ses satellites,
voire un débarquement sur la Planète Rouge,
avec retour, à échéance de 15 à
20 ans.

Or
les mêmes ont accueilli avec un fort battage médiatique
le lancement réussi d'une capsule baptisée
Orion (image ci-dessus) par la Nasa il y a quelques jours.
L'affaire a été présenté à
l'opinion mondiale non seulement comme une renaissance de
la Nasa ce qui n'est pas faux mais comme le
premier pas réussi pour une mission habitée
sur Mars. Le prestige de l'Amérique, bien contrarié
depuis quelques années, en ressortait grandi. Le
journal Le Monde lui-même ne publie-t-il pas le 5
décembre un article titrant « Orion en
route vers Mars ».
Les observateurs objectifs tiennent à remettre les
choses au point. Certes la Mission Orion s'est conclue par
un succès, mais il ne s'agissait encore que de l'envoi
et du retour sur Terre d'une capsule inhabitée, après
une petite excursion dans l'orbite terrestre. L'opération
avait d'abord pour but de tester la ré-entrée
du bouclier thermique dans l'atmosphère sans échauffements
catastrophiques Celui-ci était le plus grand jamais
construit pour une capsule, avec 5 m de diamètre,
soit 50 cm de plus que celui qui protégea le rover
Curiosity durant sa descente dans l'atmosphère martienne.
Bien moins dense que celle de la Terre, l'atmosphère
martienne est également dangereuse quand elle est
abordée à très haut vitesse.
Le vol a également servi à valider les systèmes
de la capsule, pour lesquels la Nasa avait laissé
se disperser ses compétences depuis sa cure de rigueur.
Il s'agit de lavionique, le contrôle dattitude
et surtout les parachutes. Ceux-ci sont les seuls dispositifs
permettant, sauf à mettre en place de coûteux
systèmes de rétro-fusées, d'assurer
un atterrissage (ou amerrissage) à vitesse réduite.

Le
lanceur utilisé pour propulser les 21 tonnes d'Orion
a été la version lourde du Delta 1V (image
ci-dessus) . Ce dernier est la dernière version d'une
famille développées par Boeing en partenariat
avec l'US Air Force. Les lanceurs de la famille Delta IV
peuvent placer en orbite de transfert des charges dont le
poids varie entre 4.321 kg et 12.757 kg, et en orbite basse,
dite LEO des charges allant jusqu'à 23.000 kg.
Ajoutons
que l'Agence spatiale européenne qui participe au
développement du futur véhicule spatial Orion
fournira le module de service, s'appuyant sur son expérience
dans le domaine des véhicules ATV entièrement
automatiques utilisé avec succès pour des
missions de ravitaillement de la Station spatiale Internationale.
Il s'agira de ESM, European service module. L'ESA assurera
la propulsion, lalimentation électrique, le
contrôle thermique et les composants vitaux des versions
futures de la capsule.
Remise
en proportion
Les
spécialistes de l'espace tiennent cependant, sans
minimiser le succès de cette première mission
Orion, à remettre la chose en proportion. Il ne s'agit
absolument pas pour le moment de préparer une mission
habitée autour de Mars. La Nasa elle-même fait
remarquer qu'elle n'a pas à ce jour reçu la
moindre instruction gouvernementale lui enjoignant de se
préparer à une mission martienne.
De
ce fait, Orion reste une opération mal financée,
incapable en l'état de transporter des astronautes
dans de simples vols orbitaux avant 2021 au plus tôt,
sans compter les retards éventuels, ce que font les
Russes depuis des années. Lorsque les recherches
et développements nécessaires à une
mission martienne auront abouti, Orion ne sera, selon les
experts, qu'un lointain souvenir.
Pour
ces experts, la Nasa s'est rendu un mauvais service à
elle-même en laissant s'accréditer, par l'intermédiaire
de journalistes incompétents ou tendancieux, l'idée
qu'elle était dorénavant en route pour Mars.
Les concurrents chinois sont bien plus prudents. Ils procèdent
pas à pas. Certes ils ne se cachent pas d'avoir de
grandes ambitions, mais ils ne cherchent pas à donner
le change sur les difficultés qu'ils devront résoudre.
Deuxième
Partie. Le programme européen Ariane 6
Dans le même temps, soit le 2 décembre 2014,
les ministres chargés de l'espace des pays membres
de l'Agence spatiale européenne (ESA) ont décidé
le lancement du programme Ariane 6. Il s'agira d'un nouveau
lanceur européen présenté comme "modulaire",
"fiable" et "compétitif", destiné
à remplacer Ariane 5. Celle-ci avec 62 lancements
successifs réussis depuis 2002, a fait les preuves
de sa fiabilité. Mais elle est désormais jugée
trop coûteuse pour le marché international.
Lancer une Ariane 5 coûterait environ 220 millions
de dollar alors que les prix de la concurrence sont estimés
pour les fusées américaines Delta IV
à 170 millions ou Atlas V à 125 million, pour
le lanceur russe Proton M à 100 millions,
pour une fusée chinoise Longue marche à 60
millions), voire pour les entreprises spatiales privées
américaines (dont la fiabilité reste à
prouver) aux alentours de 40 millions.

Ariane 5 a été conçue à partir
de 1995, à une époque où l'on pensait
que les satellites, toujours plus perfectionnés et
performants, allaient être aussi toujours plus
lourds. Mais la miniaturisation de l'électronique
et des composants a considérablement changé
le cahier des charges. Et la priorité aujourd'hui
est moins de mettre de lourdes charges en orbite
que de pouvoir les y placer dans un délai court
et à moindre coût.
Après
diverses péripéties, le 18 septembre 2014,
le CNES, l'agence spatiale française, avait proposé
une nouvelle configuration, déclinable en deux versions,
avec un seul niveau à poudre et deux niveaux à
propulsion liquide. Elle devrait être proposée,
selon les besoins, en deux versions : une version "A62"
avec deux propulseurs d'appoint et une version lourde "A64"
avec quatre propulseurs.
L'Allemagne, longtemps réticente, a finalement donné
son accord au projet. L'enveloppe demandée aux ministres
chargés de l'Espace des 20 pays membres de l'ESA
et du Canada pour le développement d'Ariane 6 s'élève
à 3,8 milliards d'euros, en incluant l'évolution
du petit lanceur de la gamme européenne, Vega, développé
par l'Italie.
Ainsi, Ariane 6 devrait être adaptée à
la fois aux besoins institutionnels (satellites scientifiques,
sondes spatiales...) et aux vols commerciaux (satellites
télécoms, télévision...) qui
représentent deux-tiers des lancements. Nous sommes
évidemment loin de vols européens vers Mars.
Cependant un premier pas en ce sens pourrait être
engagé, si l'Europe décidait de relever les
défis américains et chinois. Une coopération
avec la Russie, dans une telle perspective, déjà
bien établie notamment au sein du Centre spatial
de Kourou, serait souhaitable et possible. Mais aujourd'hui,
et c'est lamentable, l'Europe paralysée par les "sanctions"
imposées par l'Amérique, n'en prend pas le
chemin.
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