Sciences,
société et politique. «
The Origins of the Ebola Crisis »
Article de Tariq Ali et Allyson Pollock CounterPunch
10/10/2014. (voir ref. ci-desous)
Adaptation après traduction par Jean-Paul Baquiast
Ceux
qui se nourrissent de vents(s), particulièrement
nombreux sur internet, s'en sont donné à coeur
joie avec la question des origines de l'actuelle épidémie
d'Ebola. Les Etats-Unis, sous toutes les formes d'intervention
qu'ils ont adoptées depuis 15 ans de par le monde,
y sont violemment dénoncés. Pour notre part,
même si nous ne prêtons pas que des qualités
aux interventions de l'Amérique, cette hystérie
nous a paru d'une sorte de délire collectif, fréquent
il est vrai lors des grandes crises. D'où le souci
de ne pas faire écho aux articles concernés,
afin de ne pas contribuer à les relancer.
Par
contre, un article de CounterPunch, en date du 12 octobre,
qui nous avait échappé, paraît mériter,
malgré sa relative ancienneté, d'être
signalé. Le point intéressant, hors le fond
de l'article, qui confirme beaucoup de nos propos concernant
l'épidémie, est qu'il s'agit de l'interview
par un certain Tariq Ali, (auteur de The
Obama Syndrome ) de Allyson Pollock, professeure en
matière de santé publique à la Queen
Mary University de Londres (photo). Ni l'une ni l'autre
ne font montre de complaisance avec le système politico-financier
qu'incarne désormais Obama, mais leurs critiques
demeurent mesurées et raisonnables.
NB.
Le résumé que nous donnons ci-dessous de l'interview
s'est efforcé d'en conserver les grandes lignes,
mais beaucoup de points n'ont pas été abordés.
De plus, nous l'avons écrit à la lumière
du point de vue que nous avions déjà sur la
question. Il faut espérer cependant que les deux
auteurs ne s'estimeraient pas trahis si ce papier leur tombait
sous les yeux. Par ailleurs, des approfondissements et discussions
complémentaires s'imposeraient. Nous en feront peut-être
un article ultérieur.
Allyson
Pollock reconnaît que l'épidémie Ebola
est due à un virus dont les origines précises
sont inconnues. Après quelques apparitions dans les
décennies précédentes où il
était entré en sommeil de lui-même,
il a pu exploser dans les premiers pays atteints, Sierra
Leone, Libéria et Guinée, du fait de leur
état de grande pauvreté. Celle-ci se manifeste
par l'effondrement de leurs infrastructures, notamment en
matière de systèmes de santé, alors
que les conflits internes et une urbanisation de la misère
ont accru considérablement la contagiosité,
non seulement d'Ebola mais aussi de nombreuses maladies
mieux connues, mais qui ne sont pas mieux endiguées.
Allyson
Pollock admet que l'OMS et avec lui l'opinion dans les pays
riches avaient initialement pensé que le virus s'éliminerait
de lui-même, comme lors des épidémies
précédentes. Aussi ils n'ont pas dès
les origines de la présente épidémie
mobilisé les moyens massifs qui auraient pu la contenir.
Obama s'est contenté d'envoyer, pour relancer l'influence
américaine dans cette partie de l'Afrique, quelques
effectifs de l'US Army sans compétences médicales
particulières. Il a par ailleurs annoncé qu'il
allait relancer la recherche de vaccins. Mais cela ne pouvait
remédier en aucune sorte à l'absence de médecins,
d'infirmiers, d'hôpitaux ou de simples lieux où
isoler les malades. Quant aux vaccins, il aurait du savoir
que leur mise au point et leur fabrication en quantités
suffisantes ne seraient pas prises en charge par les industries
pharmaceutiques, en l'absence de budgets substantiels venant
de l'extérieur.
Pour
Tarik Ali comme pour Allyson Pollock, le vrai responsable
de l'épidémie actuelle est le système
financier international, dont en matière de santé
publique le principal objectif est de mettre en place des
solutions privées, coûteuses, réservées
à une étroite minorité de personnes
favorisées. Pour que ce solutions puissent s'implanter,
il faut démanteler les équipements publics,
décourager les médecins en dépendant,
enlever toute efficacité aux solutions associatives
reposant sur le bénévolat. Cette politique
profondément inégalitaire est poursuivie partout
dans le monde. Mais dans les pays développés
disposant d'un secteur public de santé important,
elle ne peut que marginalement s'imposer. Ce ne fut pas
le cas en Afrique, et ce depuis des décennies.
La catastrophe
qui avec Ebola frappe les pays africains aurait été
parfaitement prévisible par ceux qui auraient voulu
voir. Elle était d'ailleurs en germe, au vue du développement
d'autres maladies, clairement identifiées mais contre
lesquelles les moyens nécessaires ne sont toujours
pas mis en place: choléra notamment. L'Afrique n'est
pas la seule à souffrir de cette désorganisation
des systèmes de santé sous l'influence des
milieux d'affaires. L'Inde, le Pakistan, le Sri Lanka en
manifestent aussi les signes.
La
responsabilité majeure des organisations internationales
néolibérales
Celles-ci,
FMI, Banque Mondiale, Banque africaine de développement,
ont été indirectement les responsables de
la destruction des systèmes de santé dépendant
du secteur public. Depuis des années, elles ont orchestré
l'éviction des petits exploitants agricoles traditionnels
au profit de grands groupes hautement mécanisés
produisant de l'huile de palme, du cacao, du caoutchouc,
en vue de la vente sur les marchés spéculatifs.
Les petits cultivateurs chassés de leurs terres se
sont réfugiés dans d'immenses bidonvilles
urbains, dont certains éléments, comme on
a pu le voir grâce à divers reportages, sont
directement implantés sur des montagnes d'ordure.
La même spoliation a été organisée
concernant les autres ressources naturelles, notamment minières,
souvent très importantes, dont disposaient ces pays.
Quant
à l'OMS, et à sa décharge de l'OMS,
il faut bien voir qu'elle a été depuis plus
de vingt ans privée de ses financements et donc de
ses moyens de prévention et d'intervention. Dans
le même temps, des ONG n'ayant rien de désintéressé,
comme les Fondations de Bill et Melinda Gates ou de Warren
Buffet, ont prétendu gérer les questions de
santé en court-court-circuitant les institutions
publiques et sans aucun contrôle démocratique
de la part des gouvernements concernés. A supposer
qu'elles décident de s'attaquer à l'épidémie
d'Ebola en ignorant volontairement - ses autres causes,
évoquées ci-dessus, elles ne pourront offrir
aucune solution de long terme, puisqu'elles s'opposeront
souvent ouvertement aux solutions publiques ou coopératives
qui seules permettrait de traiter le problème à
la base. Or, en profondeur, au delà des médicaments
et des vaccins, ce sont de mesures redistributives radicales
dont ces pays auraient besoin, touchant, au delà
de la santé, l'éducation, le logement, la
formation des femmes et des jeunes.
Allyson
Pollock ne prétend pas que les vaccins soient inutiles.
Mais là encore, selon elle, l'approche reste profondément
capitalistique et donc inégalitaire. Il faut citer
à cet égard la Global Alliance for Vaccine
Initiative, en association avec les géant GSK et
Merck, qui ne cherche pas à développer des
investissements internes, mais à solliciter des financements
des gouvernements occidentaux, sans exclure a priori de
breveter leurs propres découvertes. Mais comme produire
des vaccins ne suffirait pas, sans l'effort gigantesque
permettant de les diffuser en les accompagnant de toute
l'infrastructure de santé évoquée ci-dessus,
et aujourd'hui pratiquement inexistante, il ne faudra pas
attendre de miracles des vaccins, à supposer que
les recherches en cours aboutissent.
Il faut
mentionner aussi le fait que les pays occidentaux, s'apitoyant
sur les décès provoqués par Ebola,
ne veulent pas constater que l'attrait de la médecine
libérale destinée aux plus riches dépossède
massivement l'Afrique de ses professionnels de santé.
Ceux-ci choisissent de s'expatrier pour bénéficier
de meilleures rémunérations et conditions
de travail. Seul Cuba, refusant de s'inscrire dans les normes
du libéralisme, a envoyé en Afrique des centaines
de médecins et professionnels de santé, qui
payent d'ailleurs aujourd'hui un lourd tribut à la
maladie.
Le
mauvais exemple des pays européens
Ceci
dit, au delà de la situation des pays africains,
révélée par le crise de l'Ebola, les
pays européens ne devraient pas s'estimer non menacés
par la privatisation des équipements et la fuite
des médecins hors du secteur public. Il s'agit des
conséquence d'un néolibéralisme dont
l'Europe a pris très largement le chemin. L'exemple
le plus éclatant de cette dégradation est
fourni par la Grande Bretagne. Le Service National de Santé
(NHS), mis en place à la fin de la seconde guerre
mondiale, n'est plus désormais que l'ombre de ce
qu'il était, à la suite des vagues de privatisation
qui l'ont frappé. Il fonctionnait sur la base de
l'impôt progressif sur le revenu. Les cotisations
des assurés s'élevaient en fonction de leurs
revenus.Or aujourd'hui les principales dépenses de
santé sont prises en charge par des assurances privée,
inaccessibles aux plus pauvres.
Si une
épidémie comme Ebola réussissait à
s'implanter en Grande Bretagne, ce serait comme en Afrique
les populations les plus démunies qui en feraient
les frais. Alors, il sera trop tard pour compter sur un
Service National de Santé exsangue en vue de répondre
aux besoins collectifs.
Référence
The origins of the Ebola crisis
http://www.counterpunch.org/2014/10/10/the-origins-of-the-ebola-crisis/