Editorial
Pourquoi
de plus en plus de jeunes européens rejoignent-ils
les djihadistes ?
Jean-Paul Baquiast et Christophe Jacquemin -
09/10/2014
Le nombre
est statistiquement infime, mais il inquiète à
juste titre. D'où cette question de plus en plus
posée : pourquoi de plus en plus de jeunes européens
rejoignent-ils les djihadistes ? On pourrait à la
rigueur expliquer le phénomène dans le cas
de jeunes gens, garçons ou même filles, de
religion musulmane, marginalisés par le chômage
ou de petits emplois sans avenir, pris en mains par des
prédicateurs recruteurs agissant sans contraintes
dans certains quartiers ou mosquées, et finalement
soumis sur internet au bombardement médiatique de
plus en plus techniquement efficace organisé dans
des pays comme l'Arabie saoudite dont on sait qu'ils ont
toujours entretenu les terroristes ne fut-ce que
pour s'en prémunir eux-mêmes. Pour tous ceux-ci,
le djhihad est sûrement vécu comme une aventure
exaltante, permettant d'échapper à la routine
des banlieues, même s'ils risquent de payer cela du
prix de leur vie.
Les
classes moyennes ou favorisées
Mais
le problème est plus difficile à élucider
quand il s'agit de jeunes des classes moyennes ou favorisées,
provenant de familles chrétiennes ou laïques,
n'ayant pas de raisons particulières pour ne pas
s'intégrer. Certes, eux aussi reçoivent la
propagande médiatique en faveur du djihad. Certaines
images, notamment de combats et d'exécutions, peuvent
faire appel en eux aux instincts destructeurs toujours présent
chez chacun d'entre nous. Mais serait-ce suffisant pour
qu'ils se convertissent à un islam de combat, abandonnent
la relative tranquillité de leur milieu et acceptent
de tuer et de mourir ?
On répondra
que de tels profils psychologiques se retrouvent en infiniment
plus grand nombre dans les comportements quasi-suicidaires
que sont l'abus des drogues, de l'alcool, des conduites
à risque sur la route, de la fugue... Les psychologues
et sociologues ne manquent pas en ces derniers cas d'évoquer
des raisons souvent dénoncées mais très
difficiles à combattre. Il s'agit là encore
des conséquences de la crise économique, frappant
plus particulièrement les jeunes, même au sein
des classes moyennes, ou bien du manque d'attrait présenté
par les perspectives d'avenir offertes au sein d'une société
bien peu exaltante.
On peut
à juste titre aussi faire valoir des troubles individuels
du développement des capacités cognitives
et du jugement, découlant de raisons diverses dont
certaines sont indiscutablement pathologiques d'autant
plus difficiles à traiter d'ailleurs. Il reste cependant
qu'une majorité d'adolescents savent se garder de
ces conduites à risques ou, s'ils y cèdent,
s'en affranchissent très vite. Pourquoi ces différences
?
Derrière
la grille
Le
succès d'un livre tel que "Derrière
la grille" de Maud Julien (Stock) oblige ceux qui
veulent comprendre ce problème de la fuite dans le
djihad à se tourner vers le rôle déstructurant
joué par certaines ambiances familiales où
s'exerce l'influence aliénante de parents proches,
père ou mère.
Là encore, notamment depuis Freud, l'influence des
parents dits abusifs sur les troubles comportementaux et
scolaires des enfants a souvent été dénoncée.
Elle est très difficile à combattre, notamment
par les éducateurs et enseignants qui en constatent
les effets. D'une part, elle reste cachée aux yeux
de l'enfant lui-même, sinon niée. D'autre part
parce que les faits en question ne sont généralement
pas considérés comme relevant d'intervention
des auxiliaires sociaux, des psychiatres ou de la police.
Ils
sont d'autant plus difficiles à combattre que l'opinion
y voit des situations personnelles, ne devant pas intéresser
le regard social. La famille, en Europe notamment, est encore
considérée comme une institution fondamentale,
sur laquelle aucun soupçon ne doit porter. Le père
et la mère ne doivent pas être mis en cause,
sans soupçons de faits graves relevant du code pénal.
Or le
livre de Maud Julien expose
l'enfermement au sens propre du terme que son père,
avec la complicité de sa mère, lui avait imposé,
de l'âge de cinq ans à l'adolescence, le tout
pour son "bien". Le but du père, lui-même
certainement grand malade mental comme il en existent
beaucoup non identifiés - était de faire de
sa fille une sorte d'héroïne, échappant
à toutes les tentations de la société
corruptrice. Apparemment ne se mêlait à cela
aucune tentative, au moins explicite, d'agression sexuelle.
En fait,
comme l'auteure le rapporte elle-même, elle s'est
trouvée, à échelle individuelle, soumise
aux opérations d'endoctrinement et d'enfermement
caractéristiques de l'action des sectes, sous l'influence
de gourous se permettant tous les abus psychiques. Elle
a eu le grand courage psychologique lui ayant permis de
se dégager de cette influence délétère,
à la suite de circonstances que nous ne relaterons
pas ici. Elle est devenue ensuite une thérapeute
particulièrement bien placée pour conseiller
des enfants ou parents en difficulté, soumis à
de tels endoctrinements.
Un
cas fréquent
Le
cas qu'elle évoque est, comme il est facile de le
deviner, bien plus fréquent que la bonne conscience
sociale régnant dans les milieux favorisés
ne veut l'admettre. L'abus d'autorité des parents,
père ou mère, la volonté à tous
prix d'isoler et d'obliger l'enfant à rester sous
leur influence, sont certainement bien plus répandus
que l'on imagine. Beaucoup d'enfants et adolescents finissent
par s'en libérer, mais tous ne le peuvent pas. D'où,
en grande partie tout au moins, leur attrait névrotique
pour les conduites à risque, leur extrême sensibilité
aux exemples de telles conduites circulant comme des virus
(des mèmes) dans la société.
Dans
les cas évoqués ci-dessus où ces enfants
s'échappent à l'enfermement familial par la
voie du djihad, les parents eux-mêmes, s'ils en étaient
encore capables, conseillés par les thérapeutes
qu'ils consultent, devraient réfléchir à
leurs responsabilités dans de telles catastrophes
ne fut ce que pour ne pas réitérer
dans leurs erreurs concernant le reste de leur progéniture.
Mais le peu que l'on voit, à la télévision,
de la façon dont ils se comportent, ne se remettant
quasiment jamais en cause, enfermés dans leur bonne
conscience de parents martyrs, laisse peu d'espoir en ce
sens. Ainsi va la société, répétant
inlassablement ses mêmes aveuglements.
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