Article.
Ebola: défense intérieure.
Nous ne sommes pas prêts.
Jean-Paul Baquiast - 29/10/2014
NB.
Nous ne défendons ici que les informations ou opinions
données à la date de cet article, soit le
29/10. Dans un domaine aussi évolutif et sensible,
il faut se tenir prêt à prendre en compte d'autres
opinions et informations, si elles paraissent crédibles.
L'article actualise et remplace un article précédent,
à la date du 25/10, publié sous la même
référence
Image. Crédit USAMRIID)
Le 18
octobre 2014, le secrétaire à la Défense
américain Chuck Hagel a ordonné au commandant
du Northern Command (zone militaire de défense à
l'intérieur des Etats-Unis), de mettre en place un
corps expéditionnaire d'assistance médicale
composé de 30 personnes convenablement entraînées.
Ce dispositif devra fournir sur demande une assistance d'urgence
et de courte durée aux médecins civils exerçant
sur le territoire de l'Union. Il sera composé de
20 soignants, entrainés à l'intervention dans
les situations critiques, de 5 médecins habitués
à combattre les épidémies et de 5 spécialistes
dans la mise en oeuvre des protocoles anti-épidémiques.
Une fois formés, ces personnels devront se tenir
prêts à intervenir sur n'importe quel point
des Etats-Unis, sur la base d'un statut de 30 jours renouvelables.
Ils n'opéreront pas en dehors des Etats-Unis.
Mais
pourquoi des militaires? Il serait tendancieux pensons-nous
d'y voir comme cela a déjà été
dit une volonté de militariser la société
américaine. Faire appel à l'armée est
une solution d'urgence pratiquée par tous les gouvernements
quand il s'agit de renforcer au moins temporairement les
moyens de défense civils.
Cette mesure est donc à distinguer de la récente
décision de Barack Obama, destinée à
doter l'Africa Command d'un contingents de 50 militaires
(voire beaucoup plus aux dernières informations)
susceptibles d'intervenir dans les pays africains touchés
par l'épidémie, en priorité d'ailleurs
au profit des moyens militaires américains basés
dans ces pays. Cette annonce a fait non sans raisons l'objet
de polémiques. Prise semble-t-il sans consultation
sérieuse des autorités de santé, tant
américaine qu'africaines ou internationale (OMS),
elle a été présentée comme la
volonté de réintroduire l'influence du Pentagone
dans des pays qui avaient explicitement refusé d'héberger
l'Africa Command, dont le siège s'est retrouvé
faute de mieux en Allemagne.
La décision de Chuck Hagel pose par contre directement
la question de savoir si, sur le territoire européen,
des corps expéditionnaires de même nature ne
devraient pas être mis en place par les ministères
de la défense des pays de l'Union, tous également
menacés tôt ou tard par l'épidémie.
Beaucoup plus généralement, Il convient de
se demander si les mesures actuellement prévues,
y compris dans des pays comme la France qui s'estiment bien
protégés, seraient satisfaisantes pour contenir
un nombre de cas pouvant dans les prochains mois se multiplier.
Pour
répondre à cette question, examinons les principaux
points nouveaux récents à prendre en compte
dans l'évaluation des risques.
Cas
déclarés
Leur
nombre ne cesse d'augmenter dans les 3 pays de l'ouest africains
initialement touchés. On trouvera facilement les
évaluations, évoluant tous les jours, sur
divers sites crédibles. Les polémiques, qui
ne manquent pas dans ce domaine particulièrement
sensible, font valoir que quelques milliers de décès
(à ce jour) sont sans gravité au regard des
centaines de milliers imputables à la malaria, ou
aux millions dus à la mal nutrition. Mais il faut
comparer ce qui est comparable. Ni la malaria ni la malnutrition
ne se développeront de façon épidémique.
Dans le cas d'une épidémie, les risques de
progression pourraient être très rapides, voire
exponentiels, si aucune action de prévention ne se
révélait efficace. Les morts s'ajouteront
à ceux résultant d'autres fléaux.
Différentes autorités ont annoncé depuis
plusieurs semaines que l'épidémie était
devenue incontrôlable, au moins dans les pays touchés.
Ces annonces, une fois de plus (nous y reviendrons) ont
été présentées comme des manuvres
politiques ou économiques (venant des firmes pharmaceutiques).
S'agirait-il d'enfermer l'Afrique dans un ghetto, ou de
vendre davantage d'anti-virus? Toutes les mauvaises intentions
sont possibles. Il reste que les morts sont les morts, et
que ceux prétendant que l'ampleur de l'épidémie
est très largement exagérée n'iront
pas faire du tourisme, à l'heure qu'il est, en Afrique
de l'Ouest.
Mais si l'on admet que l'épidémie soit dores
et déjà incontrôlable, dans cette partie
du monde, quelles conclusions en tirer? D'une façon
générale, la fermeture totale des frontières
ne serait, ni possible, ni éthiquement acceptable.
L'Australie l'a cependant décidé dans la réprobation
générale.Comme nous l'indiquons par ailleurs
ci-dessous, aucun transfert massif de moyens de lutte venant
des pays riches vers les pays pauvres contaminés
n'est envisagé, à supposer que ce transfert
soit envisageable dans les délais rapides nécessaires.
Inévitablement donc d'autres cas apparaitront
sans mentionner ceux qui ne seront pas déclarés.
Ainsi, au Mali, un (ou plusieurs) patient souffrant d'Ebola
vient d'être identifié. Une analyse des personnes
susceptibles d'avoir été contaminées
par lui est en cours. On imagine la difficulté de
la tâche lorsque d'autres cas se feront jour. Par
ailleurs, si l'épidémie se précisait
au Mali, la France qui y entretient un grand nombre d'expatriés
et de personnels militaires serait très rapidement
concernée.
Les cas identifiés aux Etats-Unis ou dans d'autres
régions du monde demeurent encore très peu
nombreux. On pourrait donc penser que les mesures de détection
et d'hospitalisation des malades, complétées
d'isolement pour observation (quarantaine) des « contacts »
qu'ils auraient pu avoir, devrait suffire. Mais tout dépend
du nombre de cas qui se déclareraient dans les prochaines
semaines. S'ils atteignaient quelques dizaines, ne fut-ce
qu'au seul niveau européen, les moyens existants
de détection, de soin et d'isolement seraient vite
saturés. Que signifierait ainsi mettre en quarantaine
des centaines de personnes, dans quels locaux, locaux qui
pourraient vite se transformer en mouroirs.
Tests
Rappelons-le, il ne s'agit pas de vaccins ni de sérums,
mais seulement de moyens permettant de vérifier si
une personne est ou non porteuse du virus à
condition aussi, dans le premier cas, que sa charge virale
soit suffisante. Plus ces tests pourront répondre
rapidement, plus ils permettront d'isoler les personnes
atteintes des autres, dits « cas contacts ».
Sur ce point, des progrès décisifs paraissent
en vue. Signalons par exemple que le petit laboratoire français
Vedalab a élaboré un test qui permet de diagnostiquer
la contamination au virus en 15 minutes au lieu de plusieurs
heures. Il ne faut pas cependant se faire d'illusions. Pour
produire et distribuer les millions (sinon bientôt
centaines de millions) de dispositifs de test qui seront
nécessaires, il faudra des moyens industriels qui
n'existent pas aujourd'hui, et dont nul pays à ce
jour n'entreprend la mise en place.
Vaccins
Les quelques filières annoncées dans divers
pays n'ont pas encore été testées.
Pour ce faire, il faudrait plusieurs semaines ou mois. On
pourrait envisager d'utiliser des vaccins non testés,
au moins compte tenu des risques, avec le consentement éclairé
des personnes intéressées. Mais se posera
la question précédente. Afin de lutter contre
la contagion, il faudrait disposer de milliers de doses
rapidement. Il en sera d'ailleurs de même si l'on
obtient des vaccins s'étant avérés
efficaces. Il faudrait pouvoir produire en quelques mois
des millions de doses, puis les diffuser. Ceci demandera
des moyens d'une toute autre ampleur que ceux nécessaires
à la production de tests. Là encore, nul pays
n'a encore décidé de mettre en place les équipements
nécessaires. Le $milliard, d'ailleurs non encore
débloqué, promis par l'ONU, n'y suffirait
pas.
Il faut bien évidemment poursuivre les recherches,
mais il serait vain d'en espérer des résultats
rapides. On notera que GlaxoSmithKline, un des producteurs
de vaccins actuellement en course, vient d'annoncer qu'à
partir de décembre 2015, ils pourraient fabriquer
1 million de doses de vaccins par mois. Mais décembre
2015 est une date fort éloignée. Dans l'immédiat,
des volontaires provenant de professionnels de santé
envisageant de se rendre en Afrique se sont fait connaître,
en Europe et notamment en Suisse, pour tester le vaccin.
Au sujet plus particulièrement des vaccins, nous
ne pouvons pour notre part que condamner les manipulateurs
d'opinion prétendant que le virus a été
quasiment inventé, ou disséminé, par
une conjuration des grandes firmes pharmaceutiques (big
pharma). Il es vrai que celles-ci ont déclaré
lors des premiers épisodes épidémiques,
ne pas vouloir se lancer dans la recherche de vaccins vu
le faible nombre de cas concernés à l'époque.
Mais de là à penser qu'elles aient voulu depuis
créer le marché en provoquant une pandémie,
on tombe dans la paranoÏa. Avant que des profits éventuels
puissent être recueillis par ces firmes, il se passera
des années. En attendant, les personnes travaillant
dans l'industrie pharmaceutiques auront beaucoup de chance
elles-mêmes de succomber au virus. « Inventer »
un virus sans avoir été capable d'en inventer
préalablement le vaccin est une arme boomerang. Elle
se retourne contre ses auteurs.
A ce sujet, il faut aussi répondre à des arguments
qui ont dès le début circulé, et que
notre article a lui-même suscité. Le virus
Ebola serait le résultat de recherches financées
par le Pentagone, au début des années 2000,
soit pour protéger la population américaine
d'une attaque bactériologique, soit pour produire
des armes utilisable à titre offensif par l'armée
américaine. Il est indéniable que des recherches
ont eu lieu, plus ou moins discrètement. Mais de
l'avis des spécialistes, elles se sont dispersées
dans beaucoup de directions sans aboutir. Par ailleurs les
premières souches d'Ebola sont apparues bien avant
le 11 septembre 2001. De plus, l'argument du boomerang aurait,
là encore, découragé d'emblée
la mise au point et a fortiori l'utilisation d'armes virologiques
ou bactériologiques. Elles ne manqueraient pas en
ce cas de se retourner contre la population du pays ainsi
agresseur. Vacciner celles-ci préventivement aurait
évidemment donné l'alerte.
Cette
raison explique que de telles armes, très difficiles
à fabriquer, stocker et manipuler, contrairement
aux gaz de combat, ont certes fait l'objet de recherches,
un peu partout dans le monde, et le font encore. Mais elles
n'ont jamais été développées
sérieusement par aucun pays, y compris l'Allemagne
nazie ni plus récemment les pays à la réputation
militariste, par exemple la Corée du nord.
Sérums
Il n'existe pas encore semble-t-il de sérums efficaces
permettant de traiter efficacement un malade déclaré.
Des transfusions de sang provenant de malades guéris
ont été envisagées, mais ceci n'est
évidemment pas généralisable. L'utilisation
d'antiviraux ou d'anti-rétroviraux est à l'étude,
sans conclusions positives. L'OMS avait il y a quelques
jours annoncé la mise au point expérimentale
et non encore testée sur l'homme de plusieurs traitements,
dont le Zmapp, un cocktail de 3 anticorps dits « monoclonaux ».
Les anticorps monoclonaux sont issus d'une seule lignée
de globules blancs, provenant d'une seule cellule. La difficulté
de les obtenir est on le conçoit extrême.
Les seuls soins possibles aujourd'hui consistent à
renforcer les défenses immunitaires des malades,
et lutter contre leur déshydratation. La mortalité
demeure d'environ 50%, plus élevée semble-t-il
dans les pays pauvres. Avec des soins performants, selon
l'OMS, elle pourrait tomber à 20%, ce qui restera
considérable. Par ailleurs, les raisons pour lesquelles
certaines personnes ne sont pas atteintes ou guérissent
n'ont pas encore été élucidées.
Elles pourraient donner des indices précieux pour
la suite. Là encore, les moyens d'étude nécessaires,
qui obligeraient à mobiliser de nombreux laboratoires,
n'ont pas été rassemblés.
Inutile là encore de s'appesantir sur les arguments
spécieux selon lesquels il vaudrait mieux lutter
contre la pauvreté des pays touchés et les
conditions déplorables de certains bidonvilles comme
ceux de Monrovia, que lutter contre les agents épidémiques.
Il est indéniable que si l'on pouvait en quelques
mois remplacer ces bidonvilles par de coquettes banlieues
à l'européenne, leur condition sanitaire s'améliorerait.
Mais ce serait des centaines de milliards de dollars qui
seraient nécessaires. Les dispensateurs de ces bons
conseils sont-ils prêts à se saigner à
blanc pour commencer à rassembler les moyens nécessaires?
Mutations génétiques
au sein des différentes souches de virus Ebola, Marburg
ou assimilés
Les virus mutent en permanence, mais de façon si
l'on peut dire superficielle. Aucune mutation d'importance
à ce jour n'a été observée,
ni pour modifier sensiblement leur virulence, ni pour modifier
leur contagiosité., que ce soit en plus ou en moins.
Il est certain que plus la population de malades s'étendra,
plus de telles mutations seront probables. En principe,
si le nombre de personnes atteintes augmente, la virulence
doit s'atténuer. Ceci pour la raison très
simple qu'en bons darwiniens les microbes et virus finissent
par comprendre qu'en tuant tout le monde, ils scient la
branche sur laquelle ils prospèrent. Mais ils l'ont
déjà compris dans le cas d'Ebola. Une mortalité
à 50%, ou même à 20%, laisse aux virus
suffisamment de terrain pour s'étendre sans risquer
la disparition.
Equipement des centres de soins
Ceux-ci, qu'il s'agisse de bulles plastiques isolantes pour
le transport, ou de salles de soins isolées, sont
quasiment inexistants dans les pays africains touchés.
On craint même partout des ruptures de stocks des
vêtements spécialisés permettant aux
soignants de se protéger.
En Amérique et en Europe, un certain nombre d'équipements
ont été installés. Mais ils ne pourront
faire face qu'à des cas isolés. La pauvreté
des services de santé, même dans les pays riches,
ne permettra pas d'espérer un renforcement sensible
et rapide de tels équipements, sauf à désorganiser
l'ensemble des dispositifs hospitaliers. Se posera par ailleurs
la question de la formation à grande échelle
des personnels de santé, comme le cas échéant
de leur volontariat.
Signalons que la fermeture envisagée de l'hôpital
militaire du Val de Grâce, à Paris, pour raisons
d'économie, privera notre pays d'un équipement
et de personnels qui seront indispensables lorsque l'épidémie
d'Ebola se développera.
Conclusion
La conclusion que nous tirons de ce qui précède,
à titre personnel et à la date de mise en
ligne de cet article (soit le 29 octobre) sera peu différente
de celle de notre article précédent référencé
ci-dessous (Cf Ebola ou notre inconscience ).
Elle consiste à prévoir que l'épidémie
d'Ebola, en dehors des pays où elle est dite incontrôlable,
couvera dans le reste du monde pendant plusieurs semaines
ou mois, sous une forme contrôlable. Mais le moindre
accident pourrait la rendre exponentielle. Que se passerait-il
en France, par exemple, si une dizaine de cas se déclaraient
à quelques jours d'intervalle, non détectés
aux frontières et se révélant quelques
jours après, sans que les premiers symptômes
à partir desquelles la contagiosité devient
maximum n'aient été identifiés . Ce
serait des centaines de contacts qu'il faudrait immédiatement
mettre en isolement, voire le cas échéant
soigner. L'effet de panique s'ajoutant à cela, la
vie sociale aurait toutes les chances d'être paralysée.
Ce propos
sera considéré comme pessimiste. Mais le pessimisme
est, en matière de santé publique, préférable
à l'optimisme. Il permet de mieux se préparer.
En l'espèce, il devrait conduire à mobiliser
préventivement et sans délais les milliards
de dollars qui seraient nécessaires pour remédier
aux problèmes non résolus évoqués
dans cet article. On serait loin alors des préoccupations
de lutte contre les déficits budgétaires qui
pour le moment sont les seuls à mobiliser l'attention.
Articles
précédents sur notre site:
* http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2014/149/ebola2.htm
*
http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2014/149/ebola.htm
* http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2014/148/ebola.htm
Autres
articles
*Newscientist
Concernant l'OMS voir une proposiition visant à le
renforcer
Global
agency needed for battling infectious diseases
Voir aussi
Future
scenarios show how easily Ebola could explode
* Dans
cet article Bloomberg, analyste financier, constate les
réductions importantes dans les budgets de santé
américains rendant la lutte contre les épidémies
de plus en plus difficile http://www.bloomberg.com/news/2014-10-03/ebola-flew-to-dallas-as-budgets-to-fight-disease-waned.html
Addendum
Nous ne ferons pas ici un catalogue des articles, soit plus
ou moins mal informés soit volontairement tendancieux,
qui circulent désormais, à vitesse virale, sur
le sujet. Certains, c'est assez surprenant, proviennent de
personnes se disant médecins. Nous avons l'un de ceux-ci
sous les yeux. L'auteur, virologue, n'hésite pas à
affirmer que le virus ébola a été inventé,
comme celui de la grippe. Cet éminent spécialiste
semble oublier, entre autres, que la grippe espagnole a fait
en Europe, dans les années 1918- 1920 ou 1925, plus
de morts que la première guerre mondiale. Or elle n'a
pu être inventé, faute à cette époque
de connaissances médicales suffisantes.
D'autres arguments paraissent plus convaincants à première
vue. Selon eux, l'OMS serait très largement sous contrôle
de lobbies médicaux et pharmaceutiques. La chose est
indéniable. Mais la communauté des scientifiques
qui travaillent en relation avec cet organisme ou d'autres
analogues, sans être financés par eux, savent
comment se défendre contre d'éventuelles campagnes
de désinformation provenant de membres de l'OMS éventuellement
corrompus. Ceci ne veut pas dire qu'il faille rejeter l'organisme
tout entier avec l'eau du bain. Une telle structure internationale
manquerait en effet si elle n'existait pas. Elle offre une
aide très appréciée, notamment des pays
du tiers monde.