Article.
Ebola ou notre inconscience
Jean-Paul Baquiast - 12/10/2014
NB.
Nous ne défendons ici que les informations ou opinions
données à la date de cet article, soit le
12/10. Dans un domaine aussi évolutif et sensible,
il faut se tenir prèt à prendre en compte
d'autres opinions et informations, si elles paraissent crédibles.

Sans
avoir encore explosé aussi exponentiellement que
ne le prévoyaient certains modèles (que nous
avions précédemment cités dans nos
article) l'épidémie d'Ebola se développe
rapidement et pourrait très bien atteindre non seulement
l'ensemble des pays dits pauvres, mais aussi à un
moindre degré (voire peut-être à un
degré voisin) les pays dits riches, Europe, Etats-Unis
notamment.
Il en est de même des taux de mortalité. Loin
de s'atténuer, comme lors des précédentes
épidémies d'Ebola, ils paraissent s'accroitre.
Les statistiques venant des pays actuellement touchés
minorent sans doute d'ailleurs la réalité,
tant en ce qui concerne les cas que les décès,
compte tenu de la difficulté d'identifier ce qui
se passe en brousse, comme dans les bidonvilles des mégapoles
africaines où le virus se répand actuellement.
La communauté
internationale, selon l'expression classique, n'a manifestement
pas pris conscience de l'ampleur et des taux de progression
de l'épidémie. Ceci tient à diverses
raisons: la croyance (fausse) que le virus resterait confiné
dans les pays pauvres, des croyances également fausses
concernant la contagiosité, laquelle paraît
plus grande qu'il n'est dit généralement,
d'autres illusions, relatives aux capacités de réaction
rapide des institutions sanitaires.
Il apparaît
ainsi de plus en plus évident que les autorités
politiques et de santé ne sont pas suffisamment informées
et averties pour prévoir les grands changements systémiques
que l'humanité devra dorénavant affronter.
Ces changements découleront de phénomènes
désormais irréversibles comme le réchauffement
climatique et la destruction des écosystèmes.
Il serait ainsi tout à fait probable que si une grande
majorité d'espèces vivantes complexes disparaissaient
dans le siècle ou le demi-siècle, des espèces
moins complexes mais tout à fait bien organisées
pour faire face prendraient le relais. Ce serait le cas
des virus et microbes. Ou bien ceux déjà existants
muteraient pour profiter des nouveaux espaces à eux
ouverts, ou bien de nouvelles espèces mieux organisées
émergeraient, la nature ayant horreur du vide. Il
faudra aussi tenir compte du fait que si les sociétés
humaines s'appauvrissaient à l'occasion de ces changements,
les taux de natalité pourraient continuer à
croître à court terme, aggravant les problèmes
rencontrés par les adultes survivants.
Plus
immédiatement, les observateurs considèrent
qu'Ebola est le fruit de la « croissance » croissance
elle-même incontrôlable. De la forêt où
le virus restait confiné chez certaines chauves-souris
ou primates, il s'étendra dorénavant sans
limites aujourd'hui perceptibles à l'ensemble des
continents, du fait de la densité des transports
aériens et de la multiplication des mégapoles
où devraient résider prochainement, selon
les prévisions, au moins les trois quarts des humains.
La Chine et l'Inde, à cet égard, auront des
soucis à se faire.
Nous
ne pouvons prétendre traiter d'aussi graves problèmes
dans un simple article. Abordons cependant quelques points
qui sont à l'ordre du jour, complétant ce
qui avait été indiqué dans nos articles
précédents. Le lecteur voulant approfondir
le sujet trouvera sur le web anglophone toutes les informations
nécessaires.
La
contagiosité
Sans
évidemment être virologue ou épidémiologue,
mais en faisant appel au simple bon sens, nous ne comprenons
pas comment les pays destinataires des vols en provenance
de l'Afrique, comme plus généralement les
pays recevant des voyageurs provenant de zones infectées,
puissent se rassurer en affirmant que la détection
des températures ( à condition d'ailleurs
qu'elle soit bien faite) suffirait à identifier les
malades contagieux. Il est dit que la contagiosité
ne se produirait pas avant les premier symptômes,
dont celui de la fièvre. A supposer que ceci soit
vrai et le demeure, comme l'on sait que ces symptômes,
notamment la fièvre, n'apparaissent que quelques
jours après la contamination, le risque est grand
de voir des voyageurs déjà contaminés
mais non encore symptomatiques pénétrer sur
le territoire, sans être détectés par
les filtres aux frontières.
Si ensuite,
ces personnes, ou des personnes avec lesquelles elles auront
été en contact, manifestent des symptômes
identifiés comme ceux d'Ebola, elles auront eu le
temps, avant d'être mises en isolement , de contaminer
des dizaines d'autres contacts. On ne pourra pas en effet
considérer que les millions de personnes atteintes
de grippes ou d'entérites, fréquentes en cette
saison, devraient passer des tests ou être isolées.
Lorsque le virus sera installé, même faiblement,
dans les pays jusqu'alors indemnes, le prédiagnostic,
consistant à demander si le sujet provient d'un pays
africain contaminé, ne sera plus applicable. Faudra-t-il
alors faire passer des tests approfondis à tous les
grippés, afin de séparer les faux-positifs
des positifs? Le système de santé sera vite
débordé, non seulement par le nombre des malades
déclarés, mais par la nécessité
de multiplier par prudence des milliers ou millions d'examens
qui se révélerait ensuite inutiles.
Un autre
problème est désormais à l'ordre du
jour, concernant la prévention de la contagiosité.
Celle-ci suppose des équipements spéciaux
coûteux, devant en principe être détruits
rapidement après usage. Or ils commencent à
manquer dans les pays infectés. Il en sera rapidement
de même dans les pays menacés d'infection.
Qui paiera et plus spécifiquement qui lancera les
actions de production et de distribution susceptibles de
pallier ces ruptures de stocks.
Concernant la contagion, il faut ajouter que si le virus
semble exclusivement (à ce jour) se transmettre par
contact avec des "fluides corporels" , ces contacts
peuvent se faire travers des objets manipulés par
une personne atteinte touchant des objets extérieurs:
combinaisons de protection, poignées de porte, voire
pièce de monnaie. Le virus y demeure actif selon
des durées de plusieurs jours à quelques heures,
selon le support.
L'appel
à l'armée
En cas
d'urgence nationale, un gouvernement pourrait considérer
qu'il doive faire appel à la police ou à l'armée
pour mettre un semblant d'ordre dans une situation devenue
incontrôlable. Mais ce serait courir le risque de
contaminer rapidement les policiers ou militaires. De plus,
aussi disciplinés et dévoués que soient
ces personnels, il serait compréhensible que certains
d'entre refusent d'obéir à des ordres dépassant
évidemment ceux auxquels ils considéraient
de leur devoir d'obéir.
Par
ailleurs, comme beaucoup des Etats atteints, aujourd'hui
en Afrique, verront très vite s'écrouler le
peu qu'ils possédaient de structures institutionnelles,
les pays riches devront-ils envoyer des troupes prétendument
au secours de ces Etats en faillite. D'ores et déjà,
Barack Obama, qui vient de décider l'envoi de quelques
5.000 hommes en Afrique de l'ouest, s'est fait (non sans
de bonnes raisons selon nous) accuser de vouloir introduire
dans ces pays la présence de l'Africa Command dont
les gouvernements avaient précédemment déclaré
vouloir se passer.
Même s'il s'agissait de troupes sous mandat de l'ONU,
elles seraient nécessairement très mal accueillies
au vu des mesures de prophylaxie qu'elles seraient obligées
d'imposer. Les ONG occidentales ne le seront pas mieux.
Ainsi l'USAID, principale ONG américaine, est souvent
à juste titre considérée comme un faux-nez
de la CIA ou du Pentagone . Seule, Médecins sans
frontières (MSF) semble échapper à
ces critiques. Mais elle le paiera durement du fait de la
mortalité qui frappera nécessairement ses
volontaires.
Vaccins
et sérums
L'appel
aux vaccins, destinés à prévenir la
contagion, et aux sérums, destinés à
soigner des malades déjà infectés,
est présenté comme la solution la plus efficace
permettant de bloquer la diffusion du virus. Mais généralement
ceux qui en parlent dans les médias ne se rendent
pas compte des difficultés qu'il faudra résoudre,
ni des obstacles pratiques qu'il faudra surmonter, pour
que de tels remèdes surviennent à temps. Une
course de vitesse est désormais engagée entre
les recherches médicales et la diffusion du virus.
Rien ne dit que l'humanité pourra la gagner, malgré
les ressources de la science.
Jusqu'à
présent, le virus Ebola avait été considéré
comme de diffusion locale, dans des pays dont l'état
sanitaire ne mobilisait pas les grands industriels de la
recherche médico-pharmaceutique (les « big
Pharma », selon le jargon). Quelques recherches avaient
été mollement menées au début
des années 2000 à l'instigation du département
américain de la défense, étudiant les
risques de bio-terrorisme. Mais rien de grande ampleur n'en
était sorti. A ce jour, dans la suite de ces recherches,
deux vaccins comportant l'ajout de protéines d'Ebola
dans un virus inoffensif, ont été annoncés.
L'un
par une petite entreprise américaine nommée
Newlink
Genetics l'autre par le géant britannique GSK.
Ils semblent agir chez des macaques, mais n'ont pas encore
été testés chez des humains.
Or des
tests, généralement impérativement
requis dans des situations normales, paraissent en ce cas
impraticables. Il faudrait selon les informations données
par les experts, administrer le sérum à au
moins 5000 personnes avant de placer ceux-ci dans des situations
à risque. Il a été dit que les travailleurs
médicaux travaillant déjà sur le terrain
pourraient accepter de courir ce risque, mais cela parait
improbable. Pour bien faire, ils devraient en effet accepter
de ne pas se protéger. De toutes façons, le
temps nécessaire à ces tests sera beaucoup
trop long pour que des enseignements utiles puissent en
être tirés.
Certains
spécialistes persistent à penser que le protocole
des tests ne doit en aucun cas être allégé
ou supprimé. Mais d'autres considèrent aujourd'hui
que le taux de mortalité est si important qu'il faudrait
sans attendre vacciner le plus grand nombre possible de
personnes, soit à partir des vaccins cités
ci-dessus, soit à partir d'autres souches qui seront
par ailleurs présentées (La Russie vient d'annoncer
pouvoir disposer de 3 vaccins expérimentaux d'ici
6 mois),. Ceci sans se préoccuper des risques. Ceux-ci
ne seront pas plus élevés que ceux découlant
du parti pris de ne rien faire.
L'organisation
mondiale de la Santé vient de
se réunir en urgence le 5 septembre à Genève.
Il y a été dit que pour bloquer l'épidémie,
face au million de cas prévu à la fin de l'année,
il faudrait plusieurs milliers de doses de vaccins (non
testés) à cette date pour commencer à
agir. En fait, il en faudrait plusieurs millions, davantage
encore si l'on voulait vacciner des populations non encore
en risque immédiat.
Or,
il ne suffit pas de décider d'une telle politique
pour qu'elle devienne immédiatement applicable, ceci
dans les délais de quelques semaines qui seraient
nécessaires. Les grosses firmes pharmaceutiques,
même abondamment subventionnées, ne pourraient
pas fabriquer en temps utile les doses nécessaires.
Si elles le pouvaient, manquerait alors le personnel de
santé, ou les civils formés à cette
fin, nécessaires aux opérations de vaccination
sur le terrain. Et que se passerait-il si les vaccins utilisés,
comme certains anti-rétroviraux auxquels on pense
par ailleurs, se révélaient finalement sans
action. Et que se passerait-il si le virus mutait dans l'intervalle,
en acquérant davantage de virulence, au lieu d'en
perdre comme il avait semblé le faire lors des épidémies
précédentes.
Alors
ne survivrait qu'une petite moitié de l'humanité,
faite d'individus semblables à ceux qui, pour des
raisons encore inconnues, survivent d'ores et déjà
à l'infection. On voit que les économistes,
qui pour le moment ne s'inquiètent que des pertes
commerciales en provenance d'Etats africains de plus en
plus paralysés par l'Ebola, sont loin du compte.
Articles
précédents sur notre site:
* http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2014/149/ebola2.htm
*
http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2014/149/ebola.htm
* http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2014/148/ebola.htm
Autres
articles
* Dans
cet article Bloomberg, analyste financier, constate les
réductions importantes dans les budgets de santé
américains rendant la lutte contre les épidémies
de plus en plus difficile
http://www.bloomberg.com/news/2014-10-03/ebola-flew-to-dallas-as-budgets-to-fight-disease-waned.html