Politique.
Les Etats-Unis et la lutte contre l'Etat islamique 23/09/2014
Début
septembre, Barack Obama a déclaré quasi unilatéralement,
la guerre contre « l'Etat islamique ».
Mais pour le moment il se limite à des frappes aériennes,
certes efficaces dans l'instant mais qui n'obtiendront pas
de résultats à terme. A la Conférence
de Pais du 15 septembre, une trentaine d'Etats, ainsi que
le Conseil de Sécurité de l'ONU, ont décidé
de mener une intervention d'ensemble.Or celle-ci, à
part quelques frappes aériennes françaises,
semble devoir se limiter à des paroles.
Aucune
des actions en profondeur dont pour notre part nous avions
proposé une liste (Cf La
lutte contre les égorgeurs ) ne seront entreprises.
La situation sur le terrain reste inextricable, incompréhensible
même pour qui n'a pas d'éléments d'informations
suffisants. L'Etat islamique a encore de beaux jours devant
lui. Et il continuera à recruter de jeunes djihadistes
en Occident.
Nous proposons ici des extraits de deux analyses de la situation
actuelle, partant de points de vue différents, mais
qui pourraient faire conclure à la nécessité
d'une intervention au sol, sous pavillon de l'ONU, de troupes
susceptibles, non seulement de ramener le calme, mais de
faire négocier des solutions politiques.
Mais pour ce faire, il faudra bien connaître les aspects
religieux et tribaux de la situation actuelle. Il ne paraît
pas possible de faire confiance à l'Amérique
pour ce faire.
Les découpages et les intertitres sont de nous. Jean-Paul
Baquiast pour Automates Intelligents.
1. Analyse de Pierre-Jean Luizard, Directeur de recherche
au CNRS
Médiapart http://www.mediapart.fr/journal/international/210914/luizard-nous-sommes-dans-le-piege-tendu-par-l-etat-islamique
Lislam dans les pays arabes du Moyen-Orient nest
pas une simple spiritualité, et la politique nest
pas, loin sen faut, indépendante de la religion.
La direction religieuse chiite a une longue tradition dintervention
dans les affaires politiques. De grands ayatollahs ont directement
dirigé les mouvements de lutte contre la mainmise
européenne sur les économies dIran et
de lempire ottoman, mais aussi contre les occupations
par les puissances européennes durant la Première
Guerre mondiale : en 1914-1918, de grands ayatollahs
se sont ainsi transformés en chefs de guerre, dirigeant
le djihad sur le terrain contre linvasion britannique.
La révolution de 1920 contre le mandat britannique
a également été dirigée
par un grand ayatollah chiite.
...
Il ny a pas de séparation, en contexte chiite
ou sunnite, entre religion et politique. Dautant moins
que les systèmes politiques fondés par la
Grande-Bretagne en 1920 et par les États-Unis en
2003 étaient assis sur un système communautaire
à la libanaise, mais inavoué. Aux débuts
de lÉtat irakien, on ne parle pas de chiites
ni de sunnites, mais une fois la défaite du mouvement
chiite consommée en 1925, cest bien un État
sunnite qui sest mis en place, avec un certain nombre
En
2003, les Américains se sont retrouvés face
aux mêmes enjeux que les Britanniques en 1920. Dans
la société irakienne, dans le contexte dune
occupation étrangère, on ne peut pas sadresser
aux électeurs sur des bases citoyennes. Il y a des
réflexes primaires, claniques, tribaux, locaux et
communautaires, qui lemportent. Les Américains
nont pas sciemment tenté de reconstruire lIrak
sur des bases confessionnelles, mais cest la réalité
qui sest imposée à eux dans un contexte
doccupation. Ils auraient très bien pu essayer
de ressusciter un leadership sunnite, mais le traumatisme
de la chute de Saddam Hussein pour les sunnites a fait que
les Américains ont été contraints de
sadresser à lopposition.
Un système des quotas à la libanaise
Les
Américians ont mis en place un système des
quotas, avec un président kurde et deux vice-présidents
sunnite et chiite, un chef de gouvernement chiite et deux
vice-chefs de gouvernement kurde et sunnite, un chef du
parlement sunnite et deux vice-présidents chiite
et kurde, et ainsi de suite dans tous les ministères
Ce système, fondé par les Américains
a mis moins de dix ans à seffondrer. Son vice
est qu'il comporte toujours des exclus. Il ne se réfère
pas à la réalité du système
politique en place aujourdhui, dans la mesure où
les bases communautaires condamnent les différents
acteurs à avoir la place de leur poids démographique.
Cest en raison de cette confusion entre majorité
démocratique et majorité démographique
quon a abouti au sentiment justifié des Arabes
sunnites de perte de leur « irakité ».
Traditionnellement, les chiites en Irak, où ils sont
majoritaires, sont beaucoup plus attachés aux idéologies
quon appelle « irakistes »,
par contraste avec les idéologies nationalistes arabes
(qui font des chiites une minorité dans un monde
arabe majoritairement sunnite).
Mais dans le système actuel, les Arabes sunnites
nont pas dautre perspective que de demeurer
une minorité sans ressource et sans pouvoir. Ils
se détournent aujourdhui de lÉtat
irakien pour regarder vers leurs frères en arabité
et en islam, de lautre côté de la frontière,
en Syrie, avec lesquels ils sont souvent liés tribalement
et familialement. Cette frontière est totalement
artificielle.
Le système que les Américains ont légué
aux Irakiens est un système à la libanaise,
même si rien nest dit à ce sujet dans
la Constitution, hormis la reconnaissance de lidentité
kurde. Les tentatives de sortir du confessionnalisme, qui
avaient recueilli la majorité des suffrages des Irakiens
lors des dernières élections, notamment la
liste de lÉtat de droit de Nouri al-Maliki
et al-Iraqiya de Iyad Allawi, nont pas fonctionné.
Les sunnites qui avaient abandonné leur boycott ont
voté massivement pour al-Iraqiya, qui est devenu
une liste sunnite. Et Nouri al-Maliki a regagné le
giron de la maison commune chiite. Donc cest bien
un système communautariste et confessionnaliste qui
échoue aujourdhui et qui explique leffondrement
de lÉtat irakien.
...
On accuse Maliki de tous les maux, dautoritarisme
et de sectarisme. Mais Maliki ou un autre, cela aurait été
la même chose. Ce ne sont pas les hommes en loccurrence qui
sont importants. Maliki sest fait élire à
la tête de sa liste de lÉtat de droit,
ce qui veut bien dire ce que ça veut dire, sur la
promesse de la fin des quotas et de la fin du confessionnalisme
qui a causé tant de morts, notamment durant la guerre
civile de 2005 à 2008.
Dans
le contexte des institutions actuelles, votées sous
un régime doccupation étrangère,
la classe politique a été élue et renouvelée
sous ce régime. Dans un tel système, les élus
ne sont pas libres. Sils veulent garder leur poste,
ils doivent obligatoirement satisfaire un certain nombre
de réseaux clientélistes qui les ramènent
à des solidarités locales, puis confessionnelles.
Dans ce système, tout ce qui est donné à
dautres, en termes de financement ou dinfrastructures
par exemple, est perçu comme étant en moins
pour soi. Si Maliki na pas répondu aux attentes
majoritaires de la population den finir avec le confessionnalisme
et les quotas (la muhassasa), cest très largement
à cause des institutions. Voulant conserver le pouvoir,
et ne pouvant pas compter sur les sunnites, il a dû
revenir dans le bercail des partis religieux chiites.
Les
sunnites, eux, se souviennent quils ont eu le monopole
de lÉtat depuis toujours et quils sont
majoritaires au-delà des frontières de lIrak.
Si la seule solution quon leur propose est de rester
une minorité sans ressource ni pouvoir, lÉtat
islamique leur apparaît comme une meilleure solution.
L'exemple déçu des printemps arabes
Les
Arabes sunnites dIrak ont tenté dutiliser
les printemps arabes et, par mimétisme, de faire
valoir leur volonté de réformes. Il y a eu
lillusion parmi de nombreux Arabes sunnites quils
pouvaient trouver leur place dans ce système moyennant
un certain nombre de réformes quils ont demandées
à Maliki, sans voir que celui-ci était coincé
par sa base électorale et qu'il ne pouvait pas les
satisfaire.
Il y a eu un mouvement de protestation pacifique au début,
avec des sit-in, et les djihadistes nont connu
leur essor rapide qu'à partir du moment où
la force armée a été massivement employée
par le gouvernement. Dabord contre Falloujah (tombée
aux mains de lÉtat islamiste en janvier 2014),
et ensuite contre ces mouvements protestataires pacifiques,
avec lutilisation de méthodes dignes du gouvernement
syrien de Bachar el-Assad avec bombardement de quartiers
dhabitations, dhôpitaux
À partir de ce moment-là, il y a eu un renversement
brutal de tendance. Les leaders locaux, qui sont ceux
qui comptent, les chefs de tribu, de clan et de quartier,
ont réalisé que leur tentative dintégration
était un échec. Le seul protagoniste qui leur
faisait une offre politique, dautant plus alléchante
quil proposait de leur donner le pouvoir local, était
lÉtat islamique. Du coup, il la emporté
très rapidement.
Le mode de domination de l'Etat islamique
LÉtat
islamique a expérimenté à Falloujah
un nouveau mode de domination sur les villes, à savoir
de remettre le pouvoir entre les mains des acteurs locaux.
À Falloujah ou à Mossoul, les djihadistes
nont occupé la ville que quelques jours, avant
de remettre le pouvoir à des milices locales dépendant
de chefs de quartier, moyennant un certain nombre de conditions
dallégeance envers lÉtat islamique.
Les miliciens de lÉtat islamique sont en dehors
de ces villes.
Il est vrai aussi que larmée irakienne sétait
comportée, notamment à Mossoul, comme une
armée doccupation. Cela explique que larrivée
des djihadistes ait été considérée
comme une libération pour beaucoup de gens, même
si certains ont préféré fuir. À
cela il faut ajouter la duplicité des dirigeants
kurdes, qui nont pas toujours été ce
rempart contre les djihadistes que lon veut faire
valoir aujourdhui.
...
L'Etat islamique comporte une trentaine de milliers de combattants
irakiens, arabes et étrangers non arabes. En Irak,
cela regroupe limmense majorité du spectre
salafiste, mais aussi de la branche irakienne dAl
Qaïda. On ne trouve pas en Irak de dichotomie comme
en Syrie entre Jabhat al-Nosra et lÉtat islamique.
Il y a ensuite une alliance avec dautres groupes irakiens
très différents. La base militaire la plus
importante est celle des tribus et, pour les villes, des
chefs de quartier et de clan. ...
Tous
ces groupes-là ont des intérêts qui,
aujourdhui, convergent, parce quon est dans
un contexte deffondrement de lÉtat. Finalement,
lÉtat islamique est surtout fort de la faiblesse
de ses adversaires. Toute sa rhétorique transfrontalière
et transnationale qui, au début, paraissait chimérique,
si l'on considère quelle incluait danciens
dirigeants de l'armée irakienne, a finir par prendre
corps.
Cette
alliance semble solide tant quil ny aura
pas en face des propositions politiques qui pourront dissocier
les Arabes sunnites de l'État islamique. On ne leur
fera pas une seconde fois le coup des conseils Sahwa (des
miliciens sunnites payés et armés par les
Américains pour combattre Al Qaïda dans la province
dal-Anbar à partir de 2007).
L'effondrement des institutions locales
Il
y a un an, lÉtat islamique était un
groupuscule. Il a réussi sa progression fulgurante
grâce à leffondrement des institutions
locales, et grâce au fait quil a établi
avec des alliés locaux une alliance qui tient bon.
Mais aussi parce quen face, il ny a aucune autre
proposition. Cest la très grande faiblesse
de la conférence internationale qui a eu lieu à
Paris début septembre 2014 : elle ne propose
quun volet militaire, incomplet parce que sans troupes
au sol, mais surtout sans aucun volet de proposition aux
Arabes sunnites.
Il
faudrait offrir quelque chose à destination de toute
une population qui se sent exclue aujourdhui, afin
qu'elle trouve un intérêt à se dissocier
des djihadistes. Mais jusquà présent,
hormis quelques accrocs avec certaines tribus, plus en Syrie
quen Irak dailleurs, il y a une forte unité.
On a vu au mois de juillet un très grand rassemblement
à Mossoul de tous les dirigeants locaux de la ville :
ils se sont juré fidélité sur un certain
nombre de principes, dont celui de ne jamais autoriser le
retour de la police ou de larmée irakiennes
dans la ville.
...
Dans les zones contrôlées par l'Etat islamique,
les djihadistes ont appliqué en Irak la politique
déjà pratiquée en Syrie (à Raqqa
et à Deir ez-Zor), cest-à-dire assurer
un certain nombre de services publics que lÉtat
irakien avait abandonnés.
Aujourdhui,
les marchés sont totalement approvisionnés,
il ny a plus de pénuries, qui étaient
parfois organisées par le gouvernement irakien pour
punir telle ou telle population. Le racket a totalement
disparu. Circuler dans Mossoul est devenu extrêmement
facile alors quavant il y avait partout des check-points
de larmée irakienne, qui se conduisait comme
une armée doccupation. Il y a eu des exécutions
publiques de ceux qui avaient pratiqué la politique
de racket et de pénurie.
LÉtat
islamique a compris quil devait rendre le pouvoir
à des acteurs locaux et quil devait assurer
les services publics minimaux, et être sans concession
par rapport à la corruption. Les prix ont baissé
dune façon incroyable sur les marchés
de Mossoul.
Il y a évidemment un revers de la médaille
aux conditions du retrait des djihadistes de la ville :
les populations ne doivent utiliser que les emblèmes
de lÉtat islamique, il y a des consignes vestimentaires
strictes, et il y a une répression sans pitié
pour les adversaires de lÉtat islamique. Les
minorités religieuses, chrétiennes, yézidies
ou shabaks, sans parler des chiites, sont en passe dêtre
éradiquées, soit par une violence directe
implacable, soit par la menace. Mais on ne connaît
pas très bien la situation, car il y a un parti pris
de lÉtat islamique de jouer sur une communication
de la terreur.
Communication de la terreur
Cette
terreur existe certainement, mais on ne sait pas si tout
ce que lon impute à lÉtat islamique
est vrai, ou si les rumeurs sont une façon de maintenir
une emprise sur des populations hésitantes et de
défier les pays occidentaux. Il y a par exemple eu
la rumeur selon laquelle lÉtat islamique avait
ordonné lexcision des femmes : cétait
faux.
Cette communication de la terreur sert à traumatiser
les opinions occidentales. Les djihadistes les connaissent
bien, car un nombre important de combattants sont originaires
de nos pays, sachant que cela obligerait nos dirigeants
politiques à faire ce quils ont fait, cest-à-dire
déclarer la guerre à lÉtat islamique
sous le coup de lémotion et du choc des images,
ceci sans même prendre le temps de développer
une stratégie politique pour accompagner une stratégie
militaire, dont le couplage est seul capable de vaincre
lÉtat islamique.
Nous
sommes tombés dans le piège puisque lÉtat
islamique apparaît aujourdhui aux yeux des autres
djihadistes comme le principal groupe : la prétention
califale dAbou Bakr al-Baghdadi prend toute sa dimension
dans le fait quil est à la pointe du combat
contre « les croisés ».
Jen veux pour preuve les appels de deux branches dAl
Qaïda à ne plus se combattre entre djihadistes
et à apporter toute laide nécessaire
à lÉtat islamique face à la coalition
dirigée par les États-Unis.
...
Les Kurdes
Concernant
le rôle des Kurdes dans la lutte contre l'Etat islamique,
les dirigeants occidentaux sont dans un dilemne : il
y a une urgence à contrer lavancée fulgurante
de lÉtat islamique et, dans ce contexte, les
deux seules forces disponibles sont les peshmergas dun
côté et l'armée irakienne de lautre.
Or le problème vient du fait que ces deux forces
ont été, les premières, les fossoyeurs
de lunité irakienne et quelles ont largement
contribué à la dissidence des Arabes
sunnites.
On imagine mal les Kurdes, obsédés par le
Grand Kurdistan, rentrer dans leurs trois provinces après
avoir récupéré un certain nombre de
territoires disputés. Ailleurs, les villes qui ont
été reprises par larmée irakienne
ne lont été que parce que cétaient
des villes qui nétaient pas peuplées
majoritairement par des sunnites, mais qui étaient
soit turkmènes-chiites soit kurdes-chiites.
Les Kurdes vont vouloir être payés de retour
pour le « service » quils ont
rendu aux pays occidentaux. Et ce retour ne peut être
quune reconnaissance de leur indépendance et
de leur annexion de territoires disputés.
On est dans un cercle vicieux où, quoi quon
fasse, on est entraîné dans la spirale communautaire
et confessionnelle. C'est sans doute le plan de lÉtat
islamique : nous entraîner dans une lutte confessionnelle
où nous navons rien à faire, pour nous
faire apparaître comme les ennemis de lislam
sunnite.
Un
volet politique s'impose
Le
problème est politique et aucune solution purement
militaire ne pourra simposer si elle nest pas
accompagnée dun volet politique. Il y a un
processus de confessionnalisation des sunnites, qui est
tout à fait nouveau et qui fait que les retournements
tribaux sont beaucoup plus difficiles. Il y a désormais
une conscience politique sunnite qui a émergé
et qui explique quil y ait très peu de retournements :
les enjeux sont toujours locaux, mais ils sont directement
liés à des enjeux transnationaux.
Il
y a un an, les Arabes sunnites dIrak ne considéraient
pas la frontière syro-irakienne comme devant être
effacée, alors quaujourdhui le discours
transnational de lÉtat islamique rencontre
un écho grandissant auprès dune population
qui refuse lavenir qui lui est promis dans le cadre
des institutions irakiennes actuelles.
Or LÉtat irakien ne peut pas se réformer
parce quil est construit sur des bases confessionnelles,
et que chaque politicien est prisonnier dune base
électorale locale, régionale et confessionnelle
dont il ne peut pas sémanciper sil ne veut
pas perdre son mandat. Ce sont les institutions irakiennes
quil faudrait remettre à plat, en particulier
la Constitution mortifère de 2005, votée sous
un régime doccupation américaine, et
qui piège tous les acteurs politiques et religieux
irakiens.
C'est ce quil aurait fallu faire lors dune conférence
internationale : coupler laction sur le terrain,
qui ne devrait pas se limiter à des frappes aériennes,
mais devrait inclure des actions au sol qui ne peuvent pas
être le fait de larmée irakienne ni des
Kurdes qui sont des protagonistes de la crise, avec des
solutions politiques.
Il faudrait que des troupes onusiennes interviennent au
sol, afin de créer les conditions propices à
une vaste consultation de la population sous légide
de lONU, avec des questions comme celles que les Irakiens
se sont déjà vu poser lors dun référendum
en 1918 : « Dans quel État voulez-vous
vivre ? Voulez-vous vivre dans lÉtat irakien
et avec quelles frontières ? Et sinon, quelle
entité souhaitez-vous rejoindre ? »
Et contrairement à ce qui a été fait
en 1918 par la puissance occupante britannique, il faudrait
que la communauté internationale sengage à
respecter ce choix.
Il y a un choix auquel on néchappera pas, cest
lindépendance du Kurdistan. Mais si les Arabes
sunnites disent majoritairement : « Nous
voulons lunion avec nos frères syriens de la
vallée de lEuphrate », il faudra
respecter leur choix. Si les États de la région
ont aussi facilement accueilli des régimes autoritaires,
et pendant aussi longtemps en Irak, en Syrie, en
Libye
cest aussi parce quil
sagissait de créations coloniales artificielles
qui ont séparé des populations ou qui en ont
autoritairement réuni dautres, et qui ont surtout
manifesté la trahison, par les Alliés, des
promesses quils avaient faites aux Arabes dun
royaume unifié.
2. Analyse de Résistance
Comment
et pourquoi les États-Unis ont créé
lÉtat islamique
http://www.resistance-politique.fr/article-comment-et-pourquoi-les-etats-unis-ont-cree-l-etat-islamique-124630848.html
Résistance
est un collectif de membres du Parti Communiste Français
(fédération du Nord, section de Lille).
La progression
spectaculaire et jusque-là incoercible de lÉtat
islamique a de nouveau placé lIrak sous le
feu des projecteurs. Si les médias sont prolixes
pour décrire les atrocités du prétendu
califat, ils le sont beaucoup moins lorsquil sagit
de dire quelle est son origine et qui sont exactement ceux
qui sen réclament. LÉtat islamique
ne surgit pourtant pas de nulle part. Il est le fruit de
la politique impérialiste américaine au Moyen-Orient
dont les racines remontent au chaos irakien post-Saddam
Hussein et au récent conflit syrien. Pour bien comprendre
son rôle exact, il convient danalyser brièvement
la politique américaine dans le monde arabe dans
les trente dernières années.
L'islamisme
a longtemps été l'allié obectif des
Etats-Unis
Lislamisme
a été au cours de cette période lallié
objectif de Washington au Moyen-Orient. Il est aujourdhui
le prétexte qui permet aux États-Unis dintervenir
dans les pays arabes, soit pour défendre les « bons
musulmans » dans leur quête de liberté,
soit pour combattre les « mauvais »
qui menacent la sécurité de la planète.
Pendant la Guerre froide, lislam conservateur était
lallié des États-Unis. Il permettait
à ces derniers de contenir lexpansion du communisme
et linfluence soviétique dans le monde arabe.
Une révolution éclata le 27 avril 1978 en
Afghanistan, avec pour résultat larrivée
au pouvoir du Parti populaire démocratique dAfghanistan.
La proclamation de la République démocratique
dAfghanistan lui fut concomitante. Les tentatives
faites par les dirigeants du pays de mettre en uvre
de nouvelles réformes qui auraient permis de surmonter
le retard structurel du pays se heurtèrent rapidement
à une résistance acharnée de la part
de lopposition islamique. Une guerre civile éclata.
Fin 1979, larmée soviétique intervint
pour soutenir le régime progressiste en place. La
CIA sappuya alors sur les groupes islamistes, utilisant
lislam radical pour unir les musulmans contre les
Soviétiques. On estime que 3,5 milliards de dollars
ont été investis sous ladministration
Reagan pendant la guerre dAfghanistan. Après
le retrait russe en 1989, les États-Unis ont cessé
de fournir des armes sans toutefois rompre les liens avec
les moudjahidines afghans. Ils ont ainsi maintenu entre
1994 et 1996 des relations avec les talibans, leur
fournissant cette fois-ci un soutien politique par le biais
de lArabie saoudite et du Pakistan.
Ladministration Clinton espérait secrètement
pouvoir créer un front anti-iranien et anti-chiite
pour restreindre linfluence de lIran dans la
région. Al-Qaïda est né dans ce
contexte. En 1993, le quotidien britannique The Independent
publiait un entretien avec Oussama Ben Laden, lequel était
censé mettre son armée sur la route de la
paix (sic).
Cette stratégie a dailleurs été
également utilisée sous la présidence
Clinton dans les années quatre-vingt-dix, lorsque
la KFOR, cette force multinationale mise en uvre par
lOTAN, intervint aux côtés des narcotrafiquants
de lUCK pour instaurer la domination de lalliance
atlantique sur les Balkans et installer une base militaire
étasunienne au Kosovo.
Les
amis d'hier deviennent les ennemis d'aujourd'hui
Mais
un changement radical sopère sous lère
Bush : complices dans les attentats du World Trade
Center, les amis dhier deviennent les ennemis daujourdhui.
La menace dun ennemi extérieur, forcément
musulman, est alors savamment entretenue par de nombreux
médias et par la propagande étasunienne. La
menace terroriste constitue concomitamment la pierre angulaire
de la doctrine militaire des États-Unis et de lOTAN.
Bien
quil ny ait aucune preuve que lIrak soit
de quelque manière que ce soit derrière les
attentats du 11 Septembre, les soi-disant « armes
de destruction massive » censées être
présentes dans le pays tiendront lieu de prétexte
pour obtenir une résolution au conseil de sécurité
de lONU en faveur dune intervention militaire.
Ironie de lhistoire, lIrak baathiste et laïc
allait ainsi être balayé au nom de la lutte
contre lislamisme.
La stratégie
opère un nouveau virage avec Obama. Les États-Unis
doivent intervenir pour défendre le Printemps arabe
et les luttes menées contre les « dictateurs »
(lire les chefs dÉtat non adoubés par
Washington). Ben Laden, maintenu en vie sous lère
Bush, disparaît en un clin dil, comme
pour éviter quil nait à rendre
compte de ses liens passés avec ses anciens bailleurs
de fond. Les islamistes, y compris les pires intégristes
du Front al-Nosra, redeviennent subitement dans les médias
de gentils étudiants en proie à la violence
des dictatures quils combattent. Cet argument servira
à Obama pour armer des milices en Libye et déposer
Kadhafi. Et peu importe que ce pays soit aujourdhui
un enfer à ciel ouvert en proie aux extrémistes
de tous poils du moment que les Américains en exploitent
le pétrole.
La Syrie
a failli connaître le même sort. Les Occidentaux
y ont sous-traité le conflit à leurs amis,
les pays du Golfe et à lArabie saoudite en
particulier, pensant que cela accélèrerait
la chute du président Assad. Et cest ainsi
quont été constitués aux portes
de lEurope des groupes islamistes
avec deux
fois plus de combattants quil ny en avait en
Afghanistan.
Une aubaine pour la plupart des djihadistes qui allaient
se regrouper sous la bannière de lorganisation
« État islamique ». Sunnite
dobédience fondamentaliste, cette dernière
a proclamé le 29 juin 2014 le rétablissement
du califat sur les territoires syrien et irakien quelle
contrôle. Lintervention militaire étasunienne
en Irak et le renversement en 2003 du président Saddam
Hussein ont dynamité léquilibre interne
fragile entre la majorité chiite et la minorité
sunnite dun des rares États laïcs arabes.
Dans
lanarchie et le chaos qui ont suivi, lislam
politique a dautant plus réussi à recueillir
un large consensus au sein de la minorité ethnique
sunnite quun million danciens membres de lappareil
de sécurité, de larmée et du
parti Baas, charpente du régime de Saddam Hussein,
pour la plupart sunnites, sont mis au ban de la société
par les Américains. « Dans la mouvance
salafiste-djihadiste, la mise à lécart
de ces sunnites propulse les chiites, nouveaux maîtres
du pays, en ennemis numéro un », explique
Romain Caillet.
Le premier minstre Maliki a déçu les USA
Les
États-Unis ont alors cru pouvoir mettre en place
un gouvernement fantoche qui se prêterait aux intérêts
économiques et politiques de lOccident. Mais
ce projet a fait long feu. Le Premier ministre chiite Maliki
sest révélé être un chef
de file difficilement manipulable et surtout peu enclin
à se soumettre aux ordres des occupants. Crime de
lèse-majesté, il sest insurgé
contre les compagnies pétrolières occidentales
qui cherchaient à tirer un profit considérable
des vastes réserves dénergie de lIrak.
En 2012, ExxonMobil avait ainsi signé un accord dexploitation
pétrolière avec la région kurde semi-autonome
située au nord de lIrak. Maliki avait logiquement
rejeté cet accord, faisant remarquer que tout contrat
sur le pétrole devait être négocié
avec le gouvernement central de Bagdad et non avec le gouvernement
régional du Kurdistan dirigé par Massoud Barzani.
Ce dernier, cest un secret de polichinelle, appelle
sans relâche à la création dun
État kurde. Or, le Kurdistan représente une
base avancée pour le déploiement de la puissance
militaire américaine en Irak. Sa situation permet
de surcroît de faire éventuellement pression
sur lIran.
Israël
Enfin,
le niveau de coopération entre Israël et les
Kurdes a augmenté de façon significative après
la chute de Saddam Hussein. Les partisans du rapprochement
avec lentité sioniste, nombreux au Kurdistan,
pensent quils ont quelque chose à offrir à
lÉtat juif. Ce partenariat, affirment certains,
pourrait créer un nouvel équilibre des pouvoirs
au Moyen-Orient, et cette évolution serait très
bénéfique pour Israël. Dans ce contexte,
il est intéressant de se pencher également
sur la question du Kurdistan syrien où lOccident
aurait tout intérêt à voir se mettre
en place une région autonome. Les bases dun
État kurde viennent ainsi dêtre insidieusement
posées
à condition, cela va de
soi, que le nouveau-né sintègre à
la sphère dinfluence israélo-américaine
dans la région. L'indépendance a un prix
Après avoir armé lÉtat islamique
en Syrie, les États-Unis voient aujourdhui
les hordes barbares djihadistes envahir lIrak. La
déstabilisation de ce pays, tout comme de la Syrie,
fait partie du projet de démembrement du monde arabe
sur des bases ethniques, confessionnelles ou tribales. Les
multinationales nont cure de la confusion générée
par cette situation, le principal étant pour elles
de contrôler les champs pétroliers
et
quIsraël survive en tant quÉtat
juif.
La stratégie du chaos
De la
chute du bloc socialiste au 11 Septembre, une dizaine dannées
aura ainsi été nécessaire pour instituer
un ennemi de substitution au communisme, le terrorisme.
Le cadre, cest la stratégie du chaos, fait
de désinformation systématique diffusée
par des officines officielles, de mesures liberticides contre
leurs propres concitoyens, doccupations armées
et de mainmise politique sur des peuples ayant perdu leurs
initiatives civiques et leurs immunités.
La doctrine,
cest la préemption militaire où faire
fi des lois et de léthique est légitimé
et où les justifications et les preuves sont délibérément
manipulées pour fonder le massacre des néo-barbares
dans une guerre totale du camp du bien contre laxe
du mal. Au terrorisme tout court, les États-Unis
répliquent par le terrorisme dÉtat.
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