Editorial.
Terrorisme.
Ne pas se faire imposer les stratégies des autres
Jean-Paul
Baquiast, Christophe Jacquemin 24/09/2014
Certains
lecteurs nous reprocheront peut-être un article qui
s'éloigne des prétentions scientifiques que
nous affichons dans cette revue. Nous ne le pensons pas.
D'une part, science ou pas, nous avons le devoir de ne pas
rester indifférents dans un débat qui intéresse
tous les citoyens. Par ailleurs, nous n'excluons pas d'aborder
ultérieurement ce sujet sous un angle plus objectif:
la question de la production et de la transmission des mèmes,
les mobiles par lesquels se mobilisent les djihadistes (Voir
à cet égard un article du New Scientist, Lifting
the black mask 13 sept 2014, p. 8).
Au
niveau des hommes politiques de gauche comme de droite,
une quasi union nationale s'est manifestée dès
l'annonce de l'assassinat du "touriste" français
en Kabylie. Chacun a soutenu l'engagement militaire de la
France contre ce que l'on appelle Daech, même si la
nature exacte de cet ennemi encore mal connu, pose encore
problème. A l'unanimité, les parlementaires
ont convenu qu'il ne fallait pas céder au chantage
en renonçant aux attaques aériennes comme
l'exigeaient les ravisseurs. Certes, deux ou trois avions
Rafales ne changeront pas grand chose à l'équilibre
des forces, mais leur action symbolique est d'un très
grand poids. Un Etat ne peut pas céder au chantage,
même si cela incite les terroristes à de nouveaux
enlèvement et attentats - d'autant plus que ceux-ci
se produiront inévitablement, que l'on cède
ou pas à leurs menaces.
Il reste
que si l'on voulait vraiment lutter contre l'extension du
soi-disant califat au Proche et Moyen-Orient, il ne suffirait
pas de suivre aveuglément les Etats-Unis. Ceux-ci
sont passés maîtres dans la manipulation des
opinions au profit de leurs intérêts. Ces intérêts
ne sont pas nécessairement les nôtres. Si l'on
voulait vraiment lutter contre le terrorisme, il faudrait
s'en prendre à ses sources. Or rien, on peut le craindre,
ne sera fait en ce sens, car cela signifierait s'en prendre
plus ou moins directement aux intérêts américains.
Nous
avions dressé une première liste des mesures
qui seraient nécessaires dans un article du 15 août
publié ailleurs. Il s'agirait d'agir sur plusieurs
fronts. Rappelons les, en actualisant certains détails:
La
question du financement international.
Les
terroristes s'alimentent désormais à plusieurs
sources dont nous sommes tous les financeurs: pétro-dollars
déjà cités, contrebande d'armes et
de produits stratégiques divers, paradis fiscaux
recyclant les bénéfices de la fraude fiscale
et de l'économie criminelle. Ces sources s'élèvent
à plus de 400 milliards de revenus divers annuels.
Toutes évidemment ne vont pas bénéficier
au djihadisme, mais une part suffisante pour les rendre
redoutables. Ne dit-on pas que les djihadistes tirent chaque
jour un revenu de 1 à 3 millions de dollars en vendant
leur pétrole. Voilà de quoi se procurer autant
d'armes qu'ils en ont besoin.
Pourrait-on
espérer d'un coup éliminer tous les comportements
maffieux, dont des intérêts américains
et européens majeurs sont les auteurs et les bénéficiaires?
Certainement pas. Mais renforcer contre eux la lutte et
les moyens des Etats s'impose cependant en priorité.
Or cela pose non seulement la question de la volonté
mais des moyens administratifs et judiciaires nécessaires.
Cette question des moyens est cruciale et nous la retrouverons
en permanence. Si guerre il y a, il faut se donner les moyens
humains et budgétaires de gagner, quels qu'en soient
les coûts pour les « consommateurs ».
Par
ailleurs, peut-on tolérer de continuer à dérouler
des tapis rouges en France pour les Etats pétroliers
du Golfe ou le Qatar, au prétexte des achats d'armes
qu'ils pourraient faire, lorsque l'on sait qu'ils financent
à tout va les divers califats afin de s'attirer leurs
bonnes grâces.
La
question de la lutte contre les recrutements djihadistes
en Europe même.
Le gouvernement
français prépare certaines mesures en ce sens,
mais déjà elles se heurtent aux inquiétudes.
Ne va-t-on pas empiéter sur les libertés civiles,
dont la France se présente encore comme le champion?
Ne va-t-on pas encourager un anti-islamisme systématique?
Mais ces deux arguments doivent être relativisés.
Le contrôle de l'Internet pour en éloigner
les sites pédophiles, par exemple, montre que des
actions sont possibles, même si elles ne sont jamais
totalement efficaces. Quant aux musulmans d'Europe, ce n'est
pas les agresser que leur demander, comme en France ils
ont commencé à le faire, de montrer qu'ils
participent à la prévention du djihadisme.
Mais
pour conduire une telle lutte se pose à nouveau la
question des moyens de police et de justice nécessaires,
aujourd'hui de plus en plus réduits compte tenu de
politiques d'équilibre budgétaire aberrantes.
Pour un djihadiste rentrant de Syrie et susceptible de conduire
un attentat, il faut afin de le surveiller faire appel,
selon un chiffre communiqué par le ministère
de l'intérieur, 50 policiers. Il convient donc évidemment
de reprendre les recrutements et les formations indispensables
n'excluant évidemment pas le dialogue avec
les citoyens dont le soutien est indispensable. Tout ceci
sans se préoccuper d'économies à la
petite semaine. La question des budgets de défense.
L'Europe
se refuse à tout effort de financement pour des forces
de défense en propre. Elle est devenue ainsi le ventre
mou d'une lutte contre les agresseurs. La France, qui a
jusqu'ici refusé ce choix catastrophique, se croit
obligée cependant, sous les pressions imposées
par les autres Etats européens, de diminuer les effectifs
et les moyens dont disposent ses forces armées. La
encore, le choix est suicidaire. Aurait-on en 1914 refusé
la mobilisation générale au prétexte
des difficultés budgétaires de l'époque?
Il ne faut pas accepter cet argument. La Banque centrale
européenne pourrait parfaitement, par exemple sous
la forme d'euro-bonds, financer les découverts nécessaires.
Mais l'Allemagne ne le veut pas. Ce n'est pas à elle
cependant, qui se repose sur les forces de défense
des autres, de donner des leçons de rigueur.
La
question des alliances
L'Europe,
et en premier lieu la France, doivent se rapprocher de la
Russie. Celle-ci a autant de raisons que nous de lutter
contre le djihadisme. Il faut donc refuser de se faire engager
par l'Amérique, comme c'est encore le cas en Ukraine,
dans une guerre insensée contre la Russie et, par
répercussion, contre les autres pays du BRICS.
Il faudra
le faire aussi avec l'Iran et la Syrie de Bashar el Assad,
quelles que soient les peurs qu'elles puissent susciter.
Les ennemis de nos ennemis doivent être nos amis,
selon la vieille formule.
Bref,
si elle voulait lutter contre le terrorisme, comme d'ailleurs
en d'autres domaines, la France ne devrait pas accepter
de se faire imposer les stratégies des autres, mais
définir et appliquer les siennes.
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