Article.
Réinventer les protéines
primitives
Jean-Paul Baquiast 03/09/2014
Il n'est
évidemment resté aucun « fossile »
permettant de se représenter puis de reconstruire
les anciennes protéines, constitutives des micro-organismes
présents sur Terre aux origines de la vie, voici
quelques 3 milliards d'années ou plus. Néanmoins
une nouvelle science, la paléobiochimie, s'efforce
de le faire. Pour cela elle utilise les banques de données
rassemblant un nombre croissant d'informations sur les protéomes
(ensemble des protéines fabriquées par une
cellule actuelle) afin d'y détecter les traces laissées
par des protéines archaïques. De la même
façon, les linguistes, en comparant différentes
langues modernes, croient pouvoir en déduire les
grandes caractéristiques d'une langue mère
oubliée de tous aujourd'hui.
Une
autre technique consiste à identifier d'anciennes
protéines dans des organismes modernes étant
restés très proches de leurs premiers ancêtres.
Il en est ainsi des protéines dite beta-lactamase,
apparues il y a environ 2 milliards d'années, ou
des thioredoxines, censée être apparues il
y a 4 milliards d'années, dont les contreparties
modernes permettent aux organismes qui en sont porteur de
s'adapter à des milieux terrestres extrèmes.
Une
Terre très différente
La Terre
primitive était très différente de
ce qu'elle est aujourd'hui: océans acides, forte
présence de CO2 et absence d'oxygène dans
l'air, températures élevées ou au contraire
très basses. Les premiers organismes avaient donc
développé des protéines elles mêmes
primitives, plus simples, leur permettant de survivre dans
cet environnement. Mieux connaître de telles protéines
permettrait de réaliser par génétique
artificielle des cellules modernes susceptibles de survivre
aux changements prévus sur Terre compte tenu des
modifications du milieu imposées par l'homme. Ceci
permettrait aussi de rechercher les traces laissées
par des organismes éventuels, vivants ou ayant vécu
sur d'autres planètes, proches de ce qu'était
la Terre aux origines.
Aujourd'hui,
les biologistes pensent qu'il existe des milliards de protéines
différentes, réparties dans tous les organismes
terrestres identifiés. Leur nombre était bien
moins grand, à des époques comme le pré-cambrien.
Mais il était certainement déjà considérable,
ayant explosé à la suite de la diversification
des monocellulaires, virus, bactéries et archea,
puis des pluricellulaires ayant succédé au
mythique LUCA (dernier ancêtre commun) . Rapprocher
les hypothèses concernant l'évolution primitive
de ces protéines, avec celles concernant l'évolution
de ces organismes, permettra de se donner une vision d'ensemble
de cette évolution, voire d'inférer certaines
des formes qu'elle pourrait prendre à l'avenir.
Une technique dite de la « résurrection
moléculaire », utilisant la génomique
artificielle
déjà citée, permettra peut-être
aussi d'obtenir des protéomes adaptés de ceux
présents aux premiers âges, et par conséquent
d'obtenir des organismes de type archaïque, dont l'étude
et le développement seraient riches d'enseignements
et peut-être d'applications - voire dans un avenir
plus lointain, de pouvoir faire renaître des espèces
depuis longtemps éteintes. Les défenseurs
du principe de précaution s'indigneront. Mais s'il
apparaissait que certaines des cellules génétiquement
modifiées comportant des protéines ressuscités
pourraient faire face à des infections devant lesquelles
la pharmacopée moderne est impuissante, leur indignation
baisserait peut-être de quelques tons.
Source
Risso et al. (2014)
Phenotypic comparisons of consensus variants versus laboratory
resurrections of Precambrian proteins. Proteins: Structure,
Function, and Bioinformatics, 82(6).
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