Economie
politique. Contre le libre-échange
à l'américaine
Contribution à un séminaire en ligne
Jean-Paul
Baquiast 20/07/2014

Introduction
Le groupe
éditorial européen LEAP/2020 (voir son bulletin
de Juin 2014 http://www.leap2020.eu/Francais_r26.html
) associé au site politique Newropeans (http://www.newropeans.eu/)
prévoit pour les prochaines semaines un séminaire
en ligne sur le thème suivant:
Les
rapports Europe-Russie considérés sous l'angle
des relations entre deux unions économiques, les
enseignements à en tirer pour un monde multipolaire
en devenir
Sous-thèmes
*Légitimité d'une région à organiser
sa propre zone de libre-échange
*La question des frontières et des limites de telles
zones de libre-échange
*Le libre-échange offre-t-il une base saine pour
l'articulation entre unions économiques régionales.
* Multipolarité globale et réinvention de
la globalisation
Anglais
"The Euro-Russia row as a result of an overlap between
two economic unions : lessons for a multipolar world in
the wake".
Sub-themes :
. the right of a region to organise its free-trade area
. the question of borders and limits of such free-tarde
areas
. questioning free-trade as a sound principle for the articulation
among regional economic unions
. global multipolarity and the reinvention of globalisation"
Nous
proposons ici des réponses à ces questions
dans le texte ci-dessous, sous le titre de
(rédaction provisoire) :
Les
peuples du monde peuvent ils accepter de se faire imposer
un libre échange à la mode américaine?
Quelques définitions:
*
On nomme généralement libre-échange
le processus supprimant toutes les barrières aux
commerces et aux activités productives entre espaces
géopolitiques se voulant indépendants les
uns des autres. Ces barrières peuvent être
douanières, fiscales, mais aussi et de plus en plus
réglementaires.
* On
considère généralement que ces barrières
visent à protéger les activités nationales
de la concurrence extérieure. Elles sont généralement
dites protectionnistes, le terme étant entendu de
façon péjorative: protéger des activités
qui refusent la confrontation sur un marché plus
large, par un souci égoïste de conservation
d'intérêts locaux non fondés. Elles
ont souvent aussi un objectif plus élevé.
Un pays peut se doter de règlements interdisant par
exemple l'importation de produits agricoles jugés
dangereux pour la consommation.
* Le
libre échange a été historiquement
présenté comme une valeur absolue, par les
écoles d'économistes se voulant précisément
libérales. Mais dès le 19e siècle,
les théoriciens ont admis la légitimité
de protéger, au moins temporairement, des industries
naissantes incapables d'affronter des concurrentes étrangères
plus développées.
* On
constate généralement que la généralisation
du libre-change provoque une amélioration des conditions
de production et des niveaux de vie au profit de chacun
des partenaires ainsi associés. Encore faut-il pour
cela que chacun d'eux puisse disposer d'atouts, fussent-ils
différents mais le mettant à égalité
avec les autres. Ainsi un pays à forte compétence
agricole pourra-t-il commercer sans barrière protectionniste
avec un autre à forte compétence industrielle,
d'une façon bénéficiaire pour les deux,
dans la mesure où les termes de l'échange
sont globalement équilibrés.
* L'histoire
économique et politique du monde montre cependant
que ces conditions se rencontrent rarement. En fait, des
pays plus « avancés » à des titres
divers, ont généralement imposé aux
pays moins avancés, non seulement d'accepter les
produits du pays avancé, mais de renoncer aux leurs
propres. Ce fut de cette façon que dès l'Antiquité
les sociétés disposant d'atouts supérieurs
aux autres ont pu coloniser (c'est-à-dire réduire
en servitude) voire faire disparaître des sociétés
en étant restées à des modes plus anciens
de production et d'échange.
On considère
généralement que les pays disposant de diverses
supériorités économiques ou techniques
les doivent à leur courage et à leurs sacrifices.
C'est parfois vrai, mais le mérite, aussi grand qu'il
soit, ne peut compenser des situations géographiquement
ou démographiquement défavorables. Les Américains,
qui ont prospéré sur des territoires plusieurs
fois plus étendus que ceux de concurrents asiatiques,
en terme de superficie rapportée aux effectifs de
la population, n'ont pas eu grand mérite à
construire leur domination. De même, des pays ravagés
par les guerres perdent nécessairement beaucoup de
puissance compétitive, surtout si ces guerres leur
sont imposées par des affrontements qui les dépassent.
Quelques
considérations géopolitiques
Appelons
géopolitiques les questions où la situation
géographique (au sens très large) d'un pays
détermine en grande partie les choix de politique
économique de ce pays, et plus particulièrement
son désir de s'inscrire dans un espace de libre-échange
partagé.
* Historiquement,
il est indéniable que le libre échange s'est
étendu à de larges portions de territoires,
à partir de régions, au Moyen-Age et sous
l'ancien régime (en Europe) se caractérisant
par de multiples féodalités et régionalismes
fermés les uns par rapport aux autres. Lorsque se
sont constitués de grands Etats nationaux unitaires
sur le modèle de la France, les particularismes des
cités et des provinces ont reculé face à
un pouvoir central imposant à tous les mêmes
règles. Il s'en est suivi qu'au sein de cet espace
commun, les régions riches se sont encore enrichies
du fait des migrations venant des régions pauvres.
Cependant, l'Etat a souvent compensé ces déséquilibres
par des politiques volontaristes de redistribution, et la
mise en place de services publics égaux pour tous.
Dans
les Etats de type fédéral, le mouvement unificateur
a été plus limité, se heurtant à
la volonté qu'ont eu les Etats fédérés
de conserver des restes de frontières, enfermant
des usages ou des avantages considérés comme
inhérents à leur culture. Sur les grandes
questions communes, l'Etat fédéral a imposé
ses propres normes, mais des spécificités
d'un Etat fédéré à l'autre ont
été conservées. Ce fut le cas aux Etats-Unis
ou même en Allemagne. En Chine ou en Inde, les compétences
et spécificités régionales ou locales
sont demeurées encore très importantes aujourd'hui.
* Dans
les ensemble pluri-étatique dits aussi régionaux,
dont l'Union Européenne offre l'exemple le plus achevé,
l'harmonisation se traduisant par des législations
communes et la disparition des frontières intérieures
est considérée comme un objectif globalement
souhaitable, mais sous de multiples exceptions et réserves.
Le domaine de la monnaie commune, avec la création
de l'euro, offre un exemple, d'ailleurs encore imparfait,
d'abaissement des barrières entre Etats. Il en est
de même des mouvements de personnes physiques et de
marchandises, le libre échange s'étant imposé
au sein d'une grande partie des Etats membres.
D'une
façon générale, cette situation n'a
pas été acceptée sans résistances.
Les Etats pauvres se sont plaints d'être envahis par
les production des Etats plus développés,
ce qui a provoqué un certain nombre de migrations
intérieures. A leur tour, les Etats plus riches se
sont plaints de cette mobilité interne à l'Union,
entrainant un alignement vers le bas des salaires et protections
sociales (cf. le cas devenu emblématique du plombier
polonais, aujourd'hui remplacé dans les imaginaires
par un émigré roumain). Les rééquilibrages
volontaristes, à base de transferts de ressources
fiscales et d'extensions réglementaires, ont joué
un rôle important lors de l'extension des frontières
de l'Union depuis le noyau dur initial des 6 Etats fondateurs
jusqu'à la constellation actuelle de 27 Etats dotés
de situations économiques et de niveau de développement
disparates. On considère cependant généralement
qu'il s'agit du prix à payer pour faire de l'Europe
une puissance globale aussi autonome que possible vis-à-vis
du reste du monde.
* L'abaissement
des frontières et la généralisation
du libre échange se sont cependant arrêtés
aux frontières de ces grands ensembles régionaux,
Union européenne, fédération de Russie,
Etats-Unis d'Amérique, Inde et Chine notamment. Chacun
de ces ensembles a voulu protéger ses traditions
et ses atouts propres en évitant de s'ouvrir, sauf
cas marginaux, aux mouvements de biens, de personnes et
de culture en provenance des autres. Les personnes qui prêchaient
pour une ouverture et un libre échange étendus
à l'ensemble du monde, se sont vite heurtées
aux réalités. Il n'existe pas d'institutions
internationales assez fortes pour imposer une harmonisation
d'ensemble à des pays de taille, de puissance, de
démographie et finalement de développements
aussi différents, aussi inégaux qu'ils le
sont actuellement. Les sociologues considèrent généralement
que ce refus d'un libre-échange global relève
du bon sens. Sauf dans des cas très particuliers,
pouvant mettre en jeu l'avenir même de l'humanité
(grandes pandémies notamment) l'harmonisation mondiale
des pratiques et des idées a été repoussé
à un lointain avenir.
* Il
s'ensuit que chaque grand ensemble régional a conservé
le droit d'organiser à son gré ses activités
intérieures et la cartographie de ses frontières
internes. De même, les frontières externes
entre ces grands ensembles sont généralement
reconnues comme, sinon intangibles, du moins très
difficiles à faire évoluer. Ce fut seulement
lors des deux dernières guerres mondiales que des
modifications importantes de frontières ont été
décidées, imposées d'ailleurs aux vaincus
par les vainqueurs, autrement dit ne résultant pas
de négociations entre puissances sur un pied d'égalité.
Aujourd'hui, il est évident que ces frontières
artificielles, tant en Europe qu'au Moyen Orient et en Afrique,
se heurtent aux particularismes renouvelés des cultures
et des intérêts. Nul esprit sensé n'envisage
donc sérieusement la mise en place d'un monde a-polaire,
selon l'expression dorénavant utilisée. Il
s'ensuit qu'au niveau du monde global, le concept de libre-échange
généralisé demeure utopique.
* Concernant
le libre-échange lui-même, on constate que
les conditions le rendant désirable pour les diverses
parties concernées sont rarement réunies.
Ceci parce qu'une égalité de situation entre
ces parties ne se rencontre que rarement. Il faut se persuader
en effet que le libre-échange, quand il est mis en
oeuvre, résulte toujours de la domination d'un fort
sur un faible. C'est le fort qui veut ouvrir les frontières
du faible à ses produits et à son influence,
c'est le faible qui veut se protéger contre ce qu'il
ressent comme une agression économique ou culturelle.
Le faible a-t-il tort de vouloir se protéger, manquant
ainsi l'occasion d'évoluer et progresser sous l'influence
du faible? Peut-être, mais ce n'est pas au fort d'en
décider. C'est au faible.
La
domination américaine
Les
considérations qui précèdent peuvent
servir à comprendre pourquoi les pays européens,
dans leur ensemble, ne s'engagent qu'avec beaucoup de résistance
dans les négociations visant à établir
un « libre-échange » transatlantique
entre eux et la puissance américaine. Ceci que ce
soit en termes d'économie générale
(TTIP, pour Transatlantic Trade and Investment Partnership
) ou en ce qui concerne le commerce des services (TISA pour
Trade in Services Agreement ). A la suite d'une longue histoire
de rapports de force entre l'Amérique et l'Europe,
ayant commencé à la fin de la 2e guerre mondiale,
les Etats-Unis ont acquis une domination presque absolue
sur les Européens dans tous les secteurs importants
concernant ces deux domaines. De plus, contrairement à
ce que l'on dit souvent, cette domination, loin de régresser,
ne cesse de s'étendre. Au point que les experts sérieux
se demandent aujourd'hui si les Européens seront
un jour capables d'y échapper. D'où la nécessité
qu'il y aurait eu à refuser de s'engager dans de
telles négociations et, puisqu'il est désormais
trop tard, de refuser d'adopter leurs conclusions. Ce sera
en tous cas aux parlements et gouvernements d'en décider,
non à la Commission
Les
chroniqueurs politiques font valoir les nombreux reculs
qui auraient affecté ces dernières années
la puissance américaine, à la suite d'ailleurs
en partie de décisions catastrophiques prises par
Washington dans le domaine diplomatique et militaire. Il
s'ensuit, au plan budgétaire, que d'importantes restrictions
de crédit frappent dorénavant les secteurs
dépensiers américains. On fait valoir parallèlement
que dans le même temps, des puissances rivales, celles
du BRICS, essentiellement la Chine d'ailleurs, se sont dotées
de capacités nouvelles. Mais les observateurs un
peu avertis constatent qu'il n'en est rien. La puissance
américaine est aujourd'hui plus marquée encore
qu'elle ne l'était hier.
* Ceci
se manifeste d'abord dans le domaine des technologies numériques,
qui sont aujourd'hui les clefs pour une domination du monde
1) . Depuis les années soixante, l'Amérique
s'y est affirmée, pratiquement sans résistance
des Européens, excepté le trop éphémère
Plan Calcul français de 1966. Ceci en ce qui concerne
les matériels, les composants électroniques,
les logiciels, l'intelligence artificielle, la robotique
autonome. Aujourd'hui, il s'agit de maîtriser les
données (big data) et surtout espionner la totalité
des échanges, aussi bien au plan civil que militaire.
Parmi les « géants du web », tous américains,
le plus représentatif est Google. Il travaille directement
avec les agences de renseignement américaines CIA
et NSA, à qui il fournit les données personnelles
naïvement confiées par les usagers. Il nourrit
des ambitions quasi millénaristes, visant à
devenir le cerveau artificiel du monde et proposer à
ceux qui pourront les acquérir les moyens de prolonger
presque indéfiniment leur vie. Cela peut paraître
comique. Ce ne l'est pas du tout, aux yeux de ceux qui se
tiennent informés. D'autres nations-Etats, en premier
lieu la Chine, essayent de réagir. Mais il leur faudrait
investir des trillions de dollars pour revenir à
supposer que cela soit possible - au niveau des Etats-Unis.
* La
puissance américaine s'affirme également dans
tous les domaines du militaire et de la défense:
possession d'une flotte et d'une aviation sans rivales,
détention de nombreuses bases dans le monde, investissements
de recherche sous l'égide de la Darpa, peu connus
parce que couverts par le secret, mais présents dans
tous les secteurs de la science fondamentale et des recherches
appliquées, maîtrise presqu'absolue enfin du
domaine spatial (full spatial dominance). La encore, les
efforts de la Russie et de la Chine, notamment, pour disputer
cette domination, seront longtemps loin du compte.
On fait
valoir que tous les équipements évoqués
ci-dessus sont aujourd'hui de peu d'utilité face
à ce qui est nommé la guerre de 4e génération,
celle du faible au fort. C'est évidemment faux. Quelques
attentats ici et là, quelques IED, n'inquiètent
pas plus la superpuissance qu'une piqure de moustique n'inquiète
un éléphant. Ils lui donnent au contraire,
sous prétexte de lutter contre le terrorisme, les
moyens de contrôler ou détruire les moindres
contestations.
* En
ce qui concerne la compétitivité des entreprises,
agricoles, industrielles et commerciales, les Etats-Unis
ne se distinguent pas du commun. Ce n'est pas le cas en
ce qui concerne la banque, les assurances et autres services
financiers. Ce secteur omniprésent, bien organisé
et soutenu activement par la banque fédérale
de réserve (FED), ainsi que les moyens dont elle
dispose pour manipuler le dollar, constitue une force de
frappe mondiale sans rivales. Le secteur des médias,
presse, cinéma, télévision est par
ailleurs largement dominé par les entreprises américaines.
* Un
autre point important de la puissance américaine
réside dans les relais et complicités qu'au
fil des années elle s'est acquise au sein de ce que
peut appeler les élites dirigeantes du reste du monde.
Ceci bien entendu en Europe, par l'intermédiaire
des institutions européennes proprement dites ou
des Etats membres, mais aussi dans les pays du BRICS, notamment
en Russie. Par élites, on désigne désormais
les 5% d'ultrariches et ultrapuissants qui exercent de fait
le pouvoir, quel que soit le régime politique, démocratique
ou autoritaire, caractérisant un pays. On les retrouve
dans l'économie et la finance, mais aussi dans la
sphère politique et dans les médias. Ces élites
sont sous influence, on pourrait dire plus brutalement corrompues
de fait, par leurs homologues américaines.
Le
libre-échange au service de la domination américaine
Si nous
revenons ici aux propos précédents relatif
aux mécanismes et motivations du libre-échange,
il est clair que celui-ci constitue pour la domination américaine,
mieux encore que la puissance militaire, le moyen de s'imposer
aux entités politiques et Etats qui en acceptent
le principe, au lieu de se protéger par des mesures
restrictives.
* Dans
le domaine industriel et plus généralement
économique, l'abandon de mesures protectionnistes
par les Etats acceptant la règle du libre-échange
se traduit généralement par des pertes de
compétitivité, sinon par des disparitions
d'entreprises à grande échelle. Dans la meilleure
des hypothèses, les entreprises autochtones, comme
c'est encore le cas en Inde et en Chine, peuvent devenir
sous-traitantes des firmes américaines, mais ce sont
évidemment celles-ci qui conservent l'essentiel des
bénéfices et des acquisitions de compétence.
Cela leur permet de partir à l'assaut de nouveaux
secteurs, notamment en ce qui concerne les produits et services
émergents. Les mesures protectionnistes dont l'Amérique
impose l'abandon ne concernent pas seulement les droits
et taxes divers, mais les réglementations dont se
sont dotés les Etats, à la suite de longs
combats menés en particuliers par les syndicats et
les organisations dites citoyennes, pour obtenir des protections
en matière de droits sociaux, de santé publique
ou, plus largement d'activités dites stratégiques.
* Deux
points importants sont à souligner, qui suscitent
évidemment beaucoup d'inquiétudes chez les
pays dominés. Dans les secteurs soumis à des
accords de libre-échange, s'imposent la liberté
d'investissement et le recours, en cas de contestation,
à des tribunaux spéciaux échappant
au droit commun de chacun des pays. Pour prendre un exemple
souvent évoqué, un peu caricatural, mais qui
se retrouvera très fréquemment sous des formes
moins visibles, dans un pays dont le droit antérieur
aux accords interdisait l'usage d'OGM dans l'alimentation,
toute entreprise souhaitant fabriquer des OGM pourra désormais
investir en ce sens. De même, en cas de conflits entre
utilisateurs d'OGM et réglementations antérieures
les interdisant, l'entreprise ou la personne s'estimant
lésée par l'interdiction pourra saisir des
tribunaux spéciaux chargés de faire appliquer
le nouveau droit. Il s'agira le plus souvent de tribunaux
composés d'arbitres non soumis aux contraintes déontologiques
et au droit des juridictions des pays concernés.
On a vu en France, dans l'affaire Tapie, ce que peut valoir
l'indépendance d'un tribunal d'arbitrage ad hoc,
fut-il composé de hauts fonctionnaires.
* Plus
spécifiquement, les cibles des promoteurs du libre-échange
au service de la domination américaine ont toujours
été les services publics, présentés
comme de dangereuses survivances d'un totalitarisme marxiste.
Il s'agit en fait de tout ce qui constitue le patrimoine
et la spécificité d'une nation, disons même
d'une civilisation: administrations publiques étatiques
ou locales, universités et établissements
d'enseignement publics, entreprises publiques de santé
(secteur hospitalier, maternités, établissements
de retraite...), services publics industriels et commerciaux
(transports, énergie et eau...), services publics
culturels et de création, puis aujourd'hui de plus
en plus le secteur de la défense au sens le plus
général. La France s'était félicitée
récemment d'avoir obtenu la mise hors des négociations
du TTIP des industries du cinéma. Il ne s'agissait
que d'une petite pierre dans l'ensemble riche et diversifié
de l'univers des services publics évoqué ci-dessus.
* Les
avocats du libre-échange et de la dérégulation,
au service de la domination américaine, font valoir
que des entreprises industrielles et commerciales privées
pourront reprendre en charge toutes les missions des services
publics. C'est inexact. Les nouveaux services privatisés,
nécessairement payants, ne seront accessibles qu'aux
plus fortunés. D'autres, bien plus nombreux, seront
abandonnés ou confiés à des fondations
charitables très sélectives. De plus, les
services privatisés reviendront finalement plus chers
à la collectivité que ceux du secteur public.
C'est ce que démontrent tous les jours en France
les PPP (partenariats publics-privés). C'est aussi
ce que démontre la privatisation des activités
militaires ou de police. Non seulement les entreprises privées
qui bénéficient à cette fin des contrats
de l'Etat sont plus coûteuses que l'armée et
la police traditionnelles, mais elles abandonnent vite toute
déontologie professionnelle. Il faut bien vivre,
n'est-ce pas?
Les
pays sous-développés ou en développement
ont toujours été les victimes du démantèlement
et de la privatisation de leurs institutions traditionnelles,
dont certaines pourtant venaient du fond des âges.
Mais dorénavant ce sont les Etats plus développés
qui sont visés, en premier lieu les Etats européens,
dans la cadre des projets de TTIP et de TISA. Les pays asiatiques
n'y échapperont pas, puisque les Etats-Unis leur
ont imposé de s'engager dans des négociations
analogues, dites transpacifiques. On remarque significativement
par ailleurs qu'aux Etats-Unis même, les administrations
des états fédérés sont elles-aussi
les premières cibles des promoteurs de la dérégulation.
Elles s'y opposent de plus en plus, avec l'appui de la population
pauvre, ce dont profitent des partis anti-fédéralistes
ou ceux qualifiés de « populistes ».
Conclusion.
Est-il possible de résister aux offensives du libre
échange à l'américaine?
Nous
en sommes persuadés. Mais comment s'y prendre? L'Europe
deviendra-t-elle suffisamment majeure pour s'y efforcer,
notamment à l'occasion des négociations menées
en son nom dans le cadre du TTIP et du TISA par une Commission
européenne pénétrée par les
lobbies atlantistes? Ce ne seront en tous cas pas les élites
européennes ni les gouvernements qui s'engageront
en ce sens. Ce ne pourraient être que des militants
de la base dans le cadre d'initiatives politiques citoyennes.
Mais les citoyens ont-ils les informations nécessaires
pour se rendre compte des risques et se battre pour imposer
des solutions?
A plus
long terme, pourrait-on envisager que des négociations
entre les Européens et les pays du BRICS, voire la
constitution d'accords stratégiques dits euroBRICS,
puissent être une voie pour échapper à
la domination américaine décrite dans cet
article? Comment alors s'organiserait un nouveau multilatéralisme?
Il ne faudrait évidemment pas que la domination américaine
soit remplacée dans un lointain futur par une domination
chinoise ou indienne. Le risque cependant serait infime
car les Européens disposeraient alors de suffisamment
d'atouts pour jouer le jeu de l'ouverture sur le plan de
la réciprocité, à l'avantage de l'ensemble
des parties.
Nous
examinerons peut-être ces questions difficiles, mais
qui sont loin d'être sans solutions, dans un article
ultérieur.
Note
1) voir entre autres articles sur notre site Europe solidaire:
Internet
est contrôlé par les Américains. Est-il
encore temps de réagir ?
Ainsi
que
Le prochain goulag, celui de l'Internet des objets
Ainsi
que sur notre site automates intelligents La
suprématie américaine sur les réseaux
toujours plus affirmée
2) Voir
Marianne Les
Etats européens pourront-ils dire non au Traité
transatlantique?
Si en effet il s'agissait d'un simple accord commercial,
il serait du ressort de la seule Commission. S'il est "mixte"
comportant des causes relevant du droit public, les Etats
devraient se prononcer. Or nous avons vu que la plupard
des clauses envisagées mettent en cause des réglementations
administratives ou légales.
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