Article.
Le claustrum et la conscience.
Francis Crick et Kristof Koch avaient-ils découvert
le siège de la conscience?
Jean-Paul Baquiast 24/07/2014

Coupe horizontale d'un
hémisphère cérébral montrant
l'emplacement du claustrum. (wikipedia)
Ce
fut longtemps le rêve des philosophes (la glande pinéale
de Descartes), comme plus récemment celui des physiologistes
et des neurologistes: découvrir dans le cerveau humain
une aire ou une zone qui serait spécifiquement en
charge de générer ce que l'on nomme les processus
de conscience chez les personnes éveillées.
Récemment,
il avait été suggéré qu'il s'agissait
d'un faux problème. La production de la conscience
pourrait résulter d'une collaboration d'un grand
nombres de zones corticales reliées par les neurones
de liaison. Dire cela ne permettait cependant pas de clarifier
la question. Comment ces aires et ces neurones collaboraient-ils
pour générer des faits de conscience sans
produire une cacophonie assourdissante, compte tenu notamment
du fait que la conscience est généralement
considérée comme, à chaque moment,
le produit unique d'un processus générateur.
La présence d'un « chef d'orchestre »
paraît indispensable.
Les
nombreuses observations menées ces dernières
années, tant sur le plan clinique qu'avec les moyens
modernes d'imagerie cérébrale, n'étaient
pas parvenu à résoudre ce mystère,
pas plus d'ailleurs chez l'homme que chez les animaux, lorsque
certains d'entre sont soupçonnés d'héberger
des formes de conscience épisodique. Il se trouvait
cependant que les neurologues Francis Crick (découvreur
de l'ADN) et Christof Koch avaient publié en 2005,
dans un Bulletin de la Royal Society, un article faisant
l'hypothèse qu'il existe dans le cerveau une zone
qui pourrait effectivement jouer le rôle du chef d'orchestre
recherché 1). Pour eux, il s'agissait du Claustrum
ou Avant-mur., dont on trouvera la localisation dans le
texte de Wikipédia ci-dessous 2)
Dans
le sommaire de cet article (adapté ici), on trouve
les précisions suivantes :
« La fonction du claustrum est énigmatique.
Son anatomie est tout à fait remarquable en ce sens
qu'il reçoit des entrées (input) de toutes
les régions du cortex et peut en retour projeter
vers elles des retours d'information ". Les auteurs,
dans la suite de l'article, formulaient des hypothèses
relative aux rapports que pouvait avoir cette structure
avec les processus générateurs des perceptions
conscientes intégrées. Ils proposaient des
expériences susceptibles de vérifier ces hypothèses.
Assez
curieusement, aucune de ces expériences ne fut tentée
à l'époque. D'une part parce qu'explorer cette
partie du cerveau chez un sujet humain vivant était
éthiquement très difficile sinon impossible
compte tenu des moyens alors disponibles. Mais d'autre part
aussi sans doute du fait que Francis Crick ne s'était
tourné vers les neurosciences qu'à la fin
de sa carrière et n'était pas nécessairement
considéré par la communauté comme un
chercheur très pertinent. De plus, le rôle
qu'avec son collègue il attribuait au claustrum contredisait
la majorité des opinions relatives à la conscience,
qui étaient et sont restées holistiques, faisant
de la conscience comme nous venons de le rappeler un produit
émergent de la complexité corticale.
Francis
Crick, par ailleurs, avait aussi proposé des hypothèses
jugées alors fantaisistes ou du moins intestables,
concernant le rôle pour la production d'états
de conscience de phénomènes quantiques au
niveau des microtubules neuronales. Ces hypothèses
sont aujourd'hui étudiées très sérieusement,
comme nous l'avions indiqué dans un article précédent.
En fait, il aurait été plutôt justifié
de considérer Crick comme un neuroscientifiques de
génie, ce qui aurait embelli la fin de sa vie.
Enfin
une preuve expérimentale?
Les
réflexions sur le rôle du claustrum comme générateur
premier de la conscience ont reçu ces derniers jours
une publicité considérable, à la suite
de la publication par le neurologue américain Mohammed
Koubeissi de l'Université de Washington, des résultats
d'une expérience qui pourrait se révéler
décisive, si du moins elle pouvait être reprise
à plus grande échelle 3) . Un nombre important
d'articles sont apparues depuis sur le web à ce sujet
et peuvent être facilement consultés.
La encore,
résumons en l'adaptant le sommaire publié
par Mohammed Koubeissi et son équipe. Il s'agit d'une
observation faite sur une patiente de 64 ans soumise à
des implantations d'électrodes profondes destinées
à identifier les zones soumises à des accès
épileptiques sévères, puis à
des stimulations électriques par ce moyen, destinées
à réduire les crises. On observera une fois
de plus que les implantations d'électrodes dans les
cerveaux de personnes épileptiques ont joué
ces dernières années un rôle important
dans la connaissance du cerveau, ce que l'on ne s'est pas
encore décidé à faire concernant des
personnes saines.
Or l'une des électrodes avait été placée
à proximité du claustrum, ce qui n'avait jamais
été fait auparavant. Les chercheurs observèrent
alors que des impulsions électriques à haute
fréquence produisait une perte de conscience chez
la patiente, sans pour autant induire un coma ou simplement
un accès de sommeil, non plus que de nouvelles décharges
épileptiques. Au plan comportemental, elle cessait
de lire ou parler, et sa respiration se ralentissait. Dès
que la stimulation cessait, elle reprenait conscience, sans
garder souvenir de l'épisode.
L'opération
fut répétée plusieurs fois en deux
jours et produisit toujours le même résultat.
Pour l'équipe, il est évident que le claustrum
joue le rôle d'une clef permettant, selon l'image
d'une automobile utilisée en l'espèce, de
faire démarrer ou arrêter le moteur bien plus
complexe du cerveau, afin de produire la conscience.
Différentes
hypothèses susceptibles d'expliquer le phénomène
observé ayant été éliminées,
il resterait à approfondir les explorations électriques
et surtout à répéter l'expérience
chez un nombre suffisant de patients. Au delà, il
faudrait expliquer en détail ce qui se passe au niveau
des neurones du claustrum et des influx nerveux émis
ou reçus. Bien que le claustrum soit d'une taille
bien plus réduite que celle du cerveau, il n'y a
pas de raisons pour que les processus neurologiques y soient
différents.
Or,
l'on retrouve la la grande difficulté des neurosciences.
Comment traduire des observations portant sur des phénomènes
visibles en modèles expliquant en profondeur ce que
sont les pensées, les décisions et toutes
autres opérations relatives à l'état
de conscience. Nous avons plusieurs fois signalé
que sur ce sujet, pratiquement encore inexploré de
façon sérieuse, notre ami Alain Cardon a proposé
des hypothèses informatiques, reprises dans ses ouvrages
en libre accès sur notre site, qui n'ont pu encore
malheureusement être programmées dans le détail
afin d'être démontrées.
Les
réseaux de neurones artificiels
Pour
ce qui nous concerne, nous pouvons observer que, venant
d'une toute autre direction, des hypothèses intéressantes
sont actuellement formulées par des chercheurs s'intéressant
aux capacités des neurones artificiels (notamment
Emmett Redd et Steven Younger de la Missouri State University)
.Certaines architectures de tels neurones pourraient selon
eux permettre de créer de super-ordinateurs, capables
de tâches actuellement impossible à tous les
ordinateurs existants, fussent-ils quantiques. Il s'agirait
de fonctions qui échapperaient aux traitements logiques,
et ne seraient pas limitées par le mur du principe
d'incomplétude de Gödel. 4)
Pourquoi
en ce cas ne pas imaginer que l'évolution ait pu
doter les claustrums d'architectures neuronales de cette
nature. Ce qui pourrait expliquer les propriétés
absolument spécifiques de la conscience dans la génération
des idées créatrices. 5)
Références
1) Crick et Koch http://rstb.royalsocietypublishing.org/content/360/1458/1271
2) Claustrum,
Wikipedia
http://fr.wikipedia.org/wiki/Claustrum
3) Koubeissi
et al.
http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1525505014002017
4) Michael
Brooks « Turing's oracle: The computer that
goes beyond logic » Newscientist, 19 juillet
2014
http://www.newscientist.com/article/mg22329780.400-turings-oracle-the-computer-that-goes-beyond-logic.html
5) Voir
aussi ici le commentaire du Pr F. Bartolomei, co-auteur
de l'étude et chef du service de neurophysiologie
à l'hôpital de La Timone (Marseille)
http://www.sciencesetavenir.fr/sante/20140708.OBS3088/claustrum-un-interrupteur-de-la-conscience-experience.html
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