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Nouvelles
propriétés surprenantes des particules quantiques
Jean-Paul
Baquiast - 03/08/2014

image tirée de la revue britannique Newscientist
Selon
la théorie quantique, constamment vérifiée
expérimentalement, une particule individuelle, par
exemple un neutron, dispose d'une superposition d'état.
Ainsi, en ce qui concerne le spin(1) d'une telle
particule, celui-ci peut à la fois prendre une valeur
de 1 ou un valeur de ½. Ou bien une valeur une valeur
de +1 et une valeur de -1. Mais le phénomène
ne peut être observé (mesuré) expérimentalement,
à partir d'un neutron individuel, en utilisant un
appareil de laboratoire qui lui relève de la physique
ordinaire. En effet, la mesure "réduit la fonction
d'onde" décrivant cette particule et ne fait
apparaître que certains des aspects de celle-ci, au
détriment de tous les autres. Par exemple, en ce
qui concerne le spin du neutron, elle ne fera apparaître
qu'une valeur de 1 ou une valeur de ½, mais non les
deux valeurs simultanément. Ce type de mesure, s'appliquant
à une particule individuelle, est dite mesure forte
(strong measurement)
Ceci
dit, dans une publication datée de 1988, le physicien
israélien Yakir Aharonov avait montré qu'une
forme de mesure différente ne détruisait pas
l'état quantique de superposition de la particule.
Mais il fallait que cette mesure interagisse très
faiblement avec la particule. Ce type de mesure a été
nommée mesure faible, "weak measurement".
L'inconvénient du procédé est que les
résultats de la mesure étaient affectés
d'une très grande incertitude. En pratique, concernant
la particule individuelle, on retrouvait donc le principe
d'incertitude de la théorie quantique.
Mais Aharonov a montré qu'en procédant à
des mesures faibles sur un ensemble de particules identiques,
produites par une technique appropriée, ces mesures
produisent une courbe en cloche dont le sommet décrit
l'état de cet ensemble de particules, autrement dit,
puisqu'il s'agit de particules identiques, l'état
de l'une de ces particules. Rappelons que lorsque l'on observe,
dans un appareil macroscopique, un flux d'un très
grand nombre de particules, on obtient des résultats
statistiques moyens qui permettent d'utiliser ce flux dans
telle ou telle tâche. Mais ces résultats n'indiquent
rien sur l'état de chacune des particules individuelles.
A quoi pouvait donc servir la mesure faible prévue
par la théorie ?
Dans les dernières années, de telles mesures
faibles ont pu être faites expérimentalement.
Elles ont permis d'étudier des aspects du monde quantique
jugés précédemment inobservables. Notamment
comme l'a montré Jeff Lundeen de l'Université
d'Ottawa, de mesurer la fonction d'onde décrivant
un grand nombre de photons identiques. Pour la raison précédemment
évoquée, si ces photons étaient identiques,
il devenait donc possible de mesurer indirectement la fonction
d'onde de chacun de ceux-ci, en lui attribuant une valeur
précise et non plus probabiliste(2).
Le Chat de Cheshire
Des
applications de ces hypothèses ont été
faites récemment.
L'une d'entre elle, conduite par une équipe autrichienne
à l'Institut Laue Langevin de Grenoble, a paru mettre
en évidence une propriété suggérée
par la mathématique mais non encore expérimentalement
démontrée: le fait que des flux de particules,
en l'espèce des neutrons, préparés
de façon à ce qu'ils disposent d'un spin identique,
puissent après avoir été soumis à
des mesures faibles, donner naissance d'un côté
à des spins sans neutrons et d'un autre à
des neutrons sans spins, autrement dit que les particules
pouvaient être, le temps de l'expérience, séparées
de leurs propriétés quantiques. Les théoriciens
avaient nommé cette propriété le « chat
de Cheshire » par référence au
sourire du chat d'Alice au pays des Merveilles, lequel sourire
pouvait être observé indépendamment
du chat(3).
A Grenoble, l'équipe a utilisé un interféromètre
produisant des champs magnétiques faibles (voir schéma).
Il est apparu, au terme d'un expérience que nous
ne décrirons pas ici, que sur l'une des branches
de l'interféromètre se trouvaient des spins
sans neutrons et sur l'autre des neutrons sans spins, l'ensemble
se recombinant à la sortie de l'appareil. Autrement
dit, il était confirmé que les spins sans
neutrons avaient choisi un chemin et les neutrons sans spins
un autre. Le chat avait été séparé
de son sourire.
Cette expérience a déjà donné
naissance à de nombreuses hypothèses et expériences
relatives à ce que pourrait être "en réalité"
la "réalité quantique". Certaines
suggèrent qu'elles confirment le fait que dans le
monde quantique, le temps pourrait s'écouler dans
les deux sens, du passé vers le futur et réciproquement.
Ainsi un événement futur pourrait être
la cause d'un événement passé. Tous
les théoriciens n'admettent pas cette conclusion.
Cependant les spécialistes du calcul quantique espèrent
pouvoir donner au phénomène du chat de Cheshire
des applications utiles à la mise au point de calculateurs
quantiques produisant moins d'incertitude. Le phénomène
permettrait en effet de séparer les propriétés
des particules des particules elles-mêmes, afin de
réaliser des calculateurs quantiques plus stables
que ceux existants actuellement, trop soumis aux interférences
avec le monde macroscopique.
Nous n'en dirons pas plus long ici, sauf à conclure,
d'une façon bien peu originale, que le monde quantique
qui se révèle tous les jours est encore plus
étrange que ne l'affirme sa réputation
Du
chat aux pigeons
Voir
image (Newscientist)
Aharonov
et les équipes développant les hypothèses
résumées ci-dessus ne s'en sont pas tenues
au paradoxe du chat de Cheshire. Ils ont étudié
les conséquences de celles-ci, concernant les effets
de la "mesure faible" sur l'état des particules
observées. Ils viennent de publier un article(4)
étendant leur approche au problème, sans doute
infiniment plus complexe et en tous cas contre-intuitif,
de l'intrication entre deux particules.
Les
pères fondateurs de la mécanique quantique
avaient indiqué, à la grande incrédulité
d'Einstein, que si deux particules étaient émises
de façon à les doter d'un même état
quantique, par exemple le spin, elles se comporteraient
comme une particule unique. Elles ne pourraient donc pas
être décrites individuellement. Toute mesure
du spin de l'une affectera le spin de l'autre, même
si cette dernière se trouve à l'autre extrémité
de l'univers. D'où la conclusion généralement
admise aujourd'hui, selon laquelle l'univers quantique n'a
que de lointains rapports avec l'univers physique.
Or les récentes hypothèses présentées
par les auteurs de l'article élargissent considérablement
le concept d'intrication. Celle-ci, selon la théorie
quantique, doit avoir été préparée
entre deux particules sélectionnées soit en
laboratoire, soit dans le cadre d'un phénomène
naturel rare. Il en résulte que l'intrication n'affecte
qu'un nombre très restreint de particules dans l'univers.
Dans la nouvelle hypothèse, Aharonov et ses collègues
ont montré que le mécanisme baptisé
par eux du nom de post-sélection pouvait intriquer
l'état de deux particules, chaque fois que leurs
propriétés quantiques étaient mesurées,
et ceci où qu'elles se trouvent dans l'univers. Le
terme de post-sélection signifie que les propriétés
d'un système à un temps t peuvent être
influencées par des mesures faites dans le futur,
à un temps t+1.
Qu'est-ce que la post-sélection? Il s'agit d'un dispositif
inspiré de l'interféromètre mentionné
en début de cet article. Si l'on envoie trois électrons
simultanément dans l'interféromètre,
celui-ci sépare chaque électron en deux, selon
deux voies suivies en parallèle, puis il les réunit
à nouveau. Si alors on mesure l'état des électrons
à leur sortie de l'interféromètre,
en les sélectionnant dans un état différent
de celui qu'ils avaient en entrant dans la machine, l'on
crée un lien quantique, autrement dit une intrication,
entre ces électrons. Autrement dit, la post-sélection
influence les états passés de ces électrons.
Pour le montrer, il faut préciser comment les électrons
se comportent dans le système. La superposition d'état,
autre propriété des particules quantiques,
signifie que chaque électron peut se retrouver à
l'identique dans les deux chemins simultanément.
Si deux électrons partagent le même chemin,
leurs charges électriques identiques les repoussent,
ce qui infléchit leur trajectoire, même légèrement.
Cette inflexion est détectée à la sortie
de l'interféromètre. Du fait de la superposition,
rien ne permettrait d'affirmer que tel électron se
trouve dans telle branche ou dans l'autre. Mais si l'on
mesure (post-sélection) les chemins de l'une ou l'autre
des deux paires d'électrons, aucune déflexion
n'est détectable. Un lien existe donc entre les électrons.
Chacun d'eux connait l'emplacement de l'autre et l'évite.
D'où l'image des pigeons, ou du pigeonnier quantique.
L'on peut avoir trois pigeons dans deux pigeonniers, et
pourtant aucun pigeonnier ne comportera deux pigeons. Ceci
d'ailleurs quelque soit le nombre des pigeons. Même
avec un millier de pigeons, il n'y en aura toujours qu'un
dans chacun des deux pigeonniers. Cet effet constitue la
façon la plus simple de tester l'idée que
des particules non corrélées peuvent se trouver
intriquées simplement parce qu'elles ont fait l'objet
d'une post-sélection.
Or comme les mesures correspondantes se produisent en permanence,
soit du fait des humains, soit pour des causes naturelles,
les particules mesurées se retrouvent intriquées,
fussent-elles réparties n'importe où dans
l'univers, et ceci sans avoir fait l'objet d'une préparation
préalable. En conclura-t-on que toutes les particules
de l'univers peuvent se retrouver intriquées, sans
avoir été préparées à
l'avance? Théoriquement, l'hypothèse paraît
plus que crédible, dans les termes où l'expérience
de pensée est formulée.
Encore
faudra-t-il qu'une expérience réelle soit
réalisée, sans doute en utilisant l'interféromètre
précédent, et les « mesures faibles »
précédemment décrites. Ceci ne devrait
pas tarder, si la question continue à être
explorée. En fait la nouveauté dans ces affaires
repose sur le concept de mesure faible. Va-t-elle remplacer
dans la pratique la mesure forte traditionnelle. Et que
devient en ce cas de limage que lon peut se
donner des particules, quil sagisse délectrons
ou de neutrons ou de tout autre ensemble microscopique.
Sont-elles soumises à indétermination, si
celle-ci dépend du type de mesure auquel lon
procède?
Les
physiciens, cosmologues et philosophes ne manqueront pas
d'y réfléchir. Cette nouvelle propriété
de l'intrication entre particules pourrait expliquer pourquoi
l'univers fonctionne comme un immense ordinateur quantique,
selon l'hypothèse de Seth Loyd.
Quant
aux artistes, l'un d'eux très vite sans doute nous
montrera comment nous pourrions nous représenter
un pigeon de Cheshire.
Sources
(1) Le spin d'une particule est son moment angulaire
intrinsèque, ou le sens de rotation de cette particule.
Le spin est une propriété quantique, il ne
peut prendre que des valeurs entières ou demi-entières.
(2) voir
Direct measurement of the quantum wavefunction
(3) voir Observation
of a quantum Cheshire Cat in a matter wave interferometer
experiment
(4) voir The
quantum pigeonhole principle and the nature of quantum correlations
(5)
Sur l'ensemble de ces thèmes, voir NewScientist :
Quantum
split: Particle this way, properties that way, ainsi
que
Pigeon paradox reveals quantum cosmic connections