Sciences
politiques Le bloc BRICS se
constituera-t-il en acteur global dans l'évolution
future du monde?
Jean-Paul Baquiast 23/7/2014
Note au 18/08/2014 Dans la suite de
ce sujet, voyez mon article
BRICS
et SCO. Un défi à la domination américaine
11/08/2014 JPB
La réunion des BRICS à Fortaleza (voir notre
article « Sommet
des BRICS. Des décisions très significatives
» entrera-t-elle dans l'histoire économique
et surtout politique du monde comme le premier pas d'un
changement complet des équilibres mondiaux?
Ce changement
verrait l'ensemble des pays soumis à la domination
directe des Etats-Unis (globalement ceux de la zone dollar)
remplacés comme moteur de l'évolution par
ceux qui se rassembleraient dans une zone BRICS où
le pouvoir serait bien mieux réparti, y compris dans
le cadre d'une monnaie commune encore à définir
et d'institutions financières en cours de mise en
place? Si cette perspective se réalisait, les pays
de la zone euro et plus largement les pays européens,
auraient le choix entre deux solutions, se rassembler comme
des moutons apeurés sous l'égide de Washington,
ou s'ériger à leur tour en force politique
puissante et indépendante. capable de discuter sur
un pied d'égalité avec les deux blocs, celui
des Etats-Unis et de leurs suiveurs, d'une part, celui de
la zone BRICS d'autre part.
Mais
s'agirait-il seulement, en ce dernier cas, d'une répartition
différente des pouvoirs financiers, industriels ou
scientifiques actuels, marquant une dégradation de
la position de domination américaine, sans changements
profonds de la nature des affrontements? S'agirait-il au
contraire d'un changement radical (nous pourrions parler
d'une révolution paradigmatique) dans la façon
dont les humains vont affronter les crises multiples qui
s'annoncent?
Si le
modèle de domination du monde mis en place depuis
des décennies par les élites politiques, économiques
et médiatiques américaines n'était
pas modifié, mais repris et amplifié par d'autres
minorités dirigeantes émanant des BRICS et
de l'Europe, la course au désastre ne fera qu'accélérer
une concurrence de plus en plus brutale et aveugle entre
grands acteurs. On verrait s'amplifier la destruction des
écosystèmes et des sociétés
populaires du fait d'une exploitation renforcée de
leurs ressources. Les conflits de subsistance en résultant
seraient démultipliés, ceci probablement jusqu'à
ce qu'une nouvelle guerre mondiale soit déclenchée
par ceux qui se penseront les plus forts et les mieux à
même d'en sortir victorieusement.
Les
BRICS seront obligés d'être raisonnables
Si au
contraire, au sein des BRICS, des modes de gestion du monde
plus avisées, plus scientifiques, plus participatives
se mettaient en place, l'avenir de la planète pourrait
être transformé, compte tenu de l'étendue
territoriale comme des ressources démographiques
et géographiques de ces pays. Mais pourquoi penser
que les BRICS pourraient être suffisamment raisonnables
pour modifier en profondeur un modèle de développement
encore trop souvent copié sur celui de l'Amérique
? Parce qu'ils ne pourront pas faire autrement. Il est d'ores
et déjà évident que la Chine, par exemple,
ne pourra pas longtemps continuer à pousser la croissance
d'industries de consommations ou de modes de production
agricole calquées sur le mode occidental. Il en est
de même a fortiori de l'Inde. Quand à la Russie,
elle hésite en ce moment entre deux modèles,
celui offert par le capitalisme américain ou celui
inspiré d'une tradition sociétale et religieuse
beaucoup plus respectueuse des grands équilibres
naturels.
Le
rôle des Européens
En fait,
les choix que feront les Européens joueront un rôle
essentiel pour faire basculer l'évolution du monde
dans telle ou telle direction. On trouve de plus en plus
en Europe de forces politiques qui, sans aller jusqu'à
prôner une décroissance dans tous les domaines,
s'efforcent de limiter les consommations d'énergie,
développer les renouvelables, encourager le retour
de grands équipements publics, maintenir le concept
d'Etats protecteur au plan réglementaire, social
et sanitaire. C'est également en Europe que l'émancipation
des femmes et que la formation de base des populations ont
sans avoir atteints tous les buts fixés -
le plus progressé au regard du reste du monde.
Chaque
pays européen s'est donné des rôles
à jouer dans une telle partition. La France, contrairement
à ce qu'affirment ceux qui depuis des années
ont renoncé à l'héritage de De Gaulle
et du Conseil National de la Résistance, est encore
considérée en Europe comme un modèle
pour ses grandes réussites industrielles et technologiques,
mais aussi pour ses potentiels intellectuels et artistiques.
L'Allemagne est réputée pour ses capacités
industrielles et son organisation collective. Les pays méditerranéens
sont connus dans le monde entier par d'autres qualités
spécifiques. Ne détaillons pas ces points
ici.
Mais
ce qui doit être noté, c'est que les succès
et références positives européennes
n'intéressent pas les Américains, sauf éventuellement
dans le domaine touristique. D'abord, l'Amérique
reste, plus que jamais, une super-puissance, notamment dans
tous les domaines technoscientiques. Elle peut encore se
croire tout permis. Pour ce qui concerne ses relations avec
les Européens, son ambition, aujourd'hui particulièrement
évidente avec les négociations pour un libre-échange
transatlantique, a toujours été de rendre
l'Europe conforme au mode de vie américain, y compris
dans ce que celui-ci a de plus négatif. Sur le plan
géostratégique et militaire, l'Europe par
ailleurs est jugée tout juste bonne à servir
de ligne avancée dans le vieil idéal américain
consistant réduire, voire détruire la Russie.
Ce n'est
évidemment pas de cette façon que les autres
pays du BRICS, à commencer par la Russie, mais aussi
de plus en plus le Brésil, l'Inde et la Chine, considèrent
les Européens. A des titres divers, ces pays, malgré
leur puissance et leur volonté d'indépendance
montantes, sont intéressés par des coopérations
sur un plan d'égalité avec les Etats et les
sociétés européennes. Ceux qui en Europe
défendent le concept d'euroBRICS ont multiplié
les exemples dans lesquels, non pas par des conflits et
luttes d'influence, mais par des coopérations, les
européens et les BRICS pourraient s'attaquer à
des problèmes communs. Y compris, répétons-le,
dans la perspective de la grande crise climatique et environnementale
qui s'annonce.
On est
loin aujourd'hui de cet idéal, tout au moins en ce
qui concerne les relations institutionnelles. Mais, y compris
avec la Chine que l'on présente enfermée dans
un complexe de supériorité hérité
de l'Empire du milieu, des possibilités très
nombreuses existent dans les domaines industrielles, technologiques,
scientifiques et en matière d'organisation des sociétés,
bénéficiaires à l'ensemble des parties
en présence. Une prise de conscience de ces possibilités
pourrait se faire assez vite jour au sein des populations.
L'Europe
doit comprendre où se trouve son avenir
Mais
il faudrait, en ce qui concerne l'Europe notamment, que
celle-ci comprenne où se trouve dorénavant
son avenir il n'est certainement plus dans la sidération
à l'égard de l'Amérique qui l'a paralysée
depuis 1945. Bien évidemment, les lobbies atlantistes,
omniprésents dans les capitales européennes
et à Bruxelles, prétendront toujours le contraire.
Mais plus se multiplieront les exemples de coopérations
réussies avec les pays du BRICS, permises par des
efforts réciproques d'ouverture, plus se généralisera
un monde rééquilibré, détaché
des outrances d'un néolibéralisme anglo-saxon
imposé par 5% de dominants prenant en otage le monde
entier, y compris la société américaine
elle-même.
Sur
ces sujets, on pourra lire l'article remarquable de Philippe
Grasset «
Le bloc BRICS et notre destin »