Article.
Schisme au Human Brain Project
(HBP)
Jean-Paul Baquiast, Christophe Jacquemin 20/07/2014
Nous avions signalé en son temps (2012-2013) le lancement
par la Commission européenne d'un projet visant à
simuler le cerveau humain sur ordinateur. L'objectif était
d'approfondir à cette occasion les fonctions du cerveau,
depuis le rôle des neurones corticaux jusqu'aux activités
cognitives les plus élaborées. Il s'agissait
du Human Brain Project (HBP).
Le HBP
est lun des deux projets scientifiques denvergure
que lUnion Européenne avait décidé
de soutenir en 2013 dans le cadre du projet FET Flagship
(Future and emerging technologies), un programme dinnovation
et de recherche de la Commission. Il est susceptible de
recevoir jusquà 500 millions deuros de
fonds européens sur une période de dix ans,
à condition que les États ou lindustrie
les cofinancent à la même hauteur. Il sera
ainsi doté d'environ 1 milliard d'euros sur 10 ans.
Le HBP rassemble (en principe) des centaines de chercheurs
et des dizaines de laboratoires, provenant d'un grand nombre
de pays européens ou non européens. Il a été
initié par le professeur Henry Markram de l'EPFL
(Ecole polytechnique fédérale de Lausanne)
qui continue à le diriger. Il vise à simuler
en détail un cerveau humain sur un superordinateur
de la marque IBM dici 2023, afin de mieux comprendre
comment le cerveau fonctionne et améliorer les applications
en neurosciences et en médecine. Le projet représente
pour IBM une référence très importante,
venant dans la suite de son initiative précédente,
le Blue Brain Project.
Dans le même temps, nous avions signalé que
le président OBAMA annonçait un projet de
même envergure, BRAIN, mais beaucoup plus orienté
que le HBP sur l'étude fonctionnelle et clinique
du cerveau et de ses dysfonctionnement. Il est piloté
par les National Institutes of Health. Les deux projets,
après deux ans de travail, envisagent actuellement
de mieux échanger leurs acquis.
Or l'on
vient d'apprendre qu'une véritable rébellion
vient d'éclater au sein du projet.HBP. Des centaines
de chercheurs ont publié, sur le site neurofuture.eu
une pétition demandant non seulement un audit contradictoire
du projet, mais une réorientation en profondeur.
Sous les propos diplomatiques, on devine que les neuroscientifiques,
au sein du HBP, revendiquent d'être mieux associés
au pilotage.
Selon des conversations téléphoniques que
nous avons eu avec certains d'entre eux, ils critiquent
l'orientation essentiellement technologique imposé
au projet par Henry Markram, l'EPFL et, en sous mains mais
très activement, par IBM. Selon les neuroscientifiques
concernés, le projet doit viser non pas à
seulement construire une maquette sur ordinateur du cerveau,
mais à comprendre comment il fonctionne et comment
traiter ses dysfonctionnements. Pour cela il faut recourir
à des observations globales, notamment cliniques,
en liaison avec les simulations informatiques
Pour
ne pas paraître attaquer hors de propos un des rares
projets de recherche financés par l'Europe, nous
n'avions initialement évoqué ces points qu'avec
prudence. L'expérience nous donne raison. La simulation
sur ordinateur d'un cerveau, surtout si en fait il s'agit
pour le moment d'une mini-colonne de cortex de rat, ne peut
absolument pas faire apparaître ce qui se passe dans
le cerveau humain, fut-ce même au niveau d'une mini-colonne
de cortex. Les fonctions essentielles remplies notamment
par les neurones de liaison entre aires cérébrales
ne peuvent en aucun cas être représentées.
De plus,
les chercheurs ne peuvent retranscrire sur le modèle
que ce qu'ils voient, et encore faut-il tenir compte du
fait que ne sachant pas exactement ce qu'il faudrait découvrir,
ils ne pourraient que reproduire ce qu'ils savent déjà.
Le processus proposé par Markram et IBM est semblable
à celui consistant, pour comprendre à grande
échelle les courants marins affectant la Manche,
à simuler sur ordinateur quelques mètres linéaires
de côte ou quelque mètres carrés de
fonds.
Les
neuroscientifiques en révolte ne nient pas l'intérêt
d'un modèle informatique. IBM a produit sur ce thème
des images spectaculaires de la complexité d'une
mini-colonne corticale. Mais il faudrait, plutôt que
mettre tous les moyens disponibles au service de ce seul
objectif, multiplier les approches fonctionnelles globales,
en les superposant, le cas échéant dans un
désordre créateur, aux simulations informatiques.
La direction du HBP s'était engagée à
le faire, mais l'essentiel des ressources du projet restent
accaparées par la construction d'un bel outil technologique,
dont l'intérêt scientifique demeurera longtemps
limité. En effet dans la voie technologique, ce seraient
au minimum les dizaines de milliards de neurones d'un cortex
humain qu'il faudrait simuler. La tâche est évidemment
impossible pour le moment, tous les ordinateurs d'IBM n'y
suffiraient pas.
Plus
en profondeur, rappelons que, quitte à simuler le
cerveau sur ordinateur, il faudrait reprendre les voies
proposées par Alain Cardon, dans le cadre de ses
recherches sur la conscience artificielle. L'Intelligence
Artificielle de type évolutionnaire permet aujourd'hui
d'aborder les fonctions et les organes sous-jacents du cerveau
par grands ensembles, puis de laisser jouer les mécanismes
de compétition darwinienne entre eux sur un réseau
de mini-ordinateurs. Le processus génère de
nombreuses hypothèses différentes, dont il
reste à tester la pertinence avec des cliniciens
ou des psychologues. Les coûts de telles recherches
ne dépasseraient pas quelques millions, consacrés
à la programmation d'analyses fonctionnelles déjà
réalisées par Alain Cardon. Mais celui-ci
n'a pu jusqu'à ce jour susciter l'intérêt
d'éventuels contributeurs. N'est pas suisse et IBM
qui veut.
Nous
ne pouvons ici entrer dans le détail des critiques
ayant fait l'objet de la pétition, ni des débuts
de réponse apportées. Les liens suivants permettront
aux curieux de le faire.
* HBP
https://www.humanbrainproject.eu/
* Brain
Initiative Brain Research through Advancing Innovative Neurotechnologies
(BRAIN) http://www.nih.gov/science/brain/
* Open
message to the European Commission concerning the Human
Brain Project July/7/2014
http://www.neurofuture.eu/
Summary: Neuroscience advances
our understanding of normal and pathological brain function,
offering potentially enormous benefits to society. It is,
therefore, critical to Europe. The Human Brain Project (HBP),
sponsored by the European Commission (EC), was meant to
forward this mission. However, due in great part to its
narrow focus, it has been highly controversial and divisive
within the European neuroscience community and even within
the consortium, resulting in on-going losses of members.
The HBP is now scheduled for review and we wish to draw
the attention of the EC to these problems. We believe the
HBP is not a well conceived or implemented project and that
it is ill suited to be the centerpiece of European neuroscience.
We are particularly concerned about the plan to tie a substantial
portion European member states neuroscience funding
to the HBP through so-called partnering projects.
We call for the EC to go beyond the strict requirements
of the upcoming review, to demand transparency and accountability
and, if necessary, change the structure of the HBPs
governance and supervision to correct their shortcomings.
Failing that we call for the EC to redirect the HBP funding
to smaller investigator-driven neuroscience grants. We stand
fully behind a strong and united European neuroscience strategy
and we pledge not to seek funding through HBP partnering
projects that would compromise that mission.
* Réponse
de la Commission Official Response by the EC - 18 July 2014
No single roadmap for understanding
the human brain
https://ec.europa.eu/digital-agenda/en/blog/no-single-roadmap-understanding-human-brain
* Commentaire
de Neuroscience Programme http://neuro.fchampalimaud.org/en/news/130/
Human Brain Project: Neuroscientists
across Europe are raising a red flag.
In an Open Letter to the European Commission (EC), neuroscientists
express their concern about the current course of the Human
Brain Project (HBP) and call for the EC to examine closely
both the scientific policy and management of the HBP prior
to its renewal. The HBP was launched two years ago by the
EC as a European Future Emerging Technology Flagship.
The HBP leadership presented a bold vision of a large-scale
collaborative project that will span over one hundred neuroscience
and technology groups across the world, all working together
towards understanding the human brain. However, due to the
projects narrow focus, the HBP has been highly controversial
and divisive within the European neuroscience community
and even within the consortium, resulting in on-going losses
of members.
A formal review of the HBP is now scheduled to evaluate
the success of the projects ramp-up phase and the
plan for the next phase. At stake is funding on the order
of 50M€ per year European Commission for the core
project and 50M€ in partnering projects
provided largely by the European member states funding
bodies.
Many international neuroscientists, including both HBP members
and non-members are now calling for this review to be performed
in a very critical manner.
We want the public and the government to know that
we believe collaborative research in neuroscience can yield
great benefits to human well-being but that the Human Brain
Project does not provide what is needed to achieve that.,
explains Zachary Mainen, HBP member and Director of the
Champalimaud Neuroscience Programme, in Lisbon, Portugal.
Neuroscientists composed an open letter that describes both
their support of this project and their concern about the
course it is taking under the current management. In this
letter, they recommend certain criteria to be taken in order
to insure the future success of the project. If we
dont wake up and address this situation by insisting
on transparent, accountable and representative structures
to support large-scale research efforts then we will fail
to reach our goals and compromise the legacy that we might
have achieved., concludes Mainen. In the event that
the EC is unable to adopt the recommendations proposed in
the Open Letter, the undersigned pledge not to apply for
HBP partnering projects and will urge other scientists to
join them in this commitment.
* Réponse de la direction du HBP. https://www.humanbrainproject.eu/documents/10180/17646/HBP-Statement.090614.pdf
* Commentaires
de La Tribune de Genève http://www.tdg.ch/geneve/actu-genevoise/Petition-contre-le-Human-Brain-Project/story/15828686
Dans une lettre adressée
lundi à la Commission européenne, quelque
130 scientifiques menacent de boycotter le Human Brain Project.
La recherche dirigée par lEPFL a pour but de
modéliser entièrement le cerveau humain sur
ordinateur. 24 heures après le lancement de la protestation,
on s'approchait de 300 soutiens dont la liste figure sous
le document en ligne www.neurofuture.eu, dans lequel ils
contestent les options scientifiques du projet à
un milliard deuros, et sa gestion financière.
Parmi les signataires, on relevait lundi dix représentants
de lUniversité de Genève, pourtant associée
au projet qui doit sinstaller au Campus Biotech de
Sécheron.
Le HBP suscite «un grand malaise en Suisse et en Europe»,
a indiqué lundi Richard Hahnloser, professeur de
neurosciences à l'EPFZ et à l'Uni de Zurich,
sur les ondes de la RTS, qui a révélé
l'information. Il parle d'un «bâtiment plein
de promesses mais sans contenu réel». «Quel
avantage y a-t-il à faire une simulation pareille
alors qu'on arrive même pas à simuler un ver
de terre qui a seulement 300 neurones», s'est-il interrogé.
Le chercheur craint que le projet n'accapare tout l'argent
dévolu aux neurosciences en Europe.
Le HBP, initié par le professeur Henry Markram, vise
à simuler en détail un cerveau humain sur
un superordinateur dici 2023, afin de mieux comprendre
comment il fonctionne et daméliorer les applications
en neurosciences et en médecine.
Voici
enfin nos articles précédents sur le sujet
* Le projet Blue Brain et le programme européen Human
Brain Simulation project (HBSP)
http://www.automatesintelligents.com/echanges/2011/jan/hbsp.html
* Human Brain Project, un grand projet européen sur
le cerveau humain http://www.automatesintelligents.com/edito/2013/fev/humanbrain.html
Retour
au sommaire