Article
Du vide cosmologique aux mythes
sur l'éternité
Jean-Paul Baquiast 12/04/2014
Sans
reprendre directement les supputations New Age des premiers
physiciens quantiques selon lesquelles cette nouvelle forme
de physique pouvait justifier les croyances religieuses
des religions asiatiques (Cf le Tao de la physique par Fritjof
Capra et ses multiples suites), nous pensons que les expérimentations
récentes de la cosmologie obligeront à poser
à nouveau la question de l'origine des mythes concernant
l'infini et l'éternité.
De
plus en plus de cosmologistes sont convaincus sans
preuves évidemment à ce jour de la pertinence
scientifique du concept de multivers 1). Celui-ci peut prendre
deux formes intéressant notre propos: soit un multivers
mathématique, soit un multivers issu du vide cosmologique,
lequel vide serait une version étendue du vide quantique.
Dans cette dernière hypothèse, des bulles
d'univers naîtraient en permanence de ce que l'on
nomme sans toujours préciser ce dont on parle des
fluctuations du vide. Il s'agirait de l'émergence
continue et aléatoire de paires de particules et
antiparticules s'annihilant très vite, à l'exception
de celles qui donneraient naissance à des atomes,
briques de base de la physique macroscopique. Un tel phénomène
semble pouvoir être observé en laboratoire,
par exemple concernant les photons dans l'effet Casimir
2).
Or
dorénavant, à l'échelle cosmologique,
il paraît de plus en plus nécessaire de postuler
l'existence, à un niveau de ce que l'on pourrait
qualifier faute de mieux d'infra-quantique, de phénomènes
de fluctuations donnant naissance à des couples de
particules dotées d'un immense énergie, ceci
en résultat de l'énergie sans doute illimitée
propre au vide quantique. De ces fluctuations, non liées
au temps et à l'espace tels que nous les définissons,
naitraient des bulles d'univers.
Certaines d'entre elles, à la suite d'un phénomène
qualifié d'inflation, atteindraient en des temps
très courts la taille d'un univers tel que le nôtre.
Dans la théorie du multivers, il n'y aurait aucune
raison de supposer qu'un tel phénomène ne
puisse se produire plusieurs fois, en donnant naissance
à des univers tels que le nôtre, ou à
des univers différents. Ceux-ci pourraient selon
les cas générer des temps et des espaces qui
ne seraient pas exactement similaires à notre espace-temps
einsténien.
Encore
faudrait-il montrer que notre univers serait né,
à la suite d'un accident qualifié faute de
mieux de Big bang, d'un tel processus. Or la presse s'est
faite récemment l'écho de l'observation supposée
d'ondes gravitationnelles primordiales qui seraient l'écho
lointain d'une inflation originale ayant suivi l'émergence
d'une telle bulle d'univers 3). Cette observation a été
faite par le radiotélescope dit BICEP2 (Background
Imaging of Cosmic Extragalactic Polarization) situé
dans l'Antarctique. A supposer qu'elle soit confirmée,
elle apporterait un fort argument en faveur de l'hypothèse
de l'inflation, et de façon rétrospective,
à celle d'un Big bang provenant d'une fluctuation
du vide cosmologique. En extrapolant, les physiciens soutenant
la thèse des multivers évoquée ci-dessus
verront là le début d'une preuve expérimentale
intéressant un processus de génération
d'univers multiples encore fortement controversé.
Des
« réalités sous-jacentes »
Mais
l'opinion publique ne manquera pas, sans de bonnes raisons,
de tirer de tout ce que nous venons d'évoquer, quelques
arguments pour formuler à nouveau certaines des hypothèses
de Fritjof Capra et de ses homologues s'interrogeant sur
les origines possibles des croyances en l'infini et en l'éternité.
Celles-ci
sont présentes dès l'origine des civilisations
humaines peut-être aussi perçues par
les animaux. Est-ce que, d'une certaine façon, nos
cerveaux ne seraient-ils pas intuitivement conscients de
« réalités sous jacentes »
propres au vide quantique ou au vide cosmologique, lequel
est considéré aujourd'hui comme une autre
forme du vide quantique ? On admet aujourd'hui que ce vide
ne connait ni le temps ni l'espace. Par conséquent
les concepts d'éternité ou d'infini seraient
tout à fait qualifiés pour désigner
un tel vide, lui-même étant considéré
comme un état primordial dont tout ce qui existe
proviendrait. Les hypothèses développées
par la physique quantique (à supposer qu'elles soient
confirmées), relatives à l'indétermination,
à la superposition d'états, à l'intrication,
pourraient en apporter des preuves expérimentales
.
Certes,
dès après le Big bang, l'inflation évoquée
plus haut aurait créé les cadres temporels
et spatiaux que nous connaissons. Les atomes puis ultérieurement,
les organismes vivants terrestres, se sont inscrits dans
ces cadres. Ils demeurent cependant d'une certaine façon
liés au monde quantique, les particules dont ils
sont composés pouvant dans certains conditions se
comporter comme des particules quantiques ou qu.bits pour
lesquelles s'imposent l'intemporel et l'infini.
Il
ne serait donc pas absolument aberrant de considérer
que, dans des conditions à préciser, les organismes
vivants et plus particulièrement, en ce qui concerne
les humains, leurs cerveaux, pourraient ressentir intuitivement
l'intemporel et l'infini dans lesquels ils baigneraient,
bien qu'eux-mêmes étant globalement temporels
et finis. Autrement dit, nos organismes ne seraient-ils
pas restés intuitivement conscients de la « réalité »
d'un monde hors du temps et de l'espace?
Chez
les humains dotés de la capacité langagière,
ce ressenti pourrait s'exprimer par la perception non rationalisable
mais communicable à travers les mythes de ce que
l'on pourrait appeler la « réalité »
du concept d'infini, si difficile à admettre par
la seule raison. Les croyances primordiales, qu'elles soient
liées à la contemplation de certains aspects
du monde matériel, tels que le ciel nocturne, ou
bien qu'elles servent de fondement à des imaginaires
religieux détachés du monde matériel,
pourraient être considérées comme inspirés
par cette perception inconsciente.
Ceci ne justifierait en aucun cas de se laisser convaincre
par les mythologies ou les religions lorsqu'elles affirment
l'existence de déités intemporelles ou infiniment
savantes interférant en permanence dans nos vies.
Il serait par contre opportun de considérer ces mythes
et religions comme les traces d'un infra-univers fondamental
que la science pourrait désormais nous apprendre
à mieux connaître. Mais il faudrait sans doute
pour cela que nos cerveaux se transforment suffisamment,
dans leurs organisations neuronales ou à travers
des ajouts artificiels, pour « visualiser »
l'infini et l'éternité de la même façon
que nous « visualisons » les nombres
ou le temps mesuré par une horloge 4).
Notes
1) Cf. un interview récent de Max Tegmark http://intelligence.org/2014/03/19/max-tegmark/.
Nous avions précédemment présenté
et commenté son livre Our Mathematical Universe:
My Quest for the Ultimate Nature of Reality
2) Les fluctuations quantiques du vide sont présentes
dans toute théorie quantique des champs. L'effet
Casimir est dû aux fluctuations du champ électromagnétique,
décrit par la théorie de l'électrodynamique
quantique.
3).
Voir notre article http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2014/144/bicep.htm.
4) Ajoutons que le terme de fluctuations de l'énergie
du vide cosmologique, pouvant expliquer l'apparition de
bulles d'univers, n'aurait pas de sens dans un milieu supposé
intemporel, c'est-à-dire ne comportant pas de phénomènes
pouvant jouer un rôle causal qui s'inscriraient nécessairement
dans le temps. Pour se représenter clairement le
phénomène, il faudrait un cerveau transformé
tel que celui évoqué ici en conclusion.
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