Sciences
politiques. Les vraies révolutions
dans le monde arabe
Jean-Paul Baquiast, Christophe
Jacquemin 09/03/2014

Ces
révolutions, encore à faire, ce seront les
femmes qui les feront, ou plus exactement les militantes
féministes qui oseront braver tous les interdits
et tous les dangers pour entrainer à la résistance
l'ensemble des femmes arabo-musulmanes.
Elles reprennent le combat qui avait mobilisé les
féministes européennes il y a déjà
plus d'un siècle. En Europe, ce combat est loin d'être
terminé, comme l'ont montré à Paris
le 8 mars les débats tenus pour la Journée
internationale de la femme. Beaucoup de discriminations
et d'inégalités demeurent encore contre lesquelles
les femmes doivent continuer à lutter, sans trop
compter sur les hommes qui, dans le meilleur des cas, ne
les soutiennent que du bout des lèvres. Sans compter
non plus sur les églises et les traditions, encore
trop répandues, pour qui le seul statut acceptable
pour la femme est d'être au foyer, sous la dépendance
d'un mari.
Mais
dans le monde arabo-musulman, à commencer par le
Maghreb, pourtant si proche de nous, ce combat n'a pas vraiment
commencé. Ne parlons même pas des monarchies
pétrolières du Golfe, dont les hommes omni-présents
et omni-puissants imposent aux femmes un véritable
esclavage. On s'interroge parfais en Europe sur le fait
que, nulle part au monde, les sociétés arabes
n'ont réussi à maîtriser les facteurs
qui leur permettraient de se développer pacifiquement.
Ni les enseignements ouverts, ni les recherches scientifiques,
ni une démocratie critique et plurielle n'ont pu
s'y implanter. Il en résulte que, malgré leurs
atouts naturels, malgré l'argent à odeur de
pétrole ou de trafics qui parfois y circule, ces
pays n'arriveront pas à être pris au sérieux
et sur un pied d'égalité par le reste du monde
y compris par la Chine et l'Inde, puissances dorénavant
bien établies.
Les
causes de ces faiblesses constitutionnelles ont souvent
été dénoncées. Il y le poids
écrasant que continue à y peser l'islam. Ceci
non en tant que religion proprement dit (chacun est libre
de croire en un dieu, quel qu'il soit) mais en tant que
système de pouvoir imposé aux sociétés
par ceux profitant de croyances venues sans modifications
du fonds des âges pour s'imposer au peuple. Il en
résulte qu'en dehors des écoles coraniques,
nul système éducatif ouvert ne fonctionne
encore. De même, puisque apparemment l'islam se fonde
aussi sur le pouvoir des mâles, rien ne peut encore
provenir de ceux-ci pour faire évoluer les sociétés.
La domination des hommes sur les femmes et, accessoirement,
sur les enfants, reste entière. Une loi inspirée
de l'islam, la charia, continue à imposer, notamment
aux femmes, des châtiments ayant dès la Renaissance
quasiment disparues d'Europe, le fouet, les amputations,
la lapidation.
D'une
façon apparemment plus anodine, mais tout aussi aliénante,
les hommes continuent à imposer aux femmes de rester
voilées, que ce soit du visage ou de la tête
aux pieds même aux championnes sur les stades.
Cette marque d'assujettissement aux hommes avait régné
en Europe jusqu'à l'âge des lumières,
avant de disparaître, sauf dans les couvents. Les
hommes musulmans prétendent, y compris en Europe,
que les femmes elles-mêmes demandent le voile. Mais
on sait ce qu'il en est, les victimes restent le plus souvent
complaisantes à l'égard de ceux qui les oppriment,
pères, grands frères et même mères
des générations précédentes
ne tolérant pas que leur filles et petites filles
fassent ce qu'elles n'ont jamais osé faire.
Il
en résulte que dans ces pays soumis au pouvoir des
hommes et de la religion, la moitié de la population,
sa composante féminine, est tenue à l'écart
de tous les circuits de décision et de développement.
Il n'est donc pas étonnant que ces pays n'arrivent
pas à se hisser au niveau atteint ou ambitionné
par le reste du monde. Plus immédiatement, il n'est
pas étonnant que, de ce fait, les prétendues
révolutions du monde arabe aient partout abouti à
restaurer les anciens pouvoirs, les anciens préjugés
et, en ce qui concerne les femmes, des aliénations
renouvelées. Récemment, en Tunisie et en Egypte
notamment, les manifestantes le faisaient au péril
de leur vie, coups, blessures et viols, de quelque côté
qu'ils proviennent.
En
France
C'est
pourquoi, dans un Etat comme la France, offrant aux rares
militantes féministes arabo-musulmanes un minimum
d'espace de liberté, il est bon que celles-ci en
profitent pour recruter des appuis féminins. Cet
espace est très minime. Il suffit pour s'en convaincre
de lire les commentaires orduriers ou ineptes que les journaux
ayant relaté la manifestation du 8 mars ont recueillis.
Il reste que des manifestations inspirées des Femen
où des militantes se montrent nues ont une immense
importance. Dans la société de communication
qui est la nôtre, le pouvoir viral des images est
plus fort que de longs discours. Cette affirmation du droit
à la nudité, les slogans peints sur leurs
corps, les risques par ailleurs courus, car même en
Europe il n'est pas bon de braver les interdits, donnent
à leur action une portée profonde, une valeur
exemplaire sans égale. On en verra sans doute plus
tard les bons résultats dans le monde arabe, comme
aussi dans nos banlieues où l'aliénation des
femmes n'est guère différente de celle s'exerçant
ailleurs.
C'est
pourquoi aussi en ce qui nous concerne nous offrons autant
d'échos que possible aux Femen et à leurs
homologues. Des lecteurs nous ont reproché une sorte
de complaisance graveleuse à ce faire. Certes, où
le diable ne va-t-il pas se nicher ? Mais dans l'immédiat
il nous paraît que nous avons un devoir minimum à
l'égard de ces militantes courageuses : mettre au
service de leur lutte la capacité de diffusion dont
nous disposons sur le web, fut-elle infime.
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