Editorial
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Les
raisons d'une déroute électorale de la gauche
Par Jean-Paul Baquiast et Christophe
Jacquemin - 24/03/2014
Il
est illusoire de continuer à prétendre que
les élections locales ne mettent en jeu que des intérêts
municipaux. Les électeurs, quand ils ont des messages
forts à faire passer, utilisent toutes les occasions
de consultation électorale pour ce faire.
Hier
le 1er tour des élections municipales en France a
été marqué par une abstention record
particulièrement chez les électeurs de gauche,
par une forte montée du Front National sans doute
soutenu par beaucoup d'éléments de l'UMP,
par enfin ce qu'il faut bien appeler une déroute
du parti socialiste.
Même
si le 2e tour se traduisait par une remontée plus
ou moins forte de la gauche, celle-ci aurait tort de se
rassurer. Les critiques portées à l'égard
du gouvernement tout entier, comme dans une large mesure
à l'égard du président de la République,
ne vont guère se modérer. Ce ne sera pas en
huit jours, et sans engagements crédibles pour la
suite du septennat, que la gauche pourra se redresser.
Ces
critiques, nous en avons souvent analysé les motifs
ici. Même si elles ne sont pas aussi clairement formulées
dans l'esprit de tous les électeurs, elles ont été
suffisamment fortes pour provoquer l'abstention ou les votes
de rejet. Disons, pour simplifier, qu'elles sont au nombre
de trois:
* Le
fait que la majorité actuelle n'ait absolument pas,
en deux ans, même pas en paroles, entrepris de tenter
de modifier l'ordre économique et social. Celui-ci
se caractérise par la montée croissante des
inégalités, séparant une étroite
minorité de favorisés et le reste de la population.
Il s'agit de 5% de dominants disposant de la richesse, de
l'héritage culturel, du pouvoir économique,
financier et politique, ainsi que d'un appui massif des
médias qu'ils contrôlent. Le fait qu'une telle
situation se retrouve aux Etats-Unis comme en Europe n'excuse
pas que le gouvernement français n'ait, malgré
ses promesses, rien fait pour tenter de renverser ces inégalités.
Si la France avait pesé de tout son poids dans cette
action, des changements se seraient produits.
* Le
fait que la France se soit pliée sans la moindre
résistance aux injonctions venues de l'Union européenne.
Celles-ci visent à décourager les investissements
dans le pays, amoindrir les services publics, aggraver les
risques sociaux, paralyser la recherche scientifique et
technique. Ce n'est évidemment pas la seule Commission
européenne qu'il faille incriminer, mais les gouvernements
unis au sein du Conseil des ministres européens.
Lutter contre les déficits sans rien faire pour relancer
les investissements industriels, notamment en mobilisant
la Banque centrale européenne, sert évidemment
le capitalisme international, financier et spéculateur,
au détriment des "intérêts des
travailleurs", si l'on peut nous permettre cette expression
bien dévaluée aujourd'hui.
Aurait-il
fallu que la France menace de sortir de l'Union pour se
faire entendre ? Certainement pas, au moins dans un premier
temps. Mais il aurait fallu bloquer le fonctionnement de
celle-ci, refuser ses injonctions, fut-ce au risque de se
fâcher momentanément avec l'Allemagne. Les
autres pays européens nous auraient soutenus.
* Le
fait enfin que le gouvernement français se soit montré
le membre le plus servile de tous ceux composant le "monde
occidental" pour accepter la domination américaine.
Il s'agit d'abord de celle s'exerçant à travers
l'Union européenne pour imposer les intérêts
économiques et politiques des Etats-Unis. Il s'agit
ensuite de celle se traduisant par un espionnage massif,
via la NSA et la CIA, au sein des réseaux numériques.
Cet espionnage, révélé par l'héroïque
Edward Snowden, n'a provoqué de François Hollande
qu'une désapprobation de façade, cachant une
indulgence de fond. Il s'agit enfin de la domination diplomatique
et militaire américaine, s'exerçant directement
ou par le biais de l'Otan, et visant à déstabiliser
la Russie. L'affaire ukrainienne, où la France s'est
montrée le meilleur soutien de Washington, n'a eu
qu'un seul résultat, nous brouiller avec la Russie.
Celle-ci devrait être au contraire un partenaire stratégique
majeur au sein d'un continent européen élargi.
Que
l'on ne dise pas que ces constatations sont le fait de quelques
rares agités, parmi lesquels se trouve notre modeste
comité de rédaction. Elles sont très
largement partagées, et en termes bien plus virulents,
sur des sites interactifs non engagés politiquement,
tels que celui d'Agoravox, où nous publions de temps
à autres des articles. Mais les conseillers en communication
du gouvernement n'ont sans doute pas le temps de s'y rendre.
Inutile
d'espérer que des votes UMP ou FN puissent changer
la moindre chose aux raisons profondes de la politique reprochée
par les électeurs au gouvernement. Ces partis, au
pouvoir, feraient selon-nous encore pire que la gauche.
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