Sciences,
technologies et politique.
Nouvelles avancées vers le calculateur
quantique ?
Jean-Paul
Baquiast et Christophe Jacquemin - 18/02/2014

Photonic
quantum computer : two spontaneous photon-pair source are
integrated within a tuneable Mach-Zehnder interferometer.
The system is capable of generating and manipulating path-entangled
two-photon states (credit: J. W. Silverstone et al./Nature
Photonics)
Nous
suivons de près ici les progrès vers le calculateur
quantique. Ceci pour trois raisons:
- l'intérêt scientifique, consistant à
maîtriser les entités quantiques, dites q.bit,
dans des applications faisant appel aux propriétés
particulières de celles-ci (encore mal comprises au
plan théorique) : superposition, intrication, non localité
notamment
- l'intérêt, plus généralement,
consistant à pouvoir utiliser des calculateurs extrêmement
puissants pour résoudre les innombrables problèmes
techno-scientifiques butant actuellement sur l'insuffisance
des moyens de calcul.
- l'intérêt géostratégique. Le
pays qui se donnera en premier les moyens d'utiliser de tels
calculateurs pour notamment briser les barrières cryptographiques
ou gérer les big data, dominera tous ses rivaux. C'est
pourquoi nous sommes très attentifs, sinon alarmés,
lorsque l'on apprend que la NSA (en collaboration avec Google
?) est en
train de développer ce type de calculateur, à
partir semble-t-il de solutions offertes par la firme canadienne
D-Wave Systems.
Il
est donc très intéressant d'apprendre, dans
un article publié par Nature photonics, qu'une
collaboration internationale (en majorité européenne)
conduite par le Pr Mark Thompson, de l'université de
Bristol (UK), a réussi à générer
et manipuler des photons sur une puce de silicium. Pour voir
l'intérêt de l'enjeu, il faut savoir que les
prototypes de calculateurs quantiques actuels nécessitent
de gros moyens techniques pour générer, conserver
à l'abri de la décohérence et faire travailler
ensemble un nombre de q.bits (aux alentours de la dizaine)
permettant de commencer à réaliser des calculs
d'un intérêt suffisant. Dans la technologie du
calculateur quantique dit optique (utilisant des photons comme
q.bits) il faut notamment installer d'encombrantes sources
de lumière pour générer les photons.
Or la
nouvelle puce rassemble des composants fortement miniaturisés
capables de générer des photons dans la puce
elle-même. Les premiers essais ont montré que
le travail en commun des dispositifs intégrés
dans la puce permet de produire des photons identiques de
haute qualité, d'une façon reproductible. On
peut donc espérer fabriquer industriellement de telles
puces de silicium comportant des centaines de générateurs
de photons analogues, tous travaillant en commun. Il s'agirait
en fait d'un calculateur quantique optique de format réduit,
capable de s'attaquer aux calculs les plus compliqués.
Les sources de photons isolés, les détecteurs
et les circuits ont été réalisés
séparément sur une base de silicium, puis intégrés
selon les techniques utilisées actuellement par les
fabricants de composants dans le domaine digital. L'ensemble
permet d'obtenir des micro-puces d'un millimètre carré
capables de générer et manipuler le processus
essentiel du calculateur quantique qu'est l'intrication.
On notera
que c'est Toshiba Corporation (Japon), aujourd'hui important
concepteur de composants classiques, qui a réalisé
le produit prototype. L'équipe comprend, outre des
chercheurs de l'université de Bristol, des représentants
de Toshiba, ainsi que des universités de Stanford,
de Glasgow et de Delft. Après avoir travaillé
5 ans sur ce projet, l'équipe espère dans les
deux prochaines années réaliser des calculateurs
quantiques photoniques suffisamment performants pour rivaliser
avec des calculateurs conventionnels et pouvoir s'attaquer
à des calculs hautement spécialisés.
Restera
aussi à produire les logiciels adéquats, ceux
existant actuellement ne paraissant pas être au niveau
nécessaire.
On observera
avec intérêt que le Centre
for Doctoral Training in Quantum Engineering de l'université
de Bristol va former de nouvelles générations
d'ingénieurs, scientifiques et industriels capables
de maîtriser collectivement les possibilités
offertes par la physique quantique, puis, pourquoi pas, conduire
la révolution du calculateur quantique, longtemps espérée
mais sans résultats vraiment concluants à ce
jour.
A supposer que les annonces objets de la publication dans
Nature Photonics tiennent leurs promesses, il faudra
se demander si ces projets seront mis dans le domaine public,
ou brevetés de façon à les rendre inaccessibles
aux compétiteurs. Au-delà, quelle grande puissance
se donnera la maîtrise du développement et des
usages des nouveaux produits, tant dans les domaines civils
que militaires ?
La réponse à cette dernière question
ne fait guère de doute pour nous.
References:
* J. W. Silverstone et al., On-chip
quantum interference between silicon photon-pair sources,
Nature Photonics, 2013, DOI: 10.1038/nphoton.2013.339
* J. W. Silverstone et al., On-chip
quantum interference between two silicon waveguide sources,
arXiv, 2013, arxiv.org/abs/1304.1490
Note
PS au 19/02. A propos de D.Wave, nous venons de prendre connaisance
d'une étude produite par IBM indiquant que D.Wave se
limite à des calculs classiques. Intéressant,
mais qui croire?
http://www.computerworld.com/s/article/print/9246041
/IBM_questions_D_Wave_quantum_claims