Contre
le partenariat transatlantique
Jean-Paul Baquiast 11/01/2014

Les
négociations entre lUnion européenne et
les Etats-Unis sur le Partenariat transatlantique de commerce
et dinvestissement (PTCI) ont débuté cet
été, malgré les réserves, tout
au moins en France, de nombreux représentants politiques,
chefs dentreprise et dirigeants de syndicats. Ils considèrent
cette démarche comme un abandon de plus des compétences
européennes face à une concurrence américaine
"libre et non faussée" qui ressemble de plus
en plus à une mise en coupe réglée, compte
tenu des différences de forces entre les futurs partenaires.
Il
n'empêche. Avec l'implication personnelle du président
de la Commission européenne, Jose Manuel Barroso qui
en espérerait le soutien américain pour une
promotion dans une institution internationale, le mouvement
s'accélère. Le gouvernement français
pour sa part semble étrangement indifférent.
Ceci pourtant au moment où les révélations
de Edward Snowden montrent l'ampleur de la guerre économique
menée par les Etats-Unis, via la NSA et d'autres agences,
aux dépens des industries et des économies européennes.
Certains objectent que le TTIP (Transatlantic Trade and Investment
Partnership ) ou PCTI (Partenariat transatlantique de commerce
et d'investissement) favoriserait symétriquement les
divers partenaires à l'échange. C'est évidemment
faux. Les intérêts français n'atteignent
en aucun cas la taille critique leur permettant de se battre
à égalité. Ceci non seulement dans le
domaine économique mais dans le domaine politique et
diplomatique, où leurs futurs partenaires américains
bénéficient d'un soutien sans faille du Département
d'Etat et du Ministère de la Défense, grand
acheteur comme l'on sait.
Certes,
en Europe, une partie du patronat européen et de la
banque, bien représentée dans les média,
espère qu'à l'occasion de ce partenariat transatlantique
seront démantelées les diverses mesures mises
en place depuis 30 ans pour maintenir un reste d'équilibre
entre l'investissement public et l'investissement privé,
comme plus généralement entre le social et l'économique.
La table-rase actuellement imposée à la Grèce
par l'UE et la Banque centrale pourrait ainsi être généralisée
dans l'ensemble de l'Europe. Mais ce soutien représente
une raison de plus pour rejeter les négociations. L'indépendance
et les perspectives de relance de l'Europe auront tout à
y perdre sauf à admettre que les entreprises
et les banques européennes sont vouées à
devenir de simples succursale de leurs concurrentes américaines.
On fait
également valoir que les Asiatiques sont moins frileux
que les Européens, puisqu'ils semblent s'engager avec
enthousiasme dans l'équivalent du TTIP pour la zone
Pacifique, le TPP. Mais d'une part la taille et la compétitivité
des entreprises asiatiques sont malheureusement en général
sans comparaison avec celles des entreprises européennes.
D'autre part, même en Chine, des réticences commencent
à se faire sentir. La véritable colonisation
des secteurs de pointe chinois par des entreprises et capitaux
américains commence à alerter les opinions.
On fait
enfin valoir que les Européens n'ont pas de raison
de s'inquiéter, parce que le soutien donné au
TTIP et au TPP par les Américains semble s'effriter.
Les membres du Congrès, notamment, découvriraient
que beaucoup de leurs électeurs dans les secteurs économiques
traditionnels ne partagent pas l'enthousiasme de la Maison
Blanche, en perdition dans tous les autres domaines, pour
une rapide conclusion des négociations.
Mais il ne faut pas compter la-dessus. Le Big Business et
la grande banque américaine ne seront pas fâchés
de se débarrasser à la fois de la concurrence
européenne et des lourdeurs de certains secteurs traditionnels
provenant de l'Amérique profonde. Ils ne renonceront
donc pas à mener et tenter de gagner la « guerre
des Traités ».
Il n'empèche.
Tous les arguments présentés ici, et bien d'autres,
pour refuser les négociations ou les faire indéfiniment
traîner en longueur, semblent se heurter à un
mur d'indifférence, tant à Bruxelles qu'à
Paris. Il faudra s'y résigner. Il ne s'agira que d'une
nouvelle phase dans le suicide de l'Europe.
Annexe
Nous reprenons
ici, à la suite du site Agoravox, une traduction en
français des préambules d'un dossier intitulé
Brave New Atlantic Partnership établi par l'ONG Seattle
to Brussels Network http://www.s2bnetwork.org/
Ce texte
est consultable en anglais au format .pdf à l'adresse
suivante http://www.s2bnetwork.org/fileadmin/dateien/downloads/Brave_New_Atlantic_Partnership.pdf
Brave
New Atlantic Partnership
Beaucoup
considèrent cet accord comme une opportunité
pour sortir du marasme économique de part et dautre
de lAtlantique. Les avantages, s'il en est, ne seront
globalement qu'unilatéraux
La
consolidation des relations commerciales entre lUE et
les Etats-Unis au sein dun grand marché transatlantique
a été présentée aux citoyens comme
un vecteur puissant de croissance économique, avec
des prévisions parfois très enthousiastes qui
évoquent une hausse du PIB de lordre de 1%. Les
négociateurs européens et étatsuniens
sont persuadés que la suppression des barrières
commerciales et l« harmonisation » de la
régulation entre lUE et les Etats-Unis permettra
une croissance du commerce et par conséquence la création
de millions demploi.
«
Un partenariat transatlantique pour le meilleur des mondes
» est une analyse préliminaire des conséquences
socio-économiques, écologiques et géopolitiques
qui résulteraient de cet accord transatlantique. Ce
rapport prend le contre-pied de la croyance dans les bienfaits
libre-échange et la déréglementation
qui sous-tend les négociations transatlatiques. Il
montre combien les bénéfices économiques
attendus sont moins importants que ceux annoncés -
tandis que les risques, eux, sont sous-estimés voire
ignorés.
A
laune de cette analyse préliminaire, le PTCI
apparaît avant tout comme un projet politique porté
par les élites économiques et politiques de
part et dautre de latlantique. Sous le prétexte
de laugmentation du commerce et de la création
demploi, ce traité transatlantique vise surtout
à sattaquer aux réglementations sociales
et environnementales, à établir des droits entreprises
primant sur ceux des citoyens, et à consolider le leadership
étatsunien et européen dans un ordre mondial
en plein changement.
-
Des profits exagérés, des risques sous-estimés
Comme
le note ce rapport, le commissaire européen au commerce
Karel de Gucht a largement exagéré les bénéfices
attendus dun possible accord transatlantique. Selon
une étude financée par lindustrie, les
retombées attendues en termes de croissance sont de
lordre de 1% du PIB, avec la création de «
centaines de milliers demplois ». Pourtant, létude
dimpact réalisée par la Commission elle-même
montre que limpact sur la croissance en Europe serait
plutôt de lordre de 0,1% sur dix ans. Soit une
augmentation moyenne inférieure à 0,01% du PIB,
ce que les économistes considèrent comme tout
à fait trivial.
Pour
autant, les risques socio-économiques et environnementaux
associés à ces prétendus « bénéfices
» pourraient savérer catastrophiques. La
concurrence exacerbée liée à lapprofondissement
du libre-échange entre les Etats-Unis et lUnion
européenne conduirait en effet à des restructurations
de grande ampleur et à dimportantes destructions
demplois. Cette concurrence pourrait accroître
davantage les divergences entre les économies de la
périphérie et du centre de lEurope, les
secteurs étatsuniens ayant le plus à gagner
en termes de libéralisation étant précisément
ceux où les pays de la périphérie de
lEurope ont le plus à perdre, comme cest
le cas pour lagriculture.
Ensuite,
dans de nombreux domaines réglementaires, les lois
et normes étatsuniennes offrent des protections bien
moindres que leurs homologues européennes. Lharmonisation
entre les législations étatsuniennes et européennes,
au cur du projet de laccord, pourrait avoir pour
conséquence une baisse significative du niveau de protection
des consommateurs en Europe. Ce pourrait être le cas
en ce qui concerne les organismes génétiquement
modifiés (OGM), la viande traitée aux hormones,
et le poulet désinfecté au chlore. En conséquence,
lagriculture soutenable serait davantage marginalisée
à mesure que lEurope devrait souvrir à
limportation de produits étatsuniens soumis à
des normes plus laxistes en termes de bien-être des
animaux, ou de lutilisation massive de pesticides nocifs.
La
loi de lharmonisation par le bas étant la règle
des négociations, les politiques de réglementation
environnementale européennes ou de régulation
financière aux Etats-Unis pourraient elles aussi être
mises à mal. Ainsi le PTCI pourrait remettre en cause
les moratoires actuellement en application concernant lextraction
de gaz de schiste, ou de contourner les critères réglementaires
pour des milliers de produits chimiques toxiques prévus
dans le cadre de la directive européenne REACH.
La
réglementation financière étatsunienne,
actuellement plus stricte que dans lUnion européenne,
pourrait elle aussi être remise en cause ; les grandes
banques souhaitent que les négociations transatlantiques
soient loccasion de remettre en cause les efforts
tous relatifs réalisés après la
crise de 2008 pour introduire une régulation financière
plus strictes. Alors que même le Fonds monétaire
international (FMI) et la Banque mondiale commencent à
reconnaître de que le contrôle des capitaux pourrait
être un moyen de lutter contre la spéculation
et des effets déstabilisateur de la liberté
des capitaux, le PTCI pourrait conduire à une libéralisation
et une dérégulation de tous les secteurs des
services y compris les services financiers avec
le risque de favoriser plus que prévenir de nouvelles
crises financières internationales.
-
Une menace pour les droits civiques et sociaux en Europe
La
restructuration profonde des relations sociales quinduirait
ladoption de laccord transatlantique représente
de véritables menaces sur les droits civiques et sociaux
en Europe. Si, aux Etats-Unis, les entreprises jouissent dun
accès virtuellement illimité aux données
personnelles des citoyens, en Europe des garde-fous légaux
sont encore en place en matière de protection de la
vie privée. Mais cela pourrait changer si le chapitre
sur les droits de propriété intellectuelle (DPI)
actuellement prévu dans le PTCI venait à être
adopté.
Les
tentatives pour mettre à mal le droit des européens
en matière de vie privée, à travers les
négociations de laccord anti-contrefaçon
ACTA (Anti-Counterfeiting Trade Agreement), ont déjà
été repoussées avec succès, avec
le rejet au Parlement européen sous la pression dune
importante mobilisation publique en Europe. Et pourtant, le
PTCI, négocié à huis clos, à labri
dun véritable contrôle citoyen ou parlementaire,
pourrait représenter une nouvelle menace de remise
en cause des droits civiques en Europe.
Linclusion
dun chapitre sur les DPI inspiré de lACTA
pourrait aussi remettre en cause le droit des européens
à accéder à des soins à des tarifs
abordables. Le durcissement des réglementations en
matière de brevets, souhaité par lindustrie
pharmaceutique, pourrait ainsi empêcher la mise sur
le marché de médicaments génériques.
Par ailleurs, à travers lharmonisation de la
réglementation entre lUE et les Etats-Unis (avec
un principe de « reconnaissance mutuelle » des
cadres réglementaires de chacun des partenaires), la
marchandisation des services publics, telle quelle est
mise en uvre aux Etats-Unis, pourrait être favorisée
en Europe, avec une hausse des coûts notamment en matière
de santé.
Lharmonisation
des normes et réglementations pourrait aussi avoir
des effets considérables sur le droit du travail et
les droits syndicaux, ces droits étant notoirement
beaucoup plus faibles aux Etats-Unis quen Europe. Si
les négociations devaient conduire à un accord,
les salariés de part et dautre de latlantique
seront de fait pris dans une concurrence accrue pour attirer
les investissements privés. Avec à la clé,
une course au « dumping social » et des délocalisations
vers les régions les plus « compétitives
».
-
Recours privés contre règles démocratiques
Outre
lharmonisation par le bas des régulations, le
PTCI prévoit, dans le chapitre sur les investissements
en cours de négociation, de restreindre les possibilités
dintervention des régulateurs voire des gouvernements.
Ce chapitre prévoit en effet un mécanisme de
règlement des différends à travers lequel
les multinationales et investisseurs étrangers pourront
porter plainte contre les gouvernements devant des tribunaux
internationaux et les poursuivre pour des lois ou réglementations
qui contreviendraient à leurs (possibles) profits ou
investissements.
De
nombreux exemples existent dores et déjà,
puisque de tels dispositifs existent dans laccord de
libre-échange nord-américain (ALENA ou NAFTA
pour North Americain Free Trade Agreement) et dans dautres
accords bilatéraux de commerce. Des lois mises en place
de manière démocratique, concernant la protection
des consommateurs ou la protection de lenvironnement,
ont ainsi été remises en cause par des entreprises
privées réclamant des millions de dollars en
compensation. Dans un cas récent, le géant étatsunien
du tabac Philip Morris a poursuivi les gouvernements de lUruguay
et de lAustralie pour leurs lois anti-tabac. Cet exemple
donne un avant-goût de ce qui pourrait advenir si le
PTCI devait garantir de tels droits juridiques aux multinationales
et investisseurs privés.
Les
entreprises étatsuniennes investissant en Europe pourraient
ainsi passer outre les cours européennes et sattaquer
directement aux gouvernements européens via des tribunaux
darbitrage privé, dès lors quelles
considéreraient que des lois à vocation environnementale,
sociale, de santé publique interfèreraient avec
leurs profits. Il se pourrait même que la seule menace
de poursuites couteuses soit suffisante pour dissuader les
gouvernements de mettre en place des réglementations
trop contraignantes pour le privé, ce qui représenterait
une sérieuse remise en cause de principes démocratiques
élémentaires.
-
Des enjeux qui dépassent le cadre transatlantique
Plus
dun tiers des échanges commerciaux mondiaux seffectuant
entre lUnion européenne et les Etats-Unis, ladoption
dun accord transatlantique marquerait la création
de la plus large zone de libre-échange du monde, avec
des implications bien au-delà de lAtlantique.
Le PTCI aurait, de facto, un effet dimposition sur les
règles du commerce international. Il pourrait être
un moyen de surpasser les blocages actuels des négociations
multilatérales (au sein de lOMC), où les
pays en développement ont pu sopposer aux exigences
des Etats-Unis et de lUnion européenne pour pousser
à une libéralisation plus grande de leurs économies
(avec la perspective de faciliter aux entreprises européennes
et étatsuniennes laccès aux marchés
et aux matières premières des pays en développement).
Le
PTCI pourrait ainsi être linstrument pour soumettre
les pays en développement aux intérêts
des Etats-Unis et de lUnion européenne. Il participerait
à ce titre de la stratégie des élites
européennes et étatsuniennes pour reprendre
la main vis-à-vis des pays émergents comme lInde,
la Russie, la Chine, le Brésil et lAfrique du
Sud, et pour reconquérir un leadership international
dans un monde en changement, où lhégémonie
étatsunienne et européenne est menacée.
Et, de fait, pour imposer un ordre commercial mondial plus
que jamais basé sur la dérégulation,
le libre-échange et des pouvoirs démesurés
pour les grandes entreprises transnationales
En
offrant une analyse critique des retombées socio-économiques
et environnementales et des objectifs du PTCI, ce rapport
vise à contribuer à un débat public plus
que jamais nécessaire sur cet accord transatlantique,
et plus largement, sur lévolution du commerce
international.
Traduit par Frédéric Lemaire pour les Dessous
de Bruxelles