Introduction
en forme d'excuses publiques et demande d'indulgence, destinées
à adoucir toutes poursuites judiciaires et extra-judiciaires
Nous
venions de mettre en ligne une courte présentation
du dernier ouvrage de Jared Diamond « The
World Until Yesterday »
, « Le monde jusqu'à hier »
quand nous avons
découvert que cet auteur, ses différents ouvrages
et ceux qui comme nous en rendent compte, méritent
désormais des poursuites de la future Cour des comptes
de l'inégalité proposé par le remarquable
rapport remis récemment au Premier ministre pour
favoriser le « vivre ensemble ».
Certains des auteurs de ce rapport appartiennent semble-t-il
à l'organisation de gauche Terra Nova, qui s'était
fait précédemment connaître par l'audacieuse
proposition visant à « changer le peuple »,
vu que le peuple n'a que des idées réactionnaires
et que les seuls experts à consulter sont les intellectuels
de gauche vivant dans les beaux quartiers.
La presse a retenu que ce rapport demandait lautorisation
du voile à l'école et la suppression de la
circulaire qui empêche les mères voilées
d'accompagner les élèves lors des sorties
scolaires. Mais il faut évidemment aller plus loin.
Le rapport propose la création d'une
Cour des comptes de légalité ainsi,
entre autres, que l'abandon du terme intégration
lequel peut constituer « un signal fort pour
celles et ceux qui sont victimes de cette injonction au
quotidien » .
Au
delà, ce rapport demande que la France assume "la
dimension arabe-orientale" de son identité,
en valorisant notamment l'enseignement de l'arabe à
l'école et, dès le collège, d'une
langue africaine. De même, il faut revenir sur l'allocation
de solidarité aux personnes âgées ou
le RSA qui "ne sont servis aux assurés ressortissants
étrangers que s'ils justifient d'un séjour
régulier de cinq ans au moins" . On discrimine
ainsi les immigrés récents au regard des immigrés
ayant cinq ans de présence en France.
Plus généralement, le rapport décrète
à
juste titre que
pour favoriser le "vivre ensemble", il faudrait
poser comme principe la "non désignation"
des individus puisque "désigner c'est assigner
et c'est stigmatiser" ! Et pour empêcher les
désignations "stigmatisantes", il est suggéré
de créer un délit de "harcèlement
racial" et, encore, d'"étudier le recours
à la sanction" !
Or c'est hélas ce que fait en permanence l'ouvrage
de Jared Diamond. Il désigne et de ce fait stigmatise
les populations dites traditionnelles, dont les coutumes
et usages sont très étrangères aux
nôtres. Les représentants de ces populations,
s'il en est, ou ceux qui voudraient par un retour en arrière
s'y assimiler, ne pourront que se sentir « stigmatisés ».
Comment
par exemple accepter que l'auteur reprenne l'observation
selon laquelle les guerres modernes, même avec l'emploi
d'armes de destruction massives, ont fait (selon des estimations,
sur lesquelles tous heureusement ne s'accorderont pas),
moins de morts relativement que les murs belliqueuses
des chasseurs-cueilleurs armés d'arcs et de lances.
De plus, dans ces sociétés, tout le monde
y était considéré comme bon à
tuer. Pas de pitié pour les femmes et les enfants.
Heureusement, dès la parution de l'ouvrage en anglais,
les leaders dits « indigenous » (mot
à proscrire) de la Papouasie occidentale et l'ONG
Survival International dédiée à la
protection des droits indigènes (indigenous rights)
ont vigoureusement protesté, allant jusqu'à
demander l'interdiction du livre.
Nous
ne pouvons que suivre cet exemple et demander l'interdiction
de ce même livre en France et de tous commentaires
s'y rapportant. Cette sanction devrait s'appliquer au présent
article. Malheureusement, il est en ligne depuis quelques
jours et, comme l'on sait, l'oubli n'est pas possible sur
Internet. Que l'impression des présentes excuses
en caractère rouge nous attire l'indulgence des sages
auteurs du rapport. Ce rouge est celui que nous portons
désormais au front quand nous nous relisons.
Nous
avions en 2006 longuement commenté un des ouvrages
plus connus de Jared Diamond, Collapse (voir lien ci-dessus).
A la relecture, ces commentaires nous paraissent avoir conservé
l'essentiel de leur actualité. Nous ne reprendrons
pas ici mais y renvoyons le lecteur.
Depuis Collapse, Jared Diamond a écrit plusieurs
livres où l'on retrouve sa riche connaissance des
sociétés traditionnelles (interprétées
il est vrai par le regard des anthropologues occidentaux),
sa tendance à interroger le destin de lhumanité
au regard de situations particulières, de lîle
de Pâques aux Mayas en passant par les chasseurs-cueilleurs
de Papouasie-Nouvelle-Guinée, sa propension à
accorder une place déterminante à la gestion
de lenvironnement naturel dans lévolution
des sociétés humaines.
Son nouveau livre manifeste les mêmes caractéristiques.
Il s'agit d'un ouvrage de 600 pages, qui se lit, selon l'expression
consacrée, comme un roman. Il nous fournit une somme
impressionnantes d'informations, mal connues du grand public,
sur les sociétés en voie de disparition ou
cohabitant parfois encore avec nos sociétés
dites techno-financières lesquelles se sont étendues
aujourd'hui à une grande partie du monde, y compris
dans les pays émergents.
Contrairement aux apologies naïves (ou intéressées )
du monde d'hier, celui ayant dominé la Terre pendant
au moins 15.000 ans, Jared Diamond rappelle que les sociétés
traditionnelles souffraient de maux chroniques que nous
n'accepterions plus aujourd'hui. Outre les famines et les
maladies qu'elles étaient bien obligées de
supporter, elles avaient institutionnalisé la guerre,
les infanticides et labandon des vieillards (la vieillesse
commençant vers la cinquantaine sinon plus tôt).
Il relève par exemple que les guerres modernes, même
avec l'emploi d'armes de destruction massives, ont fait
(selon ses estimations, sur lesquelles tous ne s'accordent
pas), moins de morts relativement que les murs belliqueuses
des chasseurs-cueilleurs armés d'arcs et de lances.
De plus, tout le monde y était considéré
comme bon à tuer. Pas de pitié pour les femmes
et les enfants.
Dans le domaine de l'environnement, il ne reprend pas l'image
bien pensante du bon sauvage manifestant un respect religieux
pour la nature. Si les destructions des écosystèmes
prenaient moins d'ampleur alors qu'aujourd'hui, elles étaient
conduites systématiquement et spontanément
quand les tribus le pouvaient. C'est ainsi, faut-il le rappeler,
que des populations entières de grands mammifères,
mais aussi d'oiseaux aujourd'hui disparu, ont été
victimes de ces prédateurs redoutables qu'étaient
les hommes primitifs. Il s'interroge donc sur la fascination
que nous éprouvons pour les sociétés
traditionnelles, avec le rêve de faire revivre aujourd'hui
ce que nous estimons être leurs valeurs.
Jared Diamond ne verse pas cependant dans des critiques
outrancières, venant d'intérêts économiques
et politiques cherchant à justifier l'exploitation
égoïste de ce qui demeure de sociétés
vivant près de la nature. Plutôt que céder
soit à l'idéalisation soit au rejet systématique,
il recommande, exemples à l'appui, des comparaisons
aussi scientifiques que possible entre les différents
modes de vie, anciens comme modernes. En bonne logique,
nous pourrions chercher à importer de nos jours un
certain nombre de comportements que pour des raisons diverses,
souvent politiques, nos élites estiment aujourd'hui
irrecevables.
C'est le cas en ce qui concerne les retraites précoces
que nous imposons aux personnes âgées, sans
parler de l'enfermement dans des statuts inférieurs
de beaucoup de femmes considérées comme des
mineures. Les sociétés primitives, selon lui,
pour des raisons de survie, faisaient travailler le plus
tôt et le plus longtemps possible les individus des
deux sexes. Aujourd'hui au contraire, par exemple en matière
de retraite, dans des conditions très différentes,
mais avec la diminution de la natalité et l'accroissement
des durées de vie, parallèlement au développement
de technologies douces, les personnes âgées
devraient revendiquer, plutôt qu'un avancement de
l'âge de la retraite, une activité adaptées
à leurs possibilités poursuivie le plus longtemps
possible.
Dans un tout autre domaine, fort contesté aujourd'hui,
nous pourrions, toutes choses égales par ailleurs,
offrir aux vieillards en fin de vie une possibilité
honorable de mettre fin à leurs jours, ce qui était
apparemment habituel dans les sociétés primitives
1).
Ce à quoi le livre pourrait-il
servir ?
D'une façon plus générale, Jared Diamond
refuse à juste titre selon nous la
tendance de tous les anthropologues, depuis un siècle,
à considérer les sociétés primitives
comme formant un bloc indivisible, que l'on caractérise
à partir de l'étude de situations exceptionnelles,
celles qui sautent aux yeux non seulement du touriste mais
de ces anthropologues eux-mêmes.
Son oeuvre, nous l'avons rappelé, vise à offrir
une indispensable diversification dans le regard. Mais pour
bien faire, ce regard diversifié devraient s'appuyer
sur deux approches complémentaires, esquissées
dans le livre mais impossibles à conduire dans ce
cadre trop restreint, et par un seul homme.
D'une part il faudrait mener des études sociologiques
ou statistiques du passé, peu envisageables compte
tenu de la faiblesse des moyens alloués à
ces disciplines. De plus ces études devraient être
sous-tendues par une profonde empathie, devenue de plus
en plus difficile par la disparition des contacts avec des
sociétés en voie d'extinction.
Mais d'autre part, et simultanément, il faudrait
mener des études sociologiques ou statistiques du
monde présent, encore moins envisageables compte
tenu du nombre des sociétés impliquées,
de la diversification technologiques, de ma mondialisation
et surtout des divergences dans le regard politique posé
sur le monde moderne.
Ceci ne veut pas dire qu'il serait inutile de lire en profondeur
l'ouvrage de Jared Diamond. Il offre suffisamment de matières
à penser pour créer chez le lecteur un malaise
de bon aloi, pouvant l'inciter à poursuivre ses réflexions
personnelles ou ses activités politiques dans les
domaines évoqués par l'auteur. Tous ceux qui
produisent du papier ou occupent les écrans de nos
ordinateurs ne peuvent en dire autant.