Article.
Le maintien de la cohérence quantique
dans les cellules biologiques photosynthétiques
Jean-Paul Baquiast
11/12/2013

Bactéries
photosynthétiques
Nous nous
sommes plusieurs fois fait l'écho d'hypothèses
selon lesquelles les phénomènes quantiques ont
été indispensables, au coeur des systèmes
biologiques, pour permettre l'apparition puis le développement
de la vie 1) .
Mais ces hypothèses restent difficiles à prouver,
vu le caractère élusif de tels phénomènes.
Pour les mettre en évidence, il faut manipuler des
particules quantiques ou qbits. Or celles-ci, en interaction
avec des particules ordinaires, celles de la physique dite
macroscopique, perdent immédiatement leur caractère
quantique. Il s'agit du phénomène bien connu
dit de décohérence, qui notamment rend très
difficile encore la construction de calculateurs quantiques.
Dans le domaine des cellules biologiques, la difficulté
est accrue, car celles-ci constituent un milieu chaud et humide
particulièrement propice à la décohérence
d'éventuelles particules quantiques pouvant y apparaître.
Les chercheurs n'ont pas renoncé cependant à
tenter d'analyser différents phénomènes
biologiques pouvant difficilement s'expliquer sans appel à
la physique quantique. C'est le cas notamment de la photosynthèse
qui a permis, aux origines de la vie, à certains êtres
vivants d'utiliser la lumière solaire pour obtenir
l'énergie et le carbone nécessaires à
leur développement.
La revue Biosciences vient de publier l'article de 3 chercheurs,
Jessica M. Anna et Gregory D. Scholes de l' Université
de Toronto, Rienk van Grondelle de l'Université Vrije
à Amsterdam 2) . Ils présentent des résultats
récents qui, sans permettre de prouver indiscutablement
le rôle des phénomènes quantiques dans
le développement de la vie, semblent apporter des arguments
nouveaux et solides en faveur de cette hypothèse.
Pour ce faire, ils utilisent une technique dite 2-D electronic
spectroscopy qui envoie des impulsions laser de très
courte durée (1 milliardième de milliardième
de seconde - sic- ) sur les molécules de protéines
permettant à des bactéries et à des algues
photosynthétiques de capturer la lumière. Ces
molécules, ainsi excitées, réémettent
instantanément de la lumière dans différentes
longueurs d'onde. L'article de Biosciences décrit ce
dispositif, que nous n'essaierons pas de résumer ici.
Nous nous bornerons à remarquer une nouvelle fois que
si l'on veut se faire une idée même sommaire
de ce qu'est le vivant, il faut se placer à des échelles
de temps et de dimension qui sont restées longtemps
inaccessibles, et dont d'ailleurs beaucoup échappent
encore à l'observation.
Concernant la photosynthèse, les auteurs de l'article
expliquent que l'on ne pourrait pas comprendre comment l'énergie
lumineuse capturée par le mécanisme qu'ils décrivent
pourrait être transportée d'une molécule
à l'autre par des entités discrètes se
mouvant au hasard entre elles. Il faut pour cela faire appel
à la mécanique quantique. Pour celle-ci, les
particules ne sont pas des particules ordinaires, telles de
petites billes, mais plutôt des ondes réparties
dans l'espace et interférant entre elles comme des
vagues dans la mer.
Ce mécanisme n'est pas détectable dans les conditions
de la physique macroscopique, mais les résultats expérimentaux
obtenus par l'équipe montre que des réseaux
de molécules peuvent à l'intérieur de
la cellule servir d' « antennes »
quantiques permettant de capturer les photons lumineux en
restant « cohérentes ». Elles
conservent alors leurs propriétés quantiques
et peuvent échanger de l'énergie à des
vitesses et dans des régions de l'espace interne de
la cellule inaccessibles autrement. Ainsi enrichies d'énergie,
ces cellules peuvent utiliser le C02 de l'atmosphère
pour construire des organismes complexes.
Une origine encore mystérieuse
Cependant,
les chercheurs estiment que le schéma de principe qu'ils
pensent avoir mis en évidence s'est transformé
de différentes façons au cours de l'évolution
des espèces, si bien qu'il n'est pas possible d'en
déduire un mécanisme simple et reproductible
permettant pour le moment d'exploiter la cohérence
quantique dans des bio-organismes artificiels. Ils ont indiqué
une direction, mais de nombreuses recherches seront encore
nécessaires pour obtenir des technologies solaires
permettant une photosynthèse à grande échelle.
Ajoutons
pour notre part qu'aussi utiles en pratique que soient de
telles recherches, elles ne permettent pas encore de comprendre,
concernant l'étude des origines de la vie, comment
certaines molécules biologiques ont pu acquérir
leurs propriétés photosynthétiques, soit
seules, soit au sein des organismes primitifs, archeae, procaryotes
puis eucaryotes.
De même, comme toujours lorsque l'on réfléchit
aux origines de la vie, on pourrait se demander si ces propriétés
sont apparues, par hasard et une fois, avant de se répandre
ou si leur émergence était quasiment
obligée et pourrait dans ce cas se retrouver
sous des formes voisines sur d'autres planètes favorables
à la vie, sans mentionner les cas où elle se
produirait encore sur Terre sans avoir été détectée.
3)
Notes
1) Voir notamment JohnJoe McFadden « Quantum
Evolution, The new science of life » dans Automates
Intelligents
Cet ouvrage de plus de 10 ans a été actualisé
récemment par son auteur. Voir « Quantum
biology: Current status and opportunities. Paper presented
at the International Interdisciplinary Workshop. University
of Surrey; 2012.; p. 17-18. September 2012, Surrey, United
Kingdom. »
2) Bioscience http://bioscience.oxfordjournals.org/content/early/2013/12/05/biosci.bit002.abstract3)
3) Sur les lasers ultrarapides soit quelques centièmes
de femtosecondes, voir Nature photonics http://www.nature.com/nphoton/journal/vaop/ncurrent/full/nphoton.2013.315.html
(1
femtoseconde est 1000 attosecondes; 1 attosecond est 1 milliardième
de miiliardième de seconde) .
Nota
bene
Concernant les recherches évoquées par cet
article, rappelons que Bernard Dugué, qui nous envoie
régulièrement des contributions, avait publié
un texte éclairant en octobre 2012. Voir http://www.agoravox.fr/actualites/technologies/article/la-physique-quantique-appliquee-a-124767