Article.
Les molécules de la vie prennent leur origine dans
l'espace
Jean-Paul
Baquiast 29/11/2013

Le nuage moléculaire
Sagittarius B2
Une série
de découvertes récentes pourrait bouleverser
radicalement la façon dont nous nous représentons
en termes scientifiques l'apparition de la vie sur la Terre.
Par contre-coup, serait aussi radicalement bouleversée
la façon dont nous nous représentons les possibilités
de vie proches de la nôtre dans les milliards de planètes
potentiellement habitables peuplant l'univers proche.
C'est
un article du NewScientist, cité en référence,
signé par Leonie Mueck, éditrice au journal
Nature communications, dont la réputation de sérieux
est indiscutable, qui signale à l'intention du grand
public des faits susceptibles de mettre si l'on peut dire
le feu aux poudres. Il faut vraiment que les esprits des terriens
soient lents à s'émouvoir pour que cette nouvelle
n'ait pas encore fait, selon l'expression, un énorme
buzz. Il est vrai que les 80% de ces mêmes terriens
convaincus du fait que la vie a été créée
par une divinité quelconque ne s'informeront pas de
ces découvertes. S'ils le font, il les rejetteront
comme sacrilège. Dieu merci, ce n'est pas notre cas.
Résumons donc la situation.
La découverte
révolutionnaire en question bouleverse l'idée
que seule la Terre, ou tout au moins seules des planètes
habitables telles que la Terre, peuvent permettre la synthèse
de la chimie du carbone indispensable à la genèse
de premières formes de vie, hydrocarbones, sucres,
alcools et peut-être acides aminés simples. Au
contraire, de tels composés organiques, voire d'autres
plus complexes, se forment ou pourraient se former dans l'espace
interstellaire profond.
On sait
depuis un certain temps que des molécules telles que
l'eau, l'oxyde de carbone CO et l'ammoniaque apparaissent
en sous-produits de la nucléosynthèse au coeur
des étoiles. Elles se dispersent ensuite sous la forme
de nuages moléculaires de très grande taille,
tel le nuage Sagittarius B2, au centre de notre galaxie, d'un
diamètre de 150 années lumières, très
riche en alcool. Ces nuages se condensent régulièrement
en donnant naissance à de nouvelles étoiles.
La plupart des molécules organiques ainsi constituées
ne pourraient sans doute pas se combiner pour donner naissance
à des structures capables de se répliquer, autrement
dit à des structures vitales, mais elles en sont des
précurseurs.
Des
comètes
On avait
par ailleurs depuis longtemps constaté que des météorites
jugés représentatifs des composants du système
solaire primitif comportaient des molécules organiques
plus complexes que l'eau, le CO et l'ammoniaque. Il s'agissait
de divers amino-acides précurseurs des protéines
terrestres. Mais alors comment ceux-ci auraient-ils pu se
former dans les nuages moléculaires, caractérisés
par une densité quasi infinitésimale, un froid
intense et l'absence de sources d'énergie nécessaires
à des synthèses chimiques?
Le phénomène
paraissait hautement improbable, jusqu'aux années 2010.
A partir de cette date, les tout récents télescopes
radio et infrarouge mis en service, tels le télescope
infrarouge Spitzer de la Nasa ou les radiotélescopes
ALMA dans le désert d'Atacama au Chili ont permis d'observer
avec une précision jusqu'ici inégalée
les manifestations de l'existence de molécules organiques
complexes dans le nuage Sagittarius B2 ou dans des étoiles
très éloignées de la Terre s'étant
formées dans ce nuage.
L'article
précité du NewScientist donne une liste d'une
douzaine de telles molécules ainsi identifiées,
que l'on pourrait qualifier de prébiotiques,. Nous
ne les reprendrons pas ici. Citons seulement l'aminoacetonitrile
précurseur des aminoacides et l'ethanimine précurseur
de l'acide deoxyribonucleique constituant l'ADN. Des expériences
conduites sur Terre par le Pr. Ralf Kaiser de l'université
de Hawaï à Manoa, à partir d'eau, de CO2
et d'ammoniaque dans une chambre à vide refroidie à
10° seulement au dessus du zéro absolu, ont montré
que de telles synthèses étaient possibles dans
les nuages de poussières cosmique, à partir
de l'énergie fournies par les radiations ionisantes
parcourant le cosmos. Mais dans ce cas, elles ne surviennent
qu'après des délais infiniment longs, rendant
le processus inobservable par l'homme. La même équipe
est allé plus loin, en annonçant qu'après
plusieurs essais infructueux, elle avait réussi en
mars 2013 la synthèse d'un dipeptide associant deux
aminoacides, ceci dans les mêmes conditions que précédemment,
c'est-à-dire dans des conditions simulant le milieu
interstellaire
Dans le
même temps, en 2012, une autre équipe, dirigée
par le Pr. Dwayne Heard, de l'université de Leeds annonçait
avoir réalisé dans des conditions analogues
à celle de l'espace (- 200 degrés) la synthèse
du « radical methoxy CH30 » observé
peu auparavant dans des grains de poussière cosmique.
Des hypothèses que nous ne reprendrons pas ici, faisant
appel à la physique quantique et à l'effet tunnel,
peuvent expliquer la formation de telles molécules
complexes dans l'espace.
Il résulte
de tout ceci que la chimie prébiotique, nécessaire
à l'apparition de la vie, ne s'est jamais limitée
à la Terre primitive. Elle serait au contraire présente
partout dans le cosmos (sans préjudice de formes encore
plus complexes que celles aujourd'hui découvertes).
Elle aurait donc très vraisemblablement été
apportée sur la Terre par des comètes (plutôt
que par des météorites), où elle a pu
prospérer dès que les conditions géologiques
de celle-ci se sont stabilisées. Le rôle des
poussières glacées et a fortiori des comètes
glacées comme facteurs de ce que l'on pourait appeler
une nouvelle version de la "panspermie " est actuellement
très étudié. La glace cométaire
semble pouvoir servir de milieu protecteur à des peptides
formées dans l'espace, dans un froid presque absolu,
et confrontées quasiment instantanément aux
températures terrestes.
Cela
ne veut pas dire que des milliards de planètes favorables
à la vie comporteraient des formes développées
telles que celles peuplant la Terre. Cela pourrait vouloir
dire cependant qu'auraient existé, existeraient ou
existeront de nombreuses planètes habitées par
des êtres proches de nous, voire plus développés.
Ceci peut-être à quelques années lumière
de nous seulement. Voici qui devrait donner à penser,
en ramenant l'homme à un statut plus modeste que celui
qu'il s'est toujours attribué.
Source
*
Cosmic chemistry: Life's molecules are made in space
21 Octobre 2013 par Leonie Mueck
D'autres
sources sont accessibles à partir de cet article, dans
la version en ligne
Note
* Ce document
pédagogique, communiqué aimablement par
François Anceau, que nous remercions, rappelle des
éléments indispensables à la compréhension
du problème évoqué ici.