Article.
Des
bactéries modifiées par de lADN de mammouth.
Bernard Dugué 26/03/2013
Cet article est la réédition,
avec l'accord de l'auteur, que nous remercions, d'un
article qu'il vient de publier sur Agoravox AI

Mammouths laineux
Une collaboration
entre équipes de plusieurs nations a permis daboutir
à une découverte importante concernant le fonctionnement
des bactéries et leur évolution (S. Overballe-Petersen,
PNAS, novembre 2013). Commençons par un état
des lieux. Les organismes finissent par mourir. Leurs cellules
se décomposent et les grosses molécules sont
dégradées pour être digérées
ou bien souvent libérées dans le milieu. Cest
le cas de lADN mais comme la dégradation est
rapide, avec la présence de nucléases, les morceaux
dADN rejetés dans lenvironnement ne sont
pas de la dimension dun gène. Leur taille ne
dépassant pas en effet la centaine de paire de bases.
Cet ADN paraît alors bien démuni, dautant
plus que des processus dhydrolyse ou doxydation
risquent daltérer la séquence, transformant
une cytosine en une thymine.
On pourrait
penser que ces fragments dADN compris entre 20 et 100
paires de bases finissent à la « poubelle ».
Or, comme le mentionnent les auteurs de larticle paru
dans PNAS, ces petits fragments de matériel génétique
sont loin dêtre éphémères
et peuvent même, si les conditions sy prêtent,
subsister des milliers, voire des centaines de milliers dannées.
Rien que dans les rivières du globe, la quantité
de matériel génétique rejeté se
chiffre en milliers de tonnes. Vu le poids moyen dun
fragment dADN faites le calcul et vous verrez le nombre
de molécules « peuplant » les rivières.
Mais,
si ces molécules sont très répandues
et de plus persistent, sont-elles perdues pour le règne
vivant ? Pas tout à fait car comme nimporte quelle
molécule organique, un fragment dADN peut être
encore dégradé, ingéré, servant
de nutriment aux micro-organismes. Cest dailleurs
ce qui se passe dans cette nature où rien ne se perd.
De ce fait, ces fragments dADN rejetés se comportent
comme de banales molécules servant de sources organiques
pour recréer dautres cellules.
Ce qui na pas empêché les scientifiques
de sinterroger sur une possible intégration de
ces fragments mais cette fois, en tant que support de linformation
génétique. Et de trouver quen réalité,
le transfert est tout à fait possible. Les bactéries
sont capables dinsérer des petits fragments dans
leur génome, ce qui constitue (avec les virus) un mécanisme
de transfert horizontal de matériel génétique.
Et donc cet ADN circulant dans la nature contribue à
la transformation des génomes bactériens.
Les études
réalisées ont notamment découvert que
des bactéries environnantes du genre Acinetobacter
ont pu intégrer dans leur génome des morceaux
dADN présents dans les os de mammouth (mammouth
laineux) et vieux de 43 000 années. Ces résultats
enrichissent la théorie de lévolution
concernant les bactéries. Lintégration
de fragments génétiques vieux de centaines de
milliers dannées ressemble à un recyclage
de linformation et constitue un mécanisme supplémentaire
et inattendu de modification génétique pour
les bactéries.
Evolution anachronique
Les auteurs
de larticle osent un nouveau concept, celui dévolution
anachronique (en se basant sur cette insertion de morceaux
dinformation génétique séparés
par des temps presque géologiques). Mais il nest
pas certain que la conception de lévolution en
soit bouleversée, pour autant quon puisse vraiment
parler dévolution bactérienne au sens
où lon lentend pour les espèces
animales.
Par contre,
cette découverte pourrait avoir des implications imprévues
sur limpact des OGM ingérés par les animaux
et les humains. Selon les données actuelles, il ne
peut pas y avoir deffet génétique lorsquon
ingère des OGM, lADN étant dégradé
par les enzymes du système digestif. Mais avec les
éléments de cette découverte, il devient
envisageable de concevoir une récupération du
matériel génétiquement modifié,
sous forme de fragments de 20 à 100 pb, par les bactéries
de la flore intestinale sans lesquelles la digestion serait
impossible. Ces bactéries qui possèdent des
spécificités telles quelles permettant
dassigner une signature aux flores intestinales des
animaux et des humains.
De là
à penser que les OGM en seraient plus toxiques, il
y a un pas que je ne franchirai pas. Lintérêt
de cette découverte se place plutôt dans le champ
de la compréhension du sort de linformation génétique
au sein du règne vivant. Les auteurs de larticle
névoquent pas la question des OGM mais plutôt
la question des résistances bactériennes aux
antibiotiques, notamment dans les hôpitaux qui se focalisent
sur le contrôle des organismes et qui compte tenu des
éléments nouveaux, pourraient être amenés
à déployer des dispositifs supplémentaires
pour étudier ces problèmes de bactéries
dans le milieu hospitalier.
Mis à
part ces questions de santé publique, cette découverte
suscite tout de même quelques interrogations que je
vais exposer en usant dun crescendo épistémologique.
La première chose à laquelle on pense serait
une sorte dartefact, ce qui rendrait les résultats
non interprétables. Deuxième stade, cette intégration
de matériel génétique ancien serait une
singularité du règne procaryote, autrement dit
une curiosité phénoménale qui ne représente
nullement la logique du monde bactérien. Troisième
hypothèse, plus forte, celle de la « digestion
dinformations » comme fonction essentielle du
monde bactérien. Auquel cas on notera une contradiction
seulement apparente avec lexistence du système
de réparation SOS qui avec la protéine RecA
corrige les lésions importantes de lADN. Une
intégration de matériel génétique
nest pas alors considéré comme une lésion
mais une insertion dont le rôle global reste à
préciser.
Finalement,
on arrive à une vision de la bactérie comme
organisme gérant la composition biochimique dun
milieu moyennant le cas échéant une gestion
informationnelle conçue comme une sorte de dialectique
entre le génome et les morceaux dADN circulant
librement. Ce concept dévolution anachronique
laisse alors penser que les bactéries névoluent
pas vraiment, du moins pas comme les espèces animales.
Source
Avec un libre accès au texte complet en pdf http://www.pnas.org/content/early/2013/11/12/1315278110.abstract