Automates
Intelligents s'enrichit du logiciel
Alexandria.
Double-cliquez sur chaque mot de cette page et s'afficheront
alors définitions, synonymes et expressions constituées
de ce mot. Une fenêtre déroulante permet
aussi d'accéder à la définition
du mot dans une autre langue (22 langues sont disponibles,
dont le Japonais).
Fukushima
: fuite en avant, bombe à retardement...
Christophe Jacquemin - 9/11/2013
Le
monde est formidable. Pendant qu'il s'enthousiasme de l'introduction
de Twittter en bourse(1), il continue de faire l'autruche
devant cette bombe à retardement que constitue Fukushima
Daïchi.
Silence assourdissant. Par-ci, par-là, quelques articles
distillés depuis 2011, tendant à faire penser
que tout semble se régler... que ce sera long bien
sûr, mais que tout est entre de bonnes mains.
Qui peut se bercer encore de cette illusion qu'une tragédie
nucléaire peut se régler comme un banal accident
industriel ? Fukushima serait-il un tabou dont il serait préférable
de ne pas parler ?
Redisons
le haut et fort : nous sommes ici face à une menace
de plus en plus précisée.
On
ne peut s'empêcher de frémir en lisant ce texte
du journaliste d'investigation Wayne Madsen, publié
sur son site
et sur Intrepid
Report
du 4 novembre 2013, signalé aussi en France
par DeFensa [Remember
Fukushima].
Il reprend toute laffaire jusquà la situation
actuelle, mettant en évidence linstabilité
totale de la situation, avec des potentialités catastrophiques
diverses, certaines de plus en plus pressantes. Il montre
aussi limpréparation, les manuvres, les
erreurs, la désinformation, la corruption totale, ayant
mené à un processus daggravation qui s'exprime
aujourd'hui de façon toujours plus prégnante.
Gardons
par ailleurs toujours à l'esprit que, d'évidence,
la région de Fukushima est située en zone sismique...
Lors d'un symposium
de l'université d'Alberta sur l'écologie
de l'eau, le 30 octobre
dernier, le scientifique japonais David Suzuki (directeur
de la fondation Suzuki)
à déclaré "quun tremblement
de terre touchant Fukushima décimerait le Japon et
toucherait profondément toute la côte Ouest de
lAmérique du Nord. Il suffirait dun tremblement
de terre de magnitude 7 et au-dessus..., et la probabilité
dun tel séisme dans les trois prochaines années
dans la zone est (selon lui) de 95%."
David
Schindler : Je dirais que le plus grand enseignement
que les gens devraient tirer de l'accident nucléaire
au Japon est que, pour les événements
rares qui sont catastrophiques, la tendance des politiciens
à considérer "la gestion axée
sur les risques" est de la folie. La gestion axée
sur les risques fonctionne bien si vous calculez les
accidents de voiture et leur probabilité. Ceci
est valable lorsque cela concerne une grosse base de
données et de nombreux exemples. Pour ce qui
arrive très très rarement - mais peut-on
vraiment en calculer la probabilité ? -, on arrive
alors à un nombre astronomiquement bas, par exemple
l'occurrence d'un accident grave de centrale nucléaire
sur plusieurs réacteurs, à la suite d'un
tsunami (...). Et pourtant, c'est arrivé.
Donc, le message est le suivant : il existe des domaines
qui sont suffisamment importants pour ne tolérer
aucun risque. Vous devez avoir des données pour
produire des estimations fiables des risques, sauf que
cela ne marche pas pour les événements
rares ou catastrophiques. Et nous y sommes confrontés.
Nous devons savoir, en tant que société,
que les politiciens veulent disposer du calcul de risques
sur tout... Alors si ces données sont en dessous
d'un certain seuil, maintenant vous le savez, cela doit
aller de pair avec la mise en doute. Le principe de
précaution a été perdu.
On dit toujours "ces technologies sont infaillibles".
Mais qu'est-ce qu'une technologie infaillible ? C'est
une technologie gratuite des imbéciles .(...)
David
Susuki : Fukushima est la situation la plus terrifiante
que je peux imaginer. Vous avez demandé "Que
pouvons-nous faire ?" Tout d'abord, faire en sorte
de disposer d'un gouvernement qui ne soit pas en collusion
totale avec la technologie ... les entreprises du secteur
énergétique en premier lieu. Ils mentent
comme ils respirent. 3 des 4 usines ont été
détruites dans le tremblement de terre et le
tsunami. La 4ème a été tellement
endommagée que la menace est maintenant la suivante:
s'il survient un autre tremblement de terre d'une magnitude
7 ou plus, ce sera l'enfer. Et la probabilité
d'un tel tremblement de terre dans les 3 prochaines
années, est de plus de 95%. Maintenant, ce qu'il
y a là bas, ce sont aussi 1300 barres de combustible
irradié qui doivent être conservées
sans cesse dans de l'eau. (...)
Ils veulent aussi maintenant tenter de geler le sol
pour faire en sorte que l'eau irradiée ne s'écoule
plus vers l'océan.
Ce dont nous avons besoin, c'est d'un groupe international
d'experts pouvant aller à sa guise sur la centrale
et que le gouvernement japonais fasse ce qu'ils suggèrent.
Mais le gouvernement japonais a trop de fierté
pour l'admettre. J'ai lu un papier qui dit que si la
4ème usine subit un tremblement de terre et que
les barres sont exposées,c'est bye bye le Japon,
et tout le monde sur la côte ouest de l'Amérique
du Nord aura besoin d'être évacué.
Si ce n'est pas terrible, je ne sais pas ce que c'est.
On
ne sait exactement sur quelles études s'appuie David
Suzuki pour affirmer qu' "il suffirait dun tremblement
de terre de magnitude 7 ou plus... " pour qu'une
catastrophe de cette ampleur se déclenche.. Signalons
en effet qu'un séisme d'une magnitude de 7,3 (en fait
ramené à 7,1) s'est produit dans la nuit du
25 au 26 octobre 2013 à 371 km de Fukushima, à
l'est de l'île de Honshu, à une profondeur de
10 km, et que rien de grave n'est advenu. Cela dit, ce séisme
n'a pas déclenché de tsunami, ce qui ne veut
pas dire qu'un autre séisme n'en déclencherait
pas.
Il
est aussi utile ici de rappeler les propos tenus déjà
le 12 mai 2012 par
Arnie Gundersen, ingénieur nucléaire et expert
agréé en sûreté nucléaire
:"Le
réacteur 4 demeure ma plus grosse inquiétude
concernant le site de Fukushima (...) il contient la plus
grande quantité de combustible usé, utilisé
très récemment. Tout ce combustible est dénué
de confinement(2). En soi, ce serait déjà bien
assez dangereux si ce nest que, bien sûr,
le réacteur 4 a subi une série dexplosions
et que ses structures sont affaiblies. Auparavant, il aurait
pu supporter un tremblement de terre de magnitude 7,5. Je
pense que les dommages à la structure du réacteur
n°4 sont si importants que, si un séisme de magnitude
7,5 se produit, le réacteur ny résistera
pas."
Retrait
annoncé des barres de combustibles stockées
dans la piscine de désactivation du réacteur
4 : une opération à haut risque
Outre
l'écoulement des eaux irradiés qui continuent
dans l'océan, un autre problème grave perdure
: celui que pose les barres de combustibles présente
dans la piscine du réacteur 4, durement fragilisée
par le séisme et le tsunami du 11 mars 2011. Placée
à 30 mètres du sol, cette piscine a été
particulièrement ébranlée par des explosions
d'hydrogène générées par le réacteur
3 voisin. Le bassin, dont l'étanchéité
menaçait, a depuis été renforcé
par du béton et de l'acier. Selon Tatsuya Shinkawa
- directeur du Bureau en charge de l'accident nucléaire
au ministère de l'Economie, du commerce et de l'industrie
japonais (METI) - "toute la résistance sismique
du bâtiment suscite des interrogations, mais nous croyons
que la piscine est dorénavant suffisamment robuste."(3)
(voir Libération
du 8 novembre 2013)
Selon
une dépêche AFP du 5 novembre dernier, l'opérateur
de la centrale accidentée de Fukushima va bientôt
débuter le retrait du combustible de la piscine du
réacteur 4 : "La situation à la centrale
est toujours difficile, mais nous avançons à
un bon rythme en vue du démantèlement",
a déclaré un porte-parole de Tokyo Electric
Power (Tepco).
Le
retrait à l'aide d'une grue spéciale télécommandée
des 1.533 assemblages de combustible (1331 barres usagées
et 202 neuves) immergés au fond de la piscine devrait
débuter rapidement, a annoncé Tepco. Mais finalement
aucune date précise n'a encore été fixée
pour le début réel de cette opération
à haut risque. Lautorité
nucléaire japonaise a en effet exigé de nouveaux
tests, à lintérieur et à lextérieur
du bâtiment. "Je ne pense pas que nous devions
nous dépêcher de retirer ce combustible. Nous
commencerons quand nous serons prêts", a souligné
le directeur de la centrale, Akira Ono.
Les
barres doivent être placées dans des caissons
hermétiques, puis déposées dans une autre
piscine de stockage sécurisée. Cette opération
est présentée comme une opération extrêmement
délicate. Selon un
professeur de luniversité de Yale cité
par ABC., le réacteur 4 à lui seul contiendrait
10 fois plus de césium radioactif quil ny
en a eu durant la catastrophe de Tchernobyl.
Le
retrait ne pourra de toute façon pas commencer tant
que Tepco naura pas reçu lautorisation
formelle de lAutorité nucléaire. Le président
de cette dernière a dailleurs appelé lentreprise
à une préparation maximum et à une extrême
prudence. Lopération de retrait des assemblages
va consister à extraire chacun deux à
laide dun caisson spécial pouvant en contenir
une vingtaine. Une fois sorti, le combustible usé sera
stocké pendant 10 à 20 ans dans une autre piscine
de désactivation, plus sûre, ailleurs sur le
site.
Tepco
peut-il conduire cette opération ?
"En
temps normal, cest une opération classique effectuée
à chaque fois que lon doit changer le combustible
du réacteur", rappelle Teruaki Kobayashi,
responsable de la gestion des équipements chez Tepco.
"La compagnie a la capacité de mener à
bien cette tâche", affirme de son côté
un expert nucléaire français qui connaît
bien le secteur au Japon.
Sauf
qu'ici, les circonstances sont tout sauf normales. Si la piscine
a été renforcée, elle n'a pas recouvré
son intégrité initiale, loin sen faut.
En outre, "si jamais le système qui permet
cette opération laisse échapper un assemblage,
il y a un nouveau risque de rejet de matière radioactive"
(...) Par ailleurs, compte tenu du fait que le combustible
dans la piscine a pu être endommagé, il ne sera
pas si aisé de le faire entrer dans le caisson",
prévient le professeur Hiroaki Koide, spécialiste
des réacteurs nucléaires à lUniversité
de Kyoto. De son côté, Tatsuya Shinkawa pense
qu'il "est à craindre que certaines barres
soient endommagées et déformées à
tel point qu'il soit très difficile de les retirer,
voire impossible de les stocker dans le caisson. Et dans le
même temps, il faut absolument éviter toute chute"(4).
Au
vu de précédents peu glorieux, certains se demandent
si l'opérateur dispose bien des techniques et ressources
nécessaires pour cette opération inédite
dans de telles conditions.
Selon
Tepco, le retrait des barres de combustible devrait prendre
un an ; le démantèlement du réacteur,
de son côté, entre 30 et 40 ans.
Un
mur de glace pour bloquer le rejet des eaux radioactives dans
l'océan ?
Venons
en maintenant au problème des fuites d'eau contaminée
dans l'océan.
Le refroidissement du coeur nucléaire des différents
réacteurs accidentés de la centrale exige d'y
injecter 350 mètres cube d'eau par jour, un volume
qui se déverse ensuite dans le sous-sol. Dans le même
temps, 400 mètres cubes d'eau en provenance de la nappe
phréatique atteint chaque jour les caves de la centrale.
Tepco, tel un shadok ne cessant de pomper, doit aujourd'hui
gérer 350 000 m3 de liquide plus ou moins radioactif
(césium, strontium, tritium et autres substances radioactives),
stocké dans un millier de réservoirs spéciaux
montés à la hâte). Selon l'exploitant,
ce volume devrait atteindre 800 000 m3 en 2016 (soit 800 000
tonnes).
Là
aussi, selon Tepco, de ce côté tout allait bien.
On enregistrait quelques fuites, mais sans gravité...
Jusqu'à ce qu'on apprenne cet été, lors
d'une série de prélèvements effectués
au niveau des canalisations des réacteurs, que de l'eau
contaminée s'échappaient continuellement vers
l'océan... ce que Tepco, pris dans le pot de confiture,
a fini par admettre le 22 juillet 2013. De leau coule
de partout (des sous-sols, des réservoirs, des fossés,
des conduites, etc.) et rien ne permet encore darrêter
son ruissellement en mer.
Que
faire ?
Une
réponse est venue le 3 septembre du Premier ministre
japonais, Shinzo Abe : l'état va consacrer quelque
47 milliards de yen (de l'ordre de 360 millions d'euros) à
la création d'un dispositif pour geler les sous-sols
de la centrale, ceci permettant de contenir les fuites radioactive.
Un véritable "mur de glace" (ndlr : faut-il
faire un mauvais jeu de mot et parler ici "d'hiver nucléaire"..)
en sous-sol afin disoler les eaux contaminées
sous la centrale, des nappes souterraines.
Emplacement proposé du mur de glace
Il
sagira de faire passer dans des tuyaux verticaux une
substance réfrigérante pour geler le sol alentour,
et le maintenir ainsi gelé par ce système pendant
des années et des années. De véritables
pipelines seraient ainsi installés sous la forme dun
réseau. L'enceinte de perfamafrost, de 3 mètres
d'épaisseur, plongeant jusqu'à 27 mètres
de profondeur, rejoindrait alors la couche géologique
imperméable. En pratique, il s'agirait de forer quelque
1500 trous autour de la centrale et y insérer les tuyaux
et les raccorder entre eux et d'y faire circuler un liquide
réfrigérant (par exemple de la saumure) venant
absorber la chaleur du sol. Ce faisant, l'eau naturellement
présente dans les pores du terrain va geler, ceci menant
à une gangue de terre glacée, imperméable
à tout, et deux fois plus résistante que le
béton.
Projet délirant ? Pas forcément puisqu'il s'appuie
sur une technique bien rodée - le brevet datant de
1863! - qui a été souvent utilisée pour
consolider des mines de charbon, et plus récemment,
pour la construction de tunnels de métro.
Cela dit une centrale nucléaire n'est pas une mine
de charbon. Mais pourquoi pas ?
Selon les experts, l'énergie consommée pour
refroidir le sol nécessiterait une usine de refroidissement
de 5 mégawatts. Une fois le sol congelé, une
panne d'électricité n'aurait rien de dramatique,
sachant que des essais menées dans les laboratoires
d'Oak Ridge aux Etats-Unis dans le début des années
2000 avaient montré qu'une semaine d'interruption du
refroidissement n'avait pas de conséquence.
Cela dit, il faut maintenant voir sur le terrain... Installer
1400 mètres de canalisations suppose d'approcher au
plus près des réacteurs, dans des conditions
très peu favorables à ce travail. L'alignement
et l'espacement des conduites réfrigérées
doit être parfait, sous peine de voir apparaître
des points de faiblesses dans cette muraille de glace. Par
ailleurs, des eaux souterraines s'écoulant trop vite
empêcheraient la formation du mur de glace. Et puis
comment réagirait cette enceinte glacée en cas
de nouveau tsunami ?
Le ministère nippon de lIndustrie sest
donné jusquà mars 2015 pour mener cette
expérimentation et pouvoir ensuite ériger ce
vaste mur de glace souterrain.
De
toutes façons, l'eau n'est quune partie du problème
: lensemble du nettoyage, prévu si tout va bien
sur une période de 40 ans, devrait coûter des
dizaines de milliards d'euros sur la période.
Y a-t-il d'autres solutions qu'une fuite perpétuelle
en avant ? Mais ici, le temps presse.
Comment
l'homme, si génial quelquefois, si inventif à
trouver parfois les solutions, a pu en arriver là ?
(1)
Eldorado pour les financiers ou encore bulle de plus ? Twitter
n'a aucune chance d'être rentable avant 2015, ce qui
ne l'empêche pas d'être valorisé à
hauteur de 20 fois son chiffre d'affaires.
(2) Depuis, une imposante structure métallique a été
installée, pour coiffer l'édifice et le réacteur,
afin de confiner les radiations.
(3) Tepco, sans rire, assure toujours aujourd'hui que l'édifice
peut faire face à un séisme identique à
celui du 11 mars 2013.
(4) Fin
octobre dernier, l'ARN (agence de régulation du nucléaire)
a évoqué le scénario catastrophe d'une
fuite radioactive massive en cas de mauvaise manoeuvre.