Editorial
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Qu'attendre
de Commissions telles que The Oxford Martin Commission for
Future Generations ?
Jean-Paul Baquiast, Christophe Jacquemin - 02/11/2013

L'éminente
Oxford
Martin School, de l'université d'Oxford,
vient d'annoncer une initiative qui devrait retenir l'attention
des personnes cherchant à combattre la destruction
du milieu terrestre par les intérêts économiques
déchaînés.
S'agit-il
d'un organisme concurrent du Cambridge
Centre for the Study of Existential Risk dont nous
avions précédemment signalé
la création, à l'initiative notamment
de l'astrophysicien Martin Rees, également expert dans
la prévision des catastrophes ?
S'agit-il
seulement d'élargir la prévision des risques
à des questions plus immédiates, liées
notamment aux politiques concernant la lutte contre le réchauffement
climatique et les comportements à risques, en y associant
certains responsables ou ex-responsables politiques mondiaux
?
Quoiqu'il en soit, l'Oxford Martin Commission for Future Generations
vient de publier un rapport, Now for the Long Term,
que l'on pourrait traduire par "Le long terme aujourd'hui".
Ce premier rapport et la communication sur le web qui y est
associée visent à rassembler des experts, des
responsables et des citoyens concernés par les défis
globaux qu'affrontera l'humanité dans les prochaines
décennies. Il affiche l'intention d'évaluer
les succès et les échecs manifestement
déjà plus nombreux que les succès - des
politiques destinées à y faire face.
Parmi
les membres de la Commission, on relève la présence
des français Pascal Lamy, président (ancien
directeur général de l'Organisation Mondiale
du Commerce) et Jean-Claude Trichet, ainsi que le même
Lord Rees, précité et l'auteur d'un précédent
rapport sur les coûts des politiques de laisser-faire,
aujourd'hui Lord Stern (voir notre analyse
du rapport Stern en date de 2006).
La
version actuelle du rapport Now for the Long Term appelle
à un changement radical dans les esprits des responsables
politiques et économiques. Ceux-ci sont publiquement
invités à prendre au sérieux le changement
climatique et ses conséquences : combattre les inégalités
économiques, réformer les pratiques des entreprises,
faire face à l'aggravation des conditions sanitaires.
Pour
cela, le rapport émet une liste de recommandations,
parmi lesquelles on retiendra :
-
la mise en place d'une Coalition dite C20-C30-C40 Coalition.
Elle rassemblera les membres du G20 ainsi que les représentants
de 30 entreprises et de 40 municipalités, toutes impliquées
dans la mise en oeuvre des objectifs recommandés :
réduction de la production des gaz à effets
de serre, construction d'immeubles passifs (énergétiquement
neutres) et de véhicules plus efficaces, etc.
- L'instauration d'une action dite Voluntary Taxation and
Regulatory Exchange en vue de législations visant
à harmoniser les taxes écologiques, lutter contre
les évasions fiscales, promouvoir le partage d'informations,
encourager la transparence et une meilleure gouvernance. On
sait, avec les difficultés nées de la mise en
oeuvre de la Taxe Carbone ou Ecotax, combien cette action
sera nécessaire.
- La prise d'initiatives permettant de financer sur fonds
publics des organisations internationales chargées
d'évaluer de façon indépendante les politiques
entreprises dans le sens préconisé, et les améliorations
à y apporter au long du XXIe siècle.
- La création d'une structure, dite Cyberex, consacrée
à la compréhension des menaces relevant de la
cyber-guerre et voulant recommander des mesures combattant
les cyber-attaques exercées contre les gouvernement,
les entreprises et les citoyens.
- La suppression des subventions indues aux hydrocarbures
et aux politiques agricoles destructrices, en les redirigeant
vers des politiques de soutien aux populations les plus pauvres.
- La lutte contre les maladies non contagieuses dites aussi
sociétales, provenant des abus d'alcool, drogues et
nourritures malsaines. Il s'agira de lancer des actions de
proximité impliquant les collectivités territoriales,
le secteur sanitaire et plus généralement la
société civile
Commentaires
La première réaction sera de se réjouir.
Enfin, certains des grands risques menaçant l'humanité
dans les prochaines décennies sont évoqués
noir sur blanc. Tous ne sont pas mentionnés. On notera
l'absence de critiques contre la spéculation financière,
la corruption, l'abus des dépenses militaires et bien
d'autres vices fondamentaux de nos sociétés.
De même des pays comme la Chine ou l'Inde ne sont pas
représentés, ou sont sous-représentés.
Or sans eux, rien de sérieux ne sera possible. Mais
si quelques mesures pouvaient cependant être prises
dans le sens indiqué par l'Oxford Martin School Commission,
ce serait mieux que rien. Un processus vertueux pourrait être
enclenché, que les divers mouvements citoyens pourront
s'efforcer d'élargir.
Une
seconde réaction sera le scepticisme. Ne s'agit-il
pas là de propositions alibis ? Elles émanent
des grands de ce monde ou de leurs représentants et
visent à mieux protéger leur pouvoir. Pour ce
faire, on imagine que quelques concessions de façade
seront consenties, mais rien ne serait entrepris en profondeur.
Bien plus, on peut craindre que les naïfs qui prendront
au sérieux ces bonnes intentions soient durement combattus,
sinon neutralisés. Derrière les personnalités
qui soutiennent ces initiatives, il ne faut pas être
grand clerc pour deviner les caïmans n'ayant pas la moindre
intention d'abandonner le marigot. Quant aux rapports précédents,
l'épais silence enveloppant aujourd'hui les propositions
du rapport Stern évoqué ci-dessus est révélateur.
Il en de même aujourd'hui des rapports "contrariants"
du GIEC, comme le signale ce jour le site No
fracking.
A
cet égard, l'appel aux citoyens, notamment sur le web,
pourrait être particulièrement trompeur. Quand
on sait comment les cyber-citoyens se font conditionner, espionner
ou trahir par les pouvoirs dominants, Etats ou grandes entreprises,
Etats-Unis à leur tête, peu d'illusions sont
permises. L'allusion à la nécessité de
la cyber-défense, figurant en bonne place dans le rapport,
pourrait cacher des intentions beaucoup moins libérales.
Faudrait-il pour autant se désintéresser
de ce rapport, de ses suites éventuelles et des initiatives
pouvant apparaître en parallèle ou en complément?
Nous ne le recommanderons évidemment pas. Toutes les
occasions permettant d'éclairer les méandres
du Système, mobiliser les scientifiques et autres militants
susceptibles de s'y opposer, et finalement plus ou moins gripper
son fonctionnement (selon l'expression de Philippe Grasset)
afin de faciliter l'émergence de solutions alternatives,
paraissent bonnes à exploiter. C'est ce qui ressort
notamment de l'appel lancé par Noami Klein et relayé
sur notre site.
Sources
:
* Oxford
Martin Commission for Future Generations, Now for the Long
Term, Oxford Martin School at Oxford University,
2013 (open access) 86 p.