Sciences,
technologies et politique.
Difficultés de l'' écotaxe ». Faut-il
rester marié à vie au diesel?
Jean-Paul Baquiast 29/10/2013
Les difficultés
que rencontre actuellement le gouvernement français
dans la mise en application de l'écotaxe n'avaient
rien d'imprévisibles. Celle-ci est l'autre nom, à
quelques différences près, de la taxe carbone,
laquelle cherche à pénaliser par l'impôt
la production de CO2, principal des gaz à effets de
serre. Il s'agit d'une taxe qui, contrairement aux principes
généraux de la fiscalité publique, ne
vise pas à établir l'égalité des
citoyens devant les charges publiques, non plus que l'équilibre
du budget. Elle s'en prend directement à des activités
économiques jugées nuisibles, afin de les décourager.
L'idéal pour elle serait que sous son influence, la
matière imposable visée disparaisse progressivement,
quelles qu'en soient les conséquences pour l'équilibre
du budget.
L'obstacle
principal que rencontre cette taxe, unanimement recommandée
par les défenseurs de l'environnement, est qu'en pratique
elle cible directement les activités consommatrices
de produits pétroliers, notamment le gaz oil. Celles-ci
sont profondément imbriquées avec les activités
économiques, notamment dans un pays comme la France
où le machinisme agricole et le transport routier à
longue distance jouent un rôle essentiel. Or les moteurs
diesels sont d'un usage général dans ces domaines.
Ce qui n'est pas le cas dans l'automobile dite de tourisme
où l'on peut relativement facilement remplacer le moteur
diesel par d'autres types de moteur. Le même problème
du remplacement des gros diesels se posera dans doute un jour
dans le transport maritime, puisque revenir à la turbine
à vapeur ou adopter le nucléaire serait pour
le moment impensable.
Tous les
gouvernements européens qui adoptent ou adopteront
l'écotaxe, appliquée à l'agriculture
et au transport, rencontrent ces difficultés. Pourquoi
ne se heurtent pas en général aux mêmes
résistances qu'en France? En France, on fait valoir
la force et aussi le conservatisme - des intérêts
agricoles. Mais la France n'est pas seule en ce cas. Quant
au transport routier, il est certainement plus utilisé
ici que dans d'autres pays voisins, malgré la bonne
qualité des autres infrastructures de transport, fer,
aérien et maritime. Ceci tient en partie au poids politique
certainement anormal qu'ont pris les lobbies du transport
routier, capables de mobiliser en leur faveur les forces électorales
profondes. La situation est un peu différente chez
nos voisins où ces lobbies, pour le moment, sont restés
à peu près silencieux. Ceci tient sans doute
au fait que ce type de transport y est pratiquement dérégulé
et que les entreprises fraudeuses ne tiennent pas à
attirer l'attention sur elles.
Mais le
grand argument qu'utilisent ceux qui en France combattent
l'écotaxe est de type géographique ou géopolitique.
Il est certain que la Bretagne sera la première à
en ressentir les effets. L'agriculture y est omniprésente
et les infrastructures de transport ferroviaires y sont moins
bien réparties. Beaucoup de provinces, en France ou
en Europe, pourraient faire le même constat, mais elles
n'ont pas le poids politique symbolique que peut prendre le
vote breton, soit en faveur, soit contre la majorité
au pouvoir. On ajoute que la Bretagne subit plus que d'autres
régions les effets de la crise économique actuelle
et des politiques de redressement budgétaire. Mais
ceci pourrait être discuté. Tout le monde souffre.
Une
question fondamentale
De toutes
façons, ces considérations ne doivent pas faire
sous-estimer une question fondamentale: il n'est pas possible
de changer en quelques mois une économie, au plan régional,
national ou même européen, qui s'est rendue trop
dépendante du pétrole, notamment en matière
de transport. Dans les autres usages du pétrole, les
gouvernements français ont eu le courage de faire appel
à des ressources diversifiées, notamment l'électricité
nucléaire. Rien n'a été fait à
l'encontre des industries productrices de moteurs utilisant
l'essence et le gaz-oil. La plupart ne ces dernières
ne sont pas implantées en France, mais une action nationale
à leur égard aurait été envisageable,
à condition d'anticiper un peu les conséquences
des politiques européennes visant à restreindre
l'usage des combustibles fossiles.
Qu'aurait-il
fallu faire, objectera le lecteur? Que serait-il encore possible
de faire? Toutes les solutions faisant appel au transport
combiné: fer-route, maritime-route, aérien-route,
devront être encouragées, mais les coûts
d'infrastructure et de fonctionnement sont plus importants
que l'on ne pense généralement, de même
que les délais de mise en route, car ces méthodes
changeront nécessairement beaucoup d'habitudes. De
même devront être encouragés les processus
de production favorisant la proximité, plutôt
qu'obligeant à sillonner toute l'Europe pour des opérations
qui techniquement ne le nécessitent pas. En attendant,
les responsables politiques négocieront diverses mesures
compensatoires ou visant à respecter des délais
pour le changement, mais celles-ci créeront autant
de mécontentement que de satisfaction, pour des raisons
qu'il n'est pas nécessaire de développer ici.
La vraie
solution, concernant le transport routier lourd et à
longue distance, qui serait à la fois respectueuse
de l'environnement et des habitudes prises autour de ce mode
de transport, serait d'abandonner les moteurs diesels pour
d'autres types de moteur, ne posant pas les mêmes problèmes.
Impossible, dira-t-on. Nous ne le pensons pas. L'exemple en
est offert par l'aéronautique, qui malgré les
contraintes pesant sur elle, commence à tester des
propulseurs faisant appel à d'autres sources que le
kérosène, lequel est une forme de pétrole.
Les poids
lourds routiers ne pourraient pas utiliser de tels moteurs,
mais d'autres solutions seraient à la portée
des motoristes de demain pour peu que des recherches en ce
sens soient entreprises à une grande échelle.
Il y aurait les solutions relativement banales faisant appel
aux agrocarburants ou aux moteurs électriques. Mais
d'autres technologies sans appeler à l'aide
le caricatural moteur à eau pourraient être
développées. Il suffirait de chercher pour trouver.
La question
de la répercussion sur les coûts finaux, y compris
au niveau des consommateurs, ne pourrait être esquivée.
mais elle devrait être traitée dans le cadre
d'une politique européenne sachant se faire protectionniste
en tant que de besoin. Nous voulons dire par là que
si l'Europe se décide, pour le bien de la planète
toute entière, à engager des politiques de lutte
contre le réchauffement climatique et la protection
de l'environnement, elle ne pourrait pas en supporter seule
les coûts. Elle ne devrait donc pas accepter que, sous
prétexte de concurrence, d'autres pays ou entreprises
n'appliquant pas ces politiques viennent la concurrencer sur
son propre sol (ou même ailleurs dans le monde). Des
mesures de protection devraient donc être décidées,
même si elles se répercutaient sur les prix finaux
s'imposant à la demande intérieure.
Ce n'est
manifestement pas l'état d'esprit régnant actuellement
au niveau des institutions européennes, qui notamment
veulent s'engager avec une splendide naïveté (certains
parlent d'un parfait cynisme) dans les négociations
pour un grand marché transatlantique. Mais si les camionneurs
et autres agriculteurs voulaient manifester dans la rue en
faveur de politiques protectionnistes visant à favoriser
la mise au point de moteurs propres tels qu'esquissés
ici, rien ne leur interdirait de le faire à Bruxelles.
Pour en
revenir à ces politiques proprement dites, nous ne
disons pas que les recherches technologiques recommandées
ici contribueraient à faire disparaitre par miracle
les pollutions de l'environnement, ou que les coûts
demeureraient maitrisables. Mais qui n'essaye pas ne peut
rien espérer. L'Europe est assez riche en matière
grise et en ressources scientiques pour affronter ce défi,
dans le cadre de programmes de recherche associant les utilisateurs
finaux. Si quelques ministres du redressement productif ou
de la recherche européens se donnaient un tel objectif,
avec des résultats finaux pas trop lointains, on pourrait
penser que les mouvements de contestation tels que ceux sévissant
actuellement en Bretagne pourraient prendre patience.
Post
scriptum au 05/11/2013
Cet
article n'aborde pas ce qu'il faut bien appeler le scandale
d'Etat résultant du contrat Ecomouv attribué
à un Partenariat Public Privé.
Source
permanente de corruption et de favoritisme politique, cette
"solution" du PPP aurait du être depuis longtemps
refusée en France, où subsistent quelques restes
d'un Etat de Droit. Négocié par la précédente
majorité, le contrait aurait du, quelles que soient
les conséquences juridiques, être dénoncé
par l'actuel gouvernement. Pour des raisons obscures (soyons
prudent), il ne l'a pas fait. Il en recueille aujourd'hui
les conséquences.
il faut lire à ce sujet l'excellent article de Martine
Orange dans Médiapart. Tout est dit.
http://www.mediapart.fr/journal/france/311013/le-contrat-insense-de-lecotaxe?page_article=1