Sciences,
technologies et politique
Pour une reprise en main de l'Internet par
les techniciens "libertaires"
Jean-Paul
Baquiast - 28/09/2013
Bruce
Schneier est un spécialiste internationalement reconnu
de la sécurité des réseaux numériques.
Il a écrit de nombreux livres (dont Liars and Outliers:
Enabling the Trust Society Needs to Survive) ainsi que
des centaines d'essais et articles. Il publie la lettre "Crypto-Gram"
et anime le blog "Schneier on Security" (liens ci-dessous).
Son statut
est assez particulier. Il est consulté régulièrement
par de nombreuses institutions se préoccupant de l'ouverture
de l'Internet à la démocratie, notamment le
Berkman Center for Internet and Society à la
Harvard Law School et le New America Foundation's
Open Technology Institute , qui est membre de l'Electronic
Privacy Information Center. Il est par ailleurs consultant
de British Telecom. On peut donc juger qu'il est, pour reprendre
une terminologie de plus en plus employée, parfaitement
intégré au « Système » des
pouvoirs dont les Etats-Unis et le Royaume Uni sont les représentants
les plus visibles, même s'il milite pour la protection
des libertés individuelles. Mais cette "intégration"
ne l'empêche pas de contester vigoureusement les manifestations
les plus agressives de ce système, notamment la National
Security Agency venue récemment à l'actualité
mondiale à la suite du scandale dit PRISM/NSA/Snowden
que nous avons abondamment commenté ici.
Il serait
naïf cependant de considérer qu'il se fait le
champion d'un peuple de base régulièrement espionné
et manipulé par les pouvoirs. Il se fait en fait le
champion, à travers lui-même, d'une étroite
population de techniciens de l'Internet et de la sécurité
seuls en mesure d'élaborer les technologies en constant
développement des systèmes de cryptage et de
décryptage. Autrement dit, il représente bien
la catégorie à laquelle la grande presse fait
de plus en plus référence, celle des hackers.
Ceux-ci sont aussi bien capables de mettre au point des sécurités
d'accès aux réseaux de plus en plus efficaces,
et simultanément de « casser » ces mêmes
protections, à la demande de services d'espionnage,
d'entreprises criminelles ou pour leur plaisir propre. Pour
employer un terme moins connoté que "hacker",
on pourra reprendre le terme utilisé volontiers par
Bruce Schneier de "engineering community" ou
communauté des ingénieurs de l'internet. Mais
il s'agit un peu de la même chose.
N'en doutons
pas, c'est à de tels gens que l'avenir appartient en
grande partie, dans le monde des réseaux numériques,
puisqu'ils sont les seuls à maîtriser les outils
et les produits à l'origine de ces réseaux.
Cette minorité détenant le pouvoir, il serait
compréhensible que de plus en plus de personnes veuillent
acquérir leur technicité, pour ne pas dire leur
science. Mais ces spécialistes se défendent
bien, afin de conserver leur monopole. Tant pis pour les rêves
utopiques de savoir-faire démocratiquement partagés.
Quand ils communiquent, même aussi abondamment que le
fait Bruce Schneier, ils en disent toujours suffisamment pour
se faire respecter, mais pas trop, pour ne pas se faire supplanter.
Ceci ne
doit pas nous empêcher de tirer parti des jugements
critiques qu'ils portent sur le Système précédemment
évoqué, et de réfléchir aux solutions
qu'ils proposeraient pour remédier aux vices les plus
insupportables de ce même Système. C'est dans
cet esprit qu'il faut lire l'article
que Bruce Schneier a publié le 5 septembre 2013 dans
Le Guardian, auquel il collabore occasionnellement.
Le titre
en est évocateur: "The US government has betrayed
the internet. We need to take it back. The NSA has undermined
a fundamental social contract. We engineers built the internet
and now we have to fix it" ("Le
gouvernement américain a trahi l'internet. Nous devons
reprendre la main. La NSA a ruiné un contrat social
fondamental. Nous autres ingénieurs avons construit
l'Internet. Maintenant, nous devons le réparer").
Nous conseillons
instamment à nos lecteurs d'étudier cet article
(qu'il est facile de traduire si nécessaire en utilisant
les outils aujourd'hui disponibles). Mais comme nous l'avons
indiqué plus haut, les solutions à mettre en
oeuvre ne seront pas simples. Elles devront faire appel à
des cohortes d'ingénieurs du profil de Bruce Schneier.
Qui prendra la décision de les recruter, de les rémunérer
et de diriger leur travail, afin de "réparer l'Internet"
? Certainement pas, à elles seules, les bonnes volontés
qui, telles les nôtres ici, voudraient que soient mieux
démocratiquement partagés les pouvoirs conférés
par les réseaux numériques et l'exploitation
des Big Data.
Références
La lettre "Crypto-Gram" : https://www.schneier.com/crypto-gram.html
Le blog "Schneier on Security" :
https://www.schneier.com/