Sciences,
technologies et politique.
Drones.
L'absence de l'industrie européenne
Jean-Paul Baquiast 22/09/2013
On
peut se demander pourquoi, alors que tous les grands pays,
et d'autres plus petits, sont en train de se doter de flottes
de drones, l'industrie européenne tourne le dos à
ces perspectives prometteuses.
Les drones
(UAV en anglais, unmanned aerial vehicule) ) disposent de
multiples possibilités. Ceci grâce aux différentes
versions actuellement développées, depuis la
taille d'un avion de combat traditionnel à celle d'un
petit oiseau voire d'un gros insecte. Comme nous l'avons plusieurs
fois exposé sur ce site, ils représentent un
véritable enjeu de compétitivité, non
seulement dans le domaine militaire et de la police, mais
dans celui des applications civiles (par ex. surveillance
des récoltes et plus généralement des
écosystèmes) et des outils de recherche fondamentale.
De premiers
types de drones ont été depuis la guerre du
Vietnam voire auparavant, utilisés par l'US Air Force.
Mais il s'agissait d'engins encore primitifs, très
liés à un pilotage terrestre de proximité.
Les Israéliens, toujours soucieux de moderniser leur
défense et conquérir de nouveaux marchés,
ont depuis au moins 10 ans compris l'opportunité non
seulement stratégique mais industrielle que représente
la mise au point et l'exportation de nouvelles générations
d'appareils. Les Etats-Unis, avec toute la force de leurs
lobbies militaires et industriels, n'ont pas tardé
à suivre. Aujourd'hui, ils fabriquent et utilisent
des milliers de drones, dont les capacités, non seulement
aéronautiques ou concernant l'armement, mais en terme
d'intelligence artificielle et de capteurs embarqués,
sont constamment améliorées.
Obama
en avait fait ces dernières années un élément
essentiel des guerres menées au Moyen-Orient, y compris
dans le cadre d'opérations « furtives »
menées à l'encontre de groupes dits terroristes
dans des pays supposés amis comme le Pakistan. De telles
opérations suscitent aujourd'hui de plus en plus de
protestations de la part de ces pays. Mais elles ne cesseront
pas pour autant. Elles pourront être étendues,
au moins sous la forme de la surveillance, aux deux grandes
zones ou l'Amérique entend maintenir son influence,
l'Amérique centrale et la mer de Chine. Peut-être
verra-t-on de tels drones opérer également aux
frontières orientales de l'Europe, voire en Europe
même, à partir de bases de l'Otan, avec l'accord
implicite des Etats européens concernés.
Dans le
cadre de la compétition mondiale qui met désormais
en présence l'Amérique et la Chine, le gouvernement
de ce dernier pays a entrepris depuis quelques années
de se doter en matière de drones d'une industrie indépendante
des technologies occidentales. Il s'agit non seulement de
répondre à ses besoins propres en termes militaires,
de police ou d'environnement, mais d'alimenter un courant
d'exportation pour lequel la Chine disposera de ses avantages
habituels, notamment en termes de coûts. Les grands
fabricants chinois en matériels aéronautiques
et militaires disposent désormais de centres de recherche
dédiés aux drones. Ils exposent leurs prototypes
dans les manifestations internationales, comme le Salon du
Bourget en France.
Ceci n'a
pas manqué d'inquiéter les experts de défense
aux Etats-Unis. Un rapport pour 2012 du Defense Science Board,
utilisé comme conseil par le Pentagone, prévoit
déjà la perte du monopole américain dans
le domaine des UAV . Le document est déclassifié
et est accessible sur le web (http://www.acq.osd.mil/dsb/reports/AutonomyReport.pdf).
La Chine n'a pas fourni de statistiques concernant ses moyens,
mais Taiwan estime que l'aviation chinoise dispose déjà
de 280 unités, des milliers d'autres étant réparties
ailleurs. La flotte chinoise serait donc la seconde au monde,
après l'américaine, qui compterait actuellement
environ 7000 drones. Dans l'immédiat, il apparaît
que la Chine utilisera ses drones dans des zones où
elle cherche à imposer se présence militaire:
Tibet, Xinjiang, frontières avec le Japon, par exemple.
A terme, le rapport fait valoir que les Chinois pourraient
en cas de conflit détruire avec succès un porte-avions
américain en utilisant des flottilles de drones, bien
plus difficiles à contrôler que des flottilles
de vedettes.
Le contre-espionnage
américain attire aujourd'hui l'attention sur la cyber-guerre
que mènerait actuellement la Chine pour détourner
les principales données industrielles et de recherche
mises au point par les entreprises américaines travaillant
pour la défense. Une offensive générale
contre des hackers travaillant pour le compte de la Chine
se déroule actuellement aux Etats-Unis. Selon la firme
américaine FireArm (http://www.fireeye.com/)
qui opère dans le cadre de la cyber-défense,
une opération massive serait conduite par un groupe
de hackers nommé Comment Crew basé à
Shanghai. Ceci n'aurait rien d'étonnant, puisque c'est
de cette façon que beaucoup d'industriels asiatiques
ont pris connaissance des savoir-faires américains
et européens. La NSA américaine n'est pas en
reste, puisque l'on sait maintenant qu'elle espionne systématiquement
toutes les entreprises européennes, civiles ou de défense.
En matière
de drones malheureusement, il n'y aurait pas grand chose à
espionner en Europe, y compris chez les grands industriels
de l'aéronautique et du spatial. Nous avons indiqué
en introduction que ni l'Union européenne ni les gouvernements
de l'Union n'ont actuellement proposé de politiques
industrielles et de recherche sérieuses dans le domaine
des drones. Une recherche attentive montrerait cependant que
certains programmes sont à l'étude. Mais manifestement
leurs ambitions tant militaires que civiles sont timides et
lointaines. Les Européens, et la France en premier
lieu, se privent ainsi d'un important atout pour le «
redressement industriel ». Il faudrait rechercher les
responsables de cette démission, qui a certainement
profité à certains intérêts (allemands?).
Nous ne le ferons pas ici, car une enquête sérieuse
s'imposerait, dépassant le cadre de cet article. Bornons
nous à signaler cette inadmissible absence des entreprises
et du gouvernement français dans un secteur essentiel.