Perspectives des sciences et technologies dans les prochaines
décennies
Jean-Paul
Baquiast 12/10/2013
Questions
introductives.
* Pourquoi
se poser cette question? Parce que s'interroger sur l'avenir
constitue un exercice politiquement et socialement indispensable.
Il devrait en fait s'agir d'une véritable science (futurologie
ou prospective) développée avec rigueur plutôt
qu'abandonnée aux considérations de circonstance.
Certes, la prospective, le plus souvent, ne permet pas de
prévoir un avenir qui se déroulera nécessairement
sur un mode dit chaotique par les scientifiques (Une aile
de papillon
). Mais le plus souvent aussi, elle provoque
des réactions de défense à l'égard
des risques dénoncés, lesquelles se révèlent
utiles. Ainsi les prévisions du Club de Rome ont nourri
de nombreuses politiques de défense de l'environnement.
Bien évidemment, ces réactions de défense
suscitent de nouveaux risques que de nouvelles prospectives
doivent s'efforcer de faire apparaître.
* Pourquoi
se fixer sur les sciences et les technologies? Parce que celles-ci
sont les facteurs les plus puissants, aujourd'hui, pouvant
induire des transformations du monde global qui soient à
la fois à échéance rapide et de grande
ampleur. Parmi ces transformations et non des moindres figurent
celles touchant les philosophies et les morales collectives,
inaperçues par ceux qui raisonnent encore sous l'empire
des croyances traditionnelles.
* Sur
quelles durées porter l'attention? A 10 ans, les changements
prévisibles seront peu perceptibles, noyés dans
la poursuite des contraintes actuelles. Néanmoins,
des évènements totalement surprenants pourront
survenir. Il faut s'y préparer. A 20 ans, des changements
importants ou très importants surviendront nécessairement,
sauf catastrophes globales qui doivent elles-mêmes être
envisagées. A plus long terme, 50 ou 100 ans, les prévisions
seront nécessairement démenties par les évènements.
Mais, comme il vient d'être indiqué, s'y livrer
reste nécessaire. Des changements radicaux seraient
donc à prévoir . Au delà, on rentre dans
le domaine de la science-fiction. Mais celle-ci, qui comporte
le mot science, n'est pas inutile non plus, ne fut-ce que
par son effet éducatif.
Prologue.
L'arrière plan socio-politique prévisible pour
les prochaines décennies.
Il s'agit
d'un domaine de prospective indispensable à l'étude
des orientations que prendront les sciences et les technologies
durant les périodes considérées. Ces
dernières dépendant en grande partie de l'état
des sociétés où elles se développent.
Concernant
les sciences, on retiendra qu'elles sont devenues et
resteront convergentes et en croissance accélérée.
Le terme de convergent signifie que tout progrès (progrès
au sens d'approfondissement des connaissances) se manifestant
dans l'une se répercute sur toutes les autres. Ainsi
les progrès de la biologie se répercutent sur
la robotique, et réciproquement. Le terme de croissance
accélérée provient d'une constatation
depuis 50 ans en ce qui concerne l'informatique, d'où
découle la loi dite de Moore. Tous les deux ans, ou
cinq ans, les potentialités doublent, quels que soient
les domaines.
Il en
résulte que certains prospectivistes ont créé
le concept de Singularité. La convergence et l'accélération
se poursuivant sans obstacles conduiront à un état
aujourd'hui indescriptible, où tout, pour le meilleur
comme pour le pire, pourrait devenir possible. Il s'agit d'une
image, mais il faut la retenir.
Parmi ces possibilités, on ne doit pas exclure celle
d'une transformation de l'espèce humaine, ou si l'on
préfère de l'homme. Transformation, là
encore, pour le meilleur ou pour le pire. On parlera alors
de post-humain ou de transhumain. Nous reviendrons in fine
sur ces perspectives, en introduisant notre propre concept
de « complexe anthropotechnique ».
Mais quel type d'avenir prévoir à ce jour? Un
avenir serein ou un avenir menaçant, voire générateur
de catastrophes?
Un
avenir serein . Dans cette perspective, que nous
n'approfondirons pas ici, la Singularité évoquée
plus haut produirait un tel développement des ressources
et une telle maturation des mentalités que les différentes
crises de rareté et leurs conséquences socio-politiques
pourraient rapidement disparaître. Il y a quelques années,
les futurologues pariaient en général sur un
tel avenir.
Un
avenir menaçant, voire catastrophique .
Il s'agit de ce que prévoient désormais un grand
nombre de futurologues. Ils s'y préparent de plus en
plus. Ainsi vient d'être créé à
Cambridge un Centre for the Study
of Existential Risks. L'un de ses promoteurs, l'astrophysicien
Martin Rees, avait d'ailleurs publié en 2003 un livre
prémonitoire « Our final hours »
que rien ne permet aujourd'hui de vraiment contredire. Dans
cette perspective, certains observateurs, imprégnés
de culture biblique, disent en termes imagés que 4
nouveaux Cavaliers de l'Apocalypse ravagent dorénavant
la Terre. Ce terme désigne des fléaux dont on
peut constater tous les jours les effets destructeurs.
* La prise de possession du monde par un capitalisme spéculatif
privilégiant le profit individuel et l'extrême
court-terme. On parle en anglais d'un « global
junk bonds fund » ou fonds spéculatif mondial
« pourri ».
* Les dislocations économiques en résultant,
multipliant les inégalités. En découle
le concept de 1%%/99%, autrement dit 1% d'humains de plus
en plus riches, 99% d'humains de plus en plus pauvres.
* La faillite des Etats et de leurs valeurs de protection
collective. La plupart des Etats dits faillis le sont depuis
longtemps, mais ne se relèvent pas. D'autres sont en
train de s'effondrer.
*Les
idéologies radicales, qui poussent les hommes à
s'entretuer pour raisons de guerre sainte.
Ces Cavaliers
de l'Apocalypse vont sévir sur une Terre de plus en
plus dévastée par les conséquences de
changements de température dont les intérêts
dominants persisteront à refuser d'admettre la gravité,
jusqu'à ce que des paliers irréversibles (tipping
points) soient atteints: hausse du niveau des mers de 10cm
à plus d'1m, sécheresses de plus en plus étendues,
épisodes climatiques extrêmes, disparition de
nombreuses espèces terrestres et océaniques,
apparition de nouvelles épidémies... Se développeront
en conséquences des migrations massives et des guerres
de survie, alors que les populations les plus pauvres n'auront
pas eu le temps nécessaire pour atteindre la « transition
démographique » (équilibre entre
morts naturelles et naissances).
Dans le
même temps, les principaux investissements dans la recherche
scientifique et les technologies continueront à être
faits soit dans le domaine militaire proprement dit, soit
dans le pilotage des comportements et de la pensée.
Le reste de l'humanité n'en profite qu'à la
marge. Google peut aujourd'hui être considéré
comme l'archétype des grandes entreprises qui utilisent
le développement de l'internet pour mettre en place
un « cerveau global » à visées
non seulement commerciales mais de contrôle totalitaire
(voir ci-dessous). Bien que les chiffres restent confidentiels,
on peut estimer que 80% des investissements techno-scientifiques
sont réalisés aujourd'hui dans ces deux grands
domaines. Cela ne diminuera pas, au contraire.
Ceci
dit, quelque soit l'avenir qui se prépare, serein ou
menaçant, on peut prévoir que les perspectives
de développement des sciences et des technologies ne
seront pas affectées. S'exercent en effet des contraintes
globales, tant sur les recherches et développement
que sur les esprits des humains participant à la croissance
scientifique, qui jouent en profondeur, à l'image de
la tectonique des plaques.
Nous limiterons
cet exposé à trois grands domaines, ceux de
la biologie, ceux de l'artificiel et ceux du spatial (espace).
Nous ignorerons, parce qu'ils sont mieux documentés
dans la littérature courante, ceux de l'énergie
et ceux des matériaux, y compris s'agissant des nanotechnologies.
Une prospective plus complète devrait évidemment
les prendre en compte.
La
biologie . Biologie génétiquement modifiée,
biologie synthétique
Les développements
futurs de la biologie découleront pour l'essentiel
de la généralisation des applications de la
génétique, ou plus exactement de la génomique
(connaissance et modifications du génome, non reproductif
ou reproductif). Celles-ci, loin d'être ostracisées,
se répandront, compte-tenu des bénéfices
attendus. On peut penser que, sauf accident toujours possible,
les dangers de ces pratiques seront bien contrôlés.
On distingue
dès aujourd'hui les espèces dotées de
génome dont un certain nombre de groupes de gènes
ont été modifiés ou interchangés
à partir de souches naturelles , et celles dont les
génomes sont totalement artificiels (à partir
d'éléments biochimiques de synthèse).
On peut parler alors de biologie synthétique. La seconde
est encore exceptionnelle, mais se généralisera,
conjointement avec la première. Une grande partie des
espèces vivantes en contact avec l'homme seront partiellement
ou totalement modifiées dans le demi-siècle.
D'ores et déjà existent de nombreuses études
envisageant les besoins à satisfaire et les solutions
grâce à ces techniques.
* virus,
bactéries et micro-organismes. L'objectif sera d'obtenir,
à partir de ressources largement disponibles (par exemple
déchets transformés grâce à des
bactéries photosynthétiques) des produits ou
de l'énergie actuellement rares.
* végétaux. Seront développés
des végétaux terrestres ou océaniques
encore inconnus aujourd'hui capables de s'adapter aux régions
rendues infertiles par les transformations en cours des milieux
naturels.
* animaux
supérieurs. Le même objectif conduira à
produire des animaux de consommation courante plus économes
ou plus efficaces en terme de production de ressources d'origine
agricole. De nouvelles variétés ou espèces
se multiplieront. Les hybridations d'espèces elles-mêmes
génétiquement modifiées se multiplieront,
faisant disparaître des classifications traditionnelles
depuis Cuvier et autres naturalistes. De plus en plus, par
ailleurs, les cellules extraites de tissus présentant
un intérêt économiques seront cultivées
in vitro, à large échelle. D'ores et déjà
une viande de synthèse a été proposée
expérimentalement à la consommation. Les espèces
« historiques » ne seront conservées
qu'à titre documentaire.
* espèce homo sapiens. Très vite enfin, pour
des raisons thérapeutiques ou afin d'améliorer
les descendances, le génome humain sera marginalement
puis, plus systématiquement, modifié. Les avantages,
en terme de lutte contre les maladies, d'amélioration
des performances physiques et mentales, de longévité,
seront telles que ces modifications seront très globalement
acceptées, sinon recherchées. On notera cependant
que leur coût sera tel, au début, que ces modifications
ne seront accessibles qu'à quelques favorisés.
De plus leur généralisation sera lente, compte
tenu de la longueur du cycle reproductif humain. La voie à
des recherches conduisant à l'apparition de post-humains
sera cependant ainsi ouverte. Mais, pour des raisons dites
éthiques, elle sera, au moins initialement, explorée
avec précautions.
L'artificiel
Appelons
sciences et technologies de l'artificiel toutes celles visant
à « augmenter » (selon l'expression
consacrée), puis à remplacer le vivant, l'humain,
le conscient.
D'ores et déjà le domaine de l'artificiel a
très largement envahi et transformé les milieux
naturels et les sociétés humaines. Contrairement
aux techniques de la génomique, celles de l'artificiel
ont une capacité de prolifération, d'accélération
qualitative et finalement de croissance exponentielle en face
desquelles les valeurs de l'humanisme traditionnel ne pèsent
guère. Elles se développeront initialement en
parallèle, sinon en interaction, avec les modifications
du vivant décrites dans la rubrique précédente.
Assez vite, elles s'autonomiseront, échappant éventuellement
aux contrôles politiques classiques.
On pourra
par commodité distinguer, au moins au début,
quatre grandes directions de réalisations. Mais en
fait, elles se superposeront ou s'interconnecteront, sur le
mode dit de la convergence, précédemment évoqué.
* L'homme
augmenté. Il s'agit, d'ores et déjà,
d'un homme doté de prothèses de plus en plus
autonomes. Elles permettent et permettront de suppléer
à diverses invalidités ou manques affectant
l'humain. Mais progressivement, compte-tenu des augmentations
de performance qu'elles assurent, elles seront de plus en
plus demandées par les personnes disposant de ressources
suffisantes. On distinguera les prothèses augmentant
les performances des organes sensoriels et moteurs, celles
concernant les organes internes et finalement celles appliquées
au système nerveux et au cerveau lui-même. Dans
ce dernier cas, à côté de techniques dites
invasives, seront proposées des commandes à
distance commandées non seulement par la parole mais
par la pensée. En parallèle seront développés
des dispositifs susceptibles de modifier en profondeur les
capacités d'animaux jugés aptes à opérer
utilement avec des humains.
* Les robots. Le terme s'applique de plus en plus, non à
des automates agissant sur un mode déterministe, comme
au sein de chaines de production de plus en plus obsolètes,
mais à des systèmes autonomes, capables d'adaptations
et de prises de décisions dépassant les compétences
des humains et pouvant de ce fait intervenir dans des milieux
et avec des temps de réponse très supérieurs
à ce que permettent des machines et des commandes classiques.
On trouvera de tels robots partout où leur mise en
oeuvre sera jugée susceptible d'apporter des profits
et des gains de pouvoir inenvisageables autrement. Nous pouvons
évoquer les drones dits UAV (Unmanned Aerial Vehicle)
déjà capables en théorie d'identifier
seuls des cibles et décider de les détruire.
D'autres appareils dotés de possibilités équivalentes
sont développés autour de véhicules terrestres
ou maritimes. La même tendance se dessine en chirurgie.
Dans quelques
années seront expérimentés, dans le domaine
de l'exploration planétaire, des robots et flottes
de robots susceptibles d'agir seuls, loin des centres de contrôle
terrestres, en procédant à diverses opérations
visant à l'exploration et la transformation du milieu
nécessaires à l'arrivée ultérieure
de colons humains. Ce n'est pas le cas des actuels « rovers »
américains opérant sur Mars, qui ne disposent
que d'autonomies limitées.Les robots prennent déjà
et prendront toutes les formes et tailles imaginables, travaillant
seuls ou de plus en plus en groupes. Les chercheurs en cognition
artificiels ont déjà réussi à
leur faire développer, en « essaims »,
des comportements symboliques et langages sociaux originaux,
non imposés par l'humain, sur un mode analogue à
celui dont ont bénéficié les premiers
humains. Une fois autorisés à s'émanciper
véritablement, on peut penser que ces populations de
robots feront émerger des formes de pensée et
même de conscience artificielle, s'organisant en cultures,
aussi performantes et sans doute plus originales que celles
dont s'enorgueillissent les sociétés humaines.
Ceci sera particulièrement précieux dans la
compréhension des milieux spatiaux où ils opéreront
(voir ci dessous).
On fait souvent valoir que les robots actuels et a fortiori
leurs successeurs, feront disparaître des emplois humains.
C'est vrai, que ce soit dans le domaine des tâches d'exécution
et dans celui des fonctions de contrôle et de conception.
Mais dans le même temps, la robotisation accrue développera
de nouveaux emplois, sans doute aussi nombreux, concernant
l'invention, la mise au point et la maintenance de nouvelles
générations de robots. Par ailleurs les nouveaux
champs d'activité devenus accessibles grâce aux
robots peuvent fournir, s'ils sont méthodiquement explorés,
de quoi occuper utilement les humains qui leur sont associés.
* Les
humains numérisés. Le sujet est complexe et
en bouleversement permanent. Disons pour simplifier qu'autour
des réseaux téléphonique ou internet
et de leurs successeurs se multiplient les traces numériques
qu'y laissent les humains. Il s'agit de doubles numériques
de ceux-ci. Chaque échange, dans quelque domaine que
ce soit, public ou privé, est désormais enregistré
et accessible à tous. Il en est de même des informations
fournies par les objets utilisés (l'internet des objets),
la géolocalisation des utilisateurs et un nombre croissant
d'informations privées les concernant.
Beaucoup de ces informations sont prélevées
à l'insu des entreprises et des individus concernés,
mais d'autres sont fournies volontairement par des personnes
en espérant un avantage de notoriété.
Ces milliards de traces par jour, dites aussi « big
data », sont dorénavant stockés sur
des serveurs aux capacités apparemment sans limites.
Elles sont exploitées par des logiciels ou algorithmes
qui peuvent soit fournir des informations précises
sur un individu présentant des caractères intéressants,
soit des données dites statistico-probabilistes intéressant
les comportements globaux de tels ou tels groupes.
Le coût
de ces serveurs et de ces logiciels restera importants. Ils
ne sont pour le moment mis en place que par des services de
renseignement et d'espionnage gouvernementaux, tels la National
Security Agency américaine venue récemment à
l'actualité grâce à la dénonciation
d'un « semeur d'alerte », Edward Snowden.
Mais les grandes entreprises du web, encore principalement
américaines, Google, déjà citée,
Facebook, Youtube, Microsoft, enferment de plus en plus les
individus, consentants ou non consentants, dans ce que beaucoup
d'observateurs proposent d'appeler un goulag numérique
(Cf notre
article ). Elles se comportent en fait comme ce que l'on
pourrait appeler des « prédateurs souriants »
Concernant
l'avenir, il est probable que, malgré les résistances
de divers « libertariens », de tels
goulags s'étendront de plus en plus, concernant que
ce soit leurs motivations ou leurs aires géographiques.
Un point essentiel à noter intéresse l'autonomisation
croissante des logiciels statistico-probabilistes. Ils prendront
de plus en plus seuls des décisions que l'on croyait
réservées à des humains. C'est déjà
le cas dans le domaine boursier dit du « trading
à haute fréquence ». C'est sans doute
aussi le cas dans certains domaines de la défense et
de la sécurité, compte tenu de l'impossibilité
de gérer humainement les flots de « big
data » provenant des dispositifs physiques de surveillance
(par exemple les réseaux de caméras de vidéo-surveillance).
Tous les secteurs de décisions susceptibles de faire
appel à des big data seront progressivment concernés,
ainsi dans le domaine médical.
* Les
cerveaux humains artificiels. Ce terme pourrait s'appliquer
à tous les cerveaux virtuels qui prolifèrent
désormais sur le web. Mais il est préférable
de le réserver aux recherches de grande ampleur concernant
la modélisation et la simulation du cerveau humains
et de ses principales fonctions dans les domaines sensori-moteur
et cognitif. La tâche est potentiellement immense, le
cerveau humain étant réputé comme l'objet
le plus complexe de l'univers. Mais l'enjeu est également
considérable. Non pas que l'humanité manque
de cerveaux, mais parce qu'elles manque de cerveaux susceptibles
d'être mis au service des domaines les plus ambitieux
de la recherche et de la conquête du pouvoir.
Plusieurs
techniques sont utilisées aujourd'hui par la modélisation
du cerveau. Il faut d'abord observer l'objet cérébral:
observation clinique, appel à l'imagerie cérébrale,
analyse microscopique de tissus nerveux ou de cerveaux d'animaux.
Il faut ensuite utiliser ces observations pour construire
des cerveaux artificiels faisant appel à des supports
informatiques et à des logiciels adaptés. Deux
grands projets sont actuellement en oeuvre, un projet européen
dit Human Brain et un projet américain dit BRAIN (Brain
Research through Advancing Innovative Neurotechnologies).
Supposé
se développer sur 10 ans, celui-ci vient d'annoncer
les grandes étapes envisagées. Citons les à
titre documentaire: Recenser les différents types de
cellules nerveuses. - Créer des cartes structurelles
du cerveau. - Développer un réseau à
grande échelle enregistrant les capacités cérébrales.
- Développer des outils pour la manipulation des circuits
neuronaux. - Lier l'activité neuronale aux comportements.
- Intégrer les théories, modélisations,
statistiques avec les résultats des expérimentations.-
Mieux préciser les processus sous-jacents aux techniques
d'imagerie cérébrale. - Créer des mécanismes
facilitant les observations chez l'homme. - Diffuser les connaissances
et les modalités d'apprentissage.
Les spécialistes
sont très optimistes. Beaucoup estime qu'un robot humanoïde
disposant d'un tel cerveau artificiel et de toutes les richesses
informationnelles de l'internet, pourrait voir le jour dans
les 20 à 30 prochaines années. Sans attendre
se multiplieront vraisemblablement des versions partielles
de cerveaux artificiels, consacrés à l'exploration
de divers domaines stratégiques ou simplement
à l' « augmentation » des
capacités cérébrales de personnes volontaires.
Le
spatial
Depuis
bientôt 40 ans, le spatial proche de la Terre (dit sub-orbital,
en dessous de 35.000 km) a fait l'objet d'une exploitation
intense, militaire et civil. Dans le même temps se sont
multipliées les missions scientifiques visant la Lune,
Mars, et plus généralement le système
solaire ou au delà. La Russie, les Etats-Unis, l'Europe
et aujourd'hui la Chine, précédant d'autres
nations asiatiques, ont beaucoup investi dans ces divers domaines.
Même si l'enthousiasme s'est progressivement érodé
chez les nations occidentales, l'intérêt politique
et économique de la présence dans l'espace ne
faiblit pas. On sait que les Etats-Unis ont lancé le
concept de «full spatial dominance »
qui pour eux exprimait le stade supérieur de leur volonté
de domination mondiale. Quant à l'exploration scientifique,
elle répond à un désir presqu'irrationnel
de connaissance, paraissant profondément ancré
dans les psychismes humains.
Il est
donc possible de prévoir que les investissements de
recherche se poursuivront, en dehors même des objectifs
purement technologiques, liés au développement
des satellites de communication et d'observation. Ces perspectives
sont bien connues. Il est inutile de les développer
ici.
Nous pouvons
par contre évoquer un thème à la limite
de la science-fiction, qui peut-on prévoir sera de
plus en plus ressenti comme important dans les prochaines
décennies et justifiera un certain nombre de recherches,
fussent-elles dépourvues d'applications pratiques immédiates.
Il s'agit de la nécessité où se trouvera
inexorablement l'humanité, sous ses formes actuelles
ou futures, de se réfugier ailleurs que sur la Terre
en cas de catastrophe d'ampleur cosmologique. On sait que
le système solaire deviendra invivable à terme
de 2 ou 3 milliards d'années. Mais bien avant cette
échéance, assez désespérante d'ailleurs
bien que fort lointaine, des phénomènes plus
proches, tels que la rencontre avec des astéroïdes,
des éruptions de grande ampleur dans la couronne solaire,
sans mentionner l'explosion d'une supernova suffisamment distante
pour ne pas être totalement destructrice, pourraient
être prévues et nécessiter des mesures
radicales, soit de protection, soit d'abandon de la Terre.
Une association
américaine, baptisée
Lifeboat Foundation, Sauveguarding Humanity , se consacre
en particulier à envisager les scénarios catastrophiques
susceptibles de se produire et les protections possibles.
Elle attire à elle un certain nombre de scientifiques
et de donateurs de renom.
La démarche
peut surprendre, compte-tenu du caractère improbable
des risques, au moins à courte échéance,
et aussi de son caractère égoïste. Ce ne
serait pas la totalité de l'humanité qui serait
protégée, compte-tenu des coûts à
envisager, mais une étroite minorité. Néanmoins
on peut prévoir qu'elle se poursuivra et entrainera
de nombreuses recherches, dont beaucoup seront réutilisables
à court terme. Il s'agit donc d'un secteur à
ne pas sous évaluer dans une approche prospective.
Nous n'en
dirons pas plus ici sauf à évoquer une question
qui pourrait éventuellement assez vite provoquer des
surprises. La survie hors des limites du système solaire
proche ne sera jamais envisageable, dans les technologies
spatiales d'aujourd'hui ou du prochain siècle. Les
lois de la relativité interdisent en effet à
des mobiles d'origine terrestres de se déplacer à
des vitesses suffisantes pour atteindre un astre fut-il proche
comme Proxima du Centaure. Mais qu'en serait-il si ces limitations
théoriques étaient modifiées, à
la suite de modifications des représentations cosmologiques.
Newton, par exemple, en son temps, aurait jugé impossible
d'échapper à la gravité terrestre.
Or aujourd'hui
divers théoriciens théoriques recherchent des
modèles d'univers correspondant à la fois aux
contraintes de la physique einstenienne et aux possibilités
de la physique quantique. Pour celle-ci, les observables quantiques
sont dotées de propriétés « bizarres »
(weird, selon le terme d'Einstein) telles que la superposition
d'état, la non localité ou l'intrication qui
remettent en cause les propriétés d'espace ou
de temps, ainsi que l'unicité de l'univers. La physique
macroscopique commence à étudier des particules
matérielles, dites bits quantiques, qui dans certaines
conditions peuvent bénéficier de ces propriétés.
Une synthèse entre les deux physiques, entreprise sous
le nom de gravitation quantique, se heurte à beaucoup
de difficultés, mais se poursuit actuellement. Elle
ou d'autres voisines pourraient finalement aboutir et faire
espérer pour les humains, sinon des voyages dans le
multivers (d'un univers à l'autre), du moins la levée
d'un certain nombre d'obstacles s'opposant aux déplacements
dans notre espace-temps actuel. Le sujet est si motivant que
les ressources humaines et matérielles nécessaires
à son étude ne manqueront certainement pas dans
les prochaines décennies.
Conclusion
Il est
souvent objecté aux travaux actuels de prospective,
notamment dans le domaine de la robotique, que les humains
seront très vite surpassés par les performances
des systèmes qu'ils auront contribué à
réaliser.
Nous
avons pour notre part indiqué (Cf Jean-Paul Baquiast,
Le paradoxe du sapiens, préface de Jean-Jacques Kupiec,
éditeur Jean-Paul Bayol, mars 2010 ) qu'un tel risque
est plus qu'improbable. En effet, depuis l'utilisation des
premiers outils par certains australopithèques évolués,
il est constaté que les humains se développent
en symbiose avec les technologies qui leur servent d'instruments.
Se mettent en place des entités mixtes, que nous avons
nommées systèmes anthropotechniques, au sein
desquelles évoluent en parallèle déterminismes
anthropologiques et déterminismes technologiques. C'est
la compétition darwinienne entre ces entités
qui façonne le monde terrestre. Ceci, répétons-le,
pour le meilleur et pour le pire.