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Mind and Cosmos: Why the Materialist Neo-Darwinian
Conception of Nature Is Almost Certainly False
par
Thomas Nagel (Sept 26, 2012).
Critique par Jean-Paul Baquiast 25/08/2013
Article provisoire

Chauve
souris. Cet animal a inspiré l'article le plus célèbre
de Thomas Nagel « What it is like to be a bat? »
1974 . L'objet en était l'impossibilité de partager
des états de conscience d'une espèce à
l'autre, voire entre individus au sein d'une même espèce.
Cette impossibilité parait moins grande aujourd'hui.
Le dernier
livre du philosophe de la connaissance Thomas Nagel, présenté
ici, bien que court, s'inscrit sous un titre très agressif,
avec des arguments tenant compte de l'évolution récente
des sciences, dans une discussion plus que millénaire:
l'univers matériel donne-t-il naissance à des
structures capables de vie, de conscience, de connaissance
et finalement de valeurs morales? L'apparition de ces structures
est-elle spontanée ou suppose-t-elle au contraire l'intervention
d'un esprit extérieur à la matière qui
lui imposerait des finalités supérieures? On
reconnaît dans cette dernière façon de
poser la question le dualisme matière/esprit qui depuis
qu'elles existent inspire les religions et les divers spiritualités.
Leur version, très à la mode aujourd'hui du
fait du poids politique des Etats-Unis dans les débats
d'idées, est le créationnisme, dans sa version
dure d'inspiration biblique ou dans sa version douce, telle
que déclinée par les défenseurs du « dessein
intelligent ». Ceux-ci ne rejettent pas les explications
scientifiques mais les inscrivent dans une évolution
orientée vers la réalisation de finalités
de nature spirituelle.
Or Thomas
Nagel a toujours refusé d'être rangé parmi
les spiritualistes dualistes ou les théistes, pour
qui la science moderne peut s'accommoder de l'hypothèse
d'un Dieu organisateur, fut-il très lointain. Il s'est
toujours affirmé comme radicalement athée, ce
qui n'est pas sans un certain courage dans un monde ou les
religions de combat se font de plus en plus entendre et où
l'athéisme est de plus en plus assimilé au blasphème,
pouvant éventuellement être puni de mort. Mais
l'intérêt de Mind and Cosmos est que le
livre, comme d'ailleurs les articles précédents
de Thomas Nagel, ne reprend pas l'approche matérialiste
physicaliste généralement partagée par
l'ensemble des sciences dites occidentales, marquées
par le déterminisme. Selon cette approche, des causes
physiques, élucidables par la science, permettent d'expliquer
l'apparition de la vie et des différents attributs
dont certains organismes vivants se sont trouvés dotés
sur Terre; notamment la conscience, accompagnée d'une
aptitude à la connaissance et aux comportements de
type moraux. Ces causes s'expriment dans le processus darwinien
expliquant l'apparition de la vie et de ses diverses propriétés
par le mécanisme de la mutation au hasard/sélection.
Or Thomas Nagel ne juge pas crédible l'hypothèse
darwiniste , aussi puissant puisse être le darwinisme
lorsqu'il se déroule sur des milliards ou au
moins des centaines de millions d'années.
La
téléologie
L'alternative
au darwinisme proposée par Thomas Nagel est la téléologie
(qu' il ne faut évidemment pas confondre avec la théologie),
ou évolution orientée par l'apparition de buts
qui définissent a priori des finalités capables
d'orienter les modalités évolutives des organismes.
L'approche téléologique est acceptée
dans une certaine mesure par la biologie et la physiologie.
Le développement d'un embryon commandé par l'expression
de ses gènes se fait dans le cadre de choix bien définis
au préalable. Mais pour que l'hypothèse téléologique
soit viable à grande échelle, celle de la planète
voire du système solaire et de la galaxie, il faudrait
qu'elle repose sur la mise en évidence de contraintes
et de finalités d'une toute autre ampleur. Or les sciences
modernes n'ont pas voulu approfondir cette possibilité,
ne fut-ce que dans le souci compréhensible de ne pas
rouvrir des portes à l'idéalisme spiritualiste
toujours près de s'y engouffrer.
La difficulté
à laquelle se heurte Thomas Nagel, non seulement dans
ce livre mais dans l'ensemble de son oeuvre, est simple à
résumer: il réussit sans trop rencontrer d'oppositions
à rassembler les nombreux arguments présentés,
depuis Charles Darwin lui-même, à la vraisemblance
d'un développement vital né du simple hasard,
contraint par la nécessité résultant
de la sélection pour la vie. C'est comme on le sait
l'argument essentiel des créationnistes, selon lequel
par exemple le développement d'un organe aussi complexe
que l'oeil ne peut découler du processus darwinien,
compte-tenu notamment du temps relativement bref au cours
duquel il s'est produit. Les darwiniens, avec Richard Dawkins
en ce cas, se sont efforcés au contraire de montrer
qu'un tel développement était possible, en s'appuyant
sur les preuves expérimentales concernant l'apparition
d'organes de vision de plus en plus sophistiqués.
Mais pour se laisser convaincre, selon Nagel, qui rejoint
en cela sans les partager les arguments des créationnistes,
il faut faire montre d'une grande bonne volonté, approchant
une sorte de foi religieuse. Les preuves avancées par
les darwiniens restent selon lui très fragiles. L'ensemble
du livre, Mind and cosmos, développe cet argumentaire,
en l'appliquant à l'apparition, non seulement de la
vie, mais de la conscience, de la raison générant
la connaissance scientifique du monde et finalement de la
morale, reconnaissant l'existence de valeurs dépassant
le seul intérêt des individus et dont les espèces
biologiques dotées d'une certain complexité
sont capables de s'inspirer, même si ces valeurs sont
contraires à leurs intérêts immédiats.
.
Dans tous ces cas existent de nombreux arguments découlant
d'un déterminisme évolutionnaire darwinien ou
néo-darwinien qu'admettent faute de mieux les scientifiques
matérialistes, mais qui peuvent apparaître, selon
l'expression populaire, quelque peu « tirés
par les cheveux ». Nagel énumère
en détail les objections suscitées par ces arguments.
La difficulté à laquelle cependant il se heurte
à son tour est qu'il ne peut pas, de son propre aveu,
fournir d'arguments scientifiques, observables et vérifiables,
permettant de justifier les développements téléologiques
auxquels il accorde lui-même, sans vouloir le reconnaître,
une sorte de foi religieuse. Dans l'état actuel de
la science, le lecteur du livre, comme ceux qui s'intéressent
à ses thèses, se trouvent par conséquent
écartelés entre des « croyances »
différentes, pas plus faciles à démontrer
les unes que les autres.
Perspectives
cosmologiques
Avec un
peu de recul, nous sommes obligés en effet de constater
qu'il faut beaucoup de foi, si l'on peut dire, pour se convaincre
que l'évolution de la vie sur Terre s'insère
dans un mécanisme darwinien d'une très grande
ampleur, selon lequel ce serait l'ensemble de l'évolution
de notre univers qui aurait été, soit par hasard
soit par suite d'une construction initiale, déterminé
par des contraintes permettant l'apparition de systèmes
vivants, intelligents et finalement moraux. Cependant nos
lecteurs sont suffisamment informés des développements
récents de la cosmologie scientifique pour ne pas refuser
de telles perspectives, sans mentionner la recherche sur Terre
même de formes de vies encore inconnues, par exemple
dans les grands fonds océaniques ou géologiques.
Elles sont à la source de toutes les hypothèses
actuelles concernant l'existence de vies et d'intelligences
extraterrestres. Même si de telles hypothèses
n'ont pas encore abouti, il serait absurde de les considérer
comme une fuite en avant de la science dure matérialiste
vers des horizons que Nagel qualifierait, sans nuance péjorative
de sa part d'ailleurs, de métaphysiques.
Résumons
en deux mots la problématique évolutionniste
actuelle, telle qu'elle pourrait s'appliquer à l'histoire
d'un corps céleste, d'un système solaire, d'une
galaxie voire d'un univers abritant des conditions dites life-friendly,
c'est-à-dire potentiellement favorables à l'apparition
de le vie ou même de formes de vie pas très
différentes de celles que nous connaissons. Il faut
que ce corps céleste abrite des conditions physiques
et des composants permettant la formation de molécules
complexes susceptibles de s'organiser, sous la forme de ce
que nous appelons l'ARN ou l'ADN, en ensembles stables reproductifs.
Il faut que s'engage le processus darwinien de reproduction
au hasard par essais et erreurs permettant que des structures
plus complexes encore naissent des précédentes
et qu'une compétition entre elles pour l'accès
aux ressources entraine la disparition des formes les moins
adaptées et le succès, gage de développements
ultérieurs, de formes s'étant révélées
mieux adaptées, qu'elles soient d'ailleurs plus complexes
ou simplement différentes.
Il faut
enfin que ce processus d'ensemble se révèle
à l'usage suffisamment pervasif (ou ubiquitaire, selon
l'expression des informaticiens) pour qu'il s'étende
en des délais relativement courts, quelques milliards
d'années sinon bien moins, à l'ensemble des
milieux caractérisant l'astre considéré.
La suite, c'est-à-dire l'apparition au sein des structures
dites biologiques en découlant, d'organismes dotés
de capacités, pouvant être plus ou moins marquées,
voire pouvant être différentes, de langages,
de consciences de soi, d'aptitudes à la construction
de modèles cognitifs du monde plus ou moins efficaces
et finalement de capacités à créer puis
identifier des qualia ou valeurs dites morales, ne serait
qu'une question de temps, si les conditions favorables initiales
nécessaires étaient rassemblées.
Or si
ces mêmes conditions favorables se retrouvaient sur
d'autres planètes, dans la galaxies, dans d'autres
galaxies et pourquoi pas (selon l'hypothèse des multivers)
dans d'autres univers, pourquoi ne pas imaginer que ces planètes,
et plus généralement le cosmos, au cours de
l'histoire cosmologique que nous leur attribuons, puissent
héberger des êtres vivants, conscients, intelligents
et moraux, comparables ou non à ce que
nous sommes, autrement dit. devenir globalement plus intelligents
?
ll faudrait
évidemment obtenir des preuves matérielles vérifiables
de tels évènements pour en faire l'un des fondements
de notre science actuelle. Ceci n'a pas encore été
le cas, mais comme nous l'avons indiqué plus haut,
l'hypothèse opposée, dite téléologique,
à laquelle se référe Thomas Nagel, n'est
pas davantage vérifiable. Les athées tels que
Nagel devront dans ce cas choisir entre postulats métaphysiques
différents, sinon opposés. La difficulté
d'un tel choix ne sera pas pour eux, s'ils disposent d'une
philosophie scientifique suffisamment solide, un prétexte
pour se renvoyer en désespoir de cause à des
explications non pas téléologiques, mais théologiques,
autrement dit faisant appel à un hypothétique
Dieu dans la machine, tout aussi difficile à admettre
par celui qui dispose d'un minimum de bon sens.
Pour poursuivre
le débat, on pourra se demander si un corps céleste,
voire une galaxie, dotée par l'évolution d'entités
vivantes et intelligentes comparables à ce que nous
sommes, pourrait se retrouver dans la compétition interstellaire
en position plus favorable que celles de ses homologues qui
en seraient restées à des formes d'organisation
physico-chimiques plus simples. La réponse dépendra
du jugement que l'histoire cosmologique nous permettra de
porter sur les avantages comparés dont disposent des
astres intelligents au regard d'autres plus primitifs. Les
idéologues anti-science nombreux sur Terre expliqueront
qu'à terme la science et les techniques associées
seront une malédiction pour notre planète. Mais
nous ne les suivrons pas évidemment dans ce jugement.
La
question du hasard ou de l'aléatoire.
Un des
arguments forts employés par Thomas Nagel pour repousser
le déterminismee physico-chimique et ses développements
dans le domaine biologique est que le hasard ne suffit pas
à rendre probable l'apparition dans l'univers des structures
complexes, qu'elles aient été physico-chimiques
ou a fortiori biologique. Il fallait que jouent des forces
beaucoup plus puissantes et systématiques, inscrites
si l'on peut dire de tous temps dans la nature, y compris
pourquoi pas au niveau des lois fondamentales de la physique.
Mais rappelons le, Nagel s'avoue lui-même incapable
de préciser ce que pourraient être ces forces,
en dehors de l'évocation d'une prédestination
divine qu'à juste titre il refuse.
Nous pourrions
pour notre part nous étonner du fait qu'arrivé
à ce stade de son itinéraires philosophico-scientique,
il ne fasse pas davantage allusion aux perspectives ouvertes
par la physique quantique, qui débordent de plus en
plus le domaine des sciences dites microscopiques pour envahir
le domaine des sciences macroscopiques. Mais ceci se comprend
car Thomas Nagel est un « réaliste »
convaincu. Autrement dit. il postule l'existence d'un réel
extérieur à l'homme et que la science doit se
donner la mission de découvrir et préciser.
Nous sommes là aux antipodes de l'approche dite par
Mioara Mugur-Schächter du relativisme épistémologique
découlant de la prise en compte des modèles
du monde proposés par la mécanique quantique.
Dans le cadre de cette dernière approche, le réel
n'est pas objectif mais au mieux intersubjectif et instrumental.
Il est construit en permanence par les développements
de la physique quantique et des sciences, telle la cosmologie
quantique, s'en inspirant.
Nous ne
reprendrons pas ici les nombreux articles consacrés
sur ce site à ce qu'il faut bien appeler la marche
conquérante de la physique quantique et de ses conséquences
épistémologiques. Disons que les plus potentiellement
créatrices de ces conséquences obligent à
considérer avec un regard nouveau le fonctionnement
du cerveau et celui de l'esprit qui découle de ce dernier.
Pour simplifier, on parlera d'une approche constructiviste
qui oblige à prendre en considération l' « émergence »
d'entités échappant aux contraintes du déterminisme
physico-chimique linéaire. Le terme d'émergence
paraît relever de la facilité de vocabulaire,
mais il traduit bien le fait que, dans le monde quantique
et dans les mondes physiques déterminés par
lui, peuvent apparaître à tous moments des mécanismes,
déterminismes ou concepts de type probabilistico-statistiques
s'appliquant aux grandes masses de données que
ces données soient d'ailleurs déjà identifiées
par la science ou qu'elles ne le soient encore qu'incomplètement.
Dans cette
perspective rien n'obligerait la science des modèles
constructivistes à refuser l'apparition, sur la Terre
ou sur tout autre corps céleste, de propriétés
qui ne découleraient pas de déterminismes préalables,
ceci que nous soyons ou non conscients de l'existence de ces
propriétés. A la limite, diraient les optimistes
de la philosophie constructiviste, pourquoi ne pas imaginer
que de telles propriétés puissent naître
de façon statistico-probabiliste dans les univers « chaotiques »
de nos cerveaux, puis se matérialiser ensuite sous
l'effet des comportements constructifs des individus ou groupes
les ayant adoptées. A ce moment, l'univers, tout au
moins sur la Terre et dans les astres proches, pourrait se
transformer de façon spontanée dans un sens
actuellement imprévisible ou peu prévisible,
à condition que les propriétés ainsi
« imaginées » soient capables
de mettre en action des forces physico-chimiques, voire cosmologiques
préexistantes (c'est-à-dire pour certaines d'entre
elles relevant du quantique intemporel).
Il est
peu probable que la science moderne, sous ses aspects les
plus constructifs, enrichie de telles considérations,
puisse s'étendre à l'ensemble de la planète,
et a fortiori à l'ensemble du système solaire
ou de la galaxie? Mais pourquoi ne pas imaginer cependant
qu'elle puisse avoir une influence faible ou forte, immédiatement
ou plus tard, dans le monde indescriptible parce que chaotique
des conflits entre informations se déroulant d'un système
planétaire à un autre.
Références
Faute de temps nous ne pouvons proposer ici d'étude
critique suffisamment complète des thèses évoquée
par le livre de Thomas Nagel. Le lecteur pourra se tourner
vers les trois articles ci-dessous, provenant d'auteurs inégalement
convaincus.
* Newyorker http://www.newyorker.com/online/blogs/books/2013/07/thomas-nagel-thoughts-are-real.html
* The NewYork Review of books http://www.nybooks.com/articles/archives/2013/feb/07/awaiting-new-darwin/?pagination=false
* The Partially Examined Life
http://www.partiallyexaminedlife.com/2013/02/07/evolution-is-rigged-a-review-of-thomas-nagels-mind-and-cosmos/
* Sur
les travaux de Miora Mugur Schachter, voir à titre
d'introduction " L'infra-mécanique quantique"
ouvrage au format.pdf accessible en téléchargement
gratuit à partir de notre site. http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2011/115/IMQ.pdf