Sciences
politiques.
EuroBRIC,
quelles perspectives pour des alliances fiables?
Jean-Paul
Baquiast. 11/07/2013
Sans
faire de l'anti-américanisme systématique, il
faut bien reconnaître que les Etats-Unis continuent
à se comporter comme du temps de la guerre froide,
interdisant de fait à leurs « alliés »
européens de disposer de l'autonomie qui leur serait
nécessaire pour négocier en toute indépendance
et égalité des perspectives de coopération
stratégique avec les pays du BRIC.
Le concept
d'alliance fiable, en diplomatie, relève un peu de
la naïveté. Chaque pays ou groupe de pays, à
travers son réseau d'influences et d'alliances, cherche
à consolider ses possibilités de développement,
que ce soit à court ou à long terme. Les alliances
sont donc d'abord opportunistes. Certaines cependant se révèlent
plus durables, ou fiables, que d'autres. Comment les distinguer
de celles qui le sont moins? Une première réponse
consiste à regarder les forces respectives des partenaires.
On peut d'estimer que les alliances qui ne reposent pas sur
un minimum d'égalité dans les situations initiales,
susceptibles de justifier des convergences durables entre
les partenaires, sont vouées à l'échec.
Plus exactement, il s'agit de pièges dans lesquels
des pays dominants cherchent à enfermer des alliés
plus faibles.
L'histoire
a vu dès la fin de la seconde guerre mondiale années
s'imposer de telles alliances obligées, dirigées
par un grand pays dominant . Ce fut le cas de l'alliance atlantique,
dirigée par les Etats-Unis, à laquelle s'opposait
le bloc des pays du Pacte de Varsovie, sous le contrôle
de l'URSS. Dans les deux cas, les pays européens membres
de ces alliances n'avaient guère de choix: leur rôle
était de renforcer les moyens militaires, économiques
et territoriaux dont avaient besoin respectivement l'Amérique
et la Russie soviétique dans leur confrontation planétaire.
Aujourd'hui, beaucoup d'alliances entre pays ex-colonisés
et pays ex-colonisateurs relèvent de la même
ambigüité. Elles jouent majoritairement au profit
des pays du Nord.
Cependant
depuis une vingtaine d'années, la confrontation brutale
entre deux grands ensembles, à l'Ouest comme à
l'Est de l'Europe, a laissé place à ce que l'on
a nommé un monde multipolaire. La compétition
entre les Etats-Unis et la Russie n'a pas diminuée,
malgré l'affaiblissement relatif de cette dernière,
mais de grands pays dits émergents, refusant en principe
de s'inscrire dans cette compétition bipolaire, sont
apparus: la Chine, l'Inde, et dans une certaine mesure le
Brésil. Sans se rapprocher de façon institutionnelle
et durable, ils tendent de plus en plus à se concerter,
dans le cadre d'une union baptisée BRIC, ou BRICS si
l'Afrique du Sud s'y inclut.
L'Europe
pour sa part, tant au sein de l'Union européenne au
plan politique que dans le cadre d'une Union monétaire
plus réduite autour de l'euro, s'est affirmée
comme un acteur à prendre en considération.
Il s'agit cependant encore malheureusement, selon l'expression
appliquée il y a quelques années à l'Allemagne,
d'un « géant économique » et d'un
« nain politique », dans la mesure ou les pays
européens dans leur ensemble refusent de facto de se
comporter en grande puissance indépendante. Ils n'ont
pas voulu, notamment, s'affranchir de la tutelle des Etats-Unis
et des intérêts financiers transatlantiques dont
ceux-ci sont les représentants.
Quelques
théoriciens politiques européens avaient cependant
pensé que des convergences stratégiques, sinon
des alliances en bonne et due forme, pouvaient rapprocher
certains Etats européens, sinon encore l'Union européenne
dans sa totalité, avec certains membres du BRIC. Par
le terme général de convergences stratégiques,
ou coopérations stratégiques, on désigne
des domaines dans lesquels des accords sectoriels peuvent
avantageusement être décidés entre partenaires,
compte tenu de la nécessité d'affronter en commun,
avec des solutions partagées, les grands enjeux auxquels
les pays intéressés sont confrontés.
C'est notamment entre l'Europe et la Russie, compte tenu de
leur proximité géographique et culturelle, que
de telles solutions avaient paru souhaitables. On avait envisagé
les questions énergétiques, celles liées
à la lutte contre le réchauffement climatique
et pour la biodiversité, voire l'exploration spatiale.
Rien n'empêchait évidemment que la Chine, puis
l'Inde, se joignent à l'étude de ces solutions
communes.
Il aurait
été alors possible de parler d'une convergence
euro-asiatique, dans laquelle chacun des partenaires aurait
apporté ses propres atouts. La géographie, sinon
d'autres raisons, aurait justifié une telle convergence.
En cas de succès, des alliances de plus en plus poussées
auraient pu rapprocher les pays européens de certains
des pays du BRIC. L'Europe aurait pu alors trouver en ceux-ci
des alliés, sinon indéfectibles, du moins de
plus en plus fiables, dans la lutte contre les difficultés
communes.
Or l'expérience
de ces dernières années semble avoir montré
que de tels espoirs étaient vains. Aucun accord sérieux
de coopération stratégique n'a pu être
précisé entre les pays européens et les
membres du BRIC. Certes des dialogues ponctuels existent,
mais d'une façon générale, chacun continue
à jouer son jeu sans accepter une mise en commun d'objectifs
ou de moyens. C'est le cas dans les domaines cités
plus haut, énergie, protection de l'environnement,
spatial. La grande crise financière et monétaire,
qui a secoué le monde entier à partir de 2008,
et qui se poursuit, aurait pu être l'occasion de rapprochement
entre les pays de l'Eurozone et ceux du BRIC, afin d'échapper
ensemble aux fluctuations générées par
la domination du dollar, mais rien de tel ne se précise
encore.
Il n'est
pas nécessaire de chercher loin la raison de ces échecs,
condamnant les perspectives d'un éventuel euro-BRIC.
Sans faire de l'anti-américanisme systématique,
il faut bien reconnaître que Etats-Unis continuent à
se comporter comme du temps de la guerre froide, interdisant
de fait à leurs « alliés » européens
de disposer de l'autonomie qui leur serait nécessaire
pour négocier en toute indépendance et égalité
des perspectives de coopération stratégique.
C'est le cas notamment des relations euro-russes. Tout est
fait par Washington pour continuer à présenter
la Russie comme un adversaire inconciliable, tant au sein
de l'Otan que dans les questions économiques...ceci
même au moment ou de l'avis général, la
Russie a entrepris une évolution vers une société
conservatrice, fortement teintée de religion, certes
nationaliste mais qui pourrait parfaitement s'entendre avec
la civilisation européenne. Il est vrai que la Russie
continue à entretenir des forces armées non
négligeables, dotées de l'arme atomique suprême.
Et cela l'Amérique, dans son délire de puissance,
ne le supporte pas.
Si les
Européens avaient conquis à l'occasion de la
crise actuelle un minimum d'indépendance au regard
des intérêts financiers mondialisé dont
Wall Street est l'épicentre et dont Londres est le
reflet, ils auraient refusé de se laisser dicter des
choix politiques contredisant directement leur souveraineté.
Mais il n'y a plus de De Gaulle parmi eux, même en France.
Partout règne la soumission et le refus d'assumer en
toute indépendance un rôle mondial, notamment
dans les relations avec le BRIC.
De
l'espionnage aux cyber-guerres
On a pu
s'étonner de la persistance d'un tel esprit de démission.
Mais la découverte toute récente de l'emprise
de la National Security Agency sur les gouvernements européens,
découlant de l'affaire dite NSA/Prism/Snowden, devrait
ouvrir les yeux. Il est désormais clair, grâce
à l'héroïsme du lanceur d'alerte Edward
Snowden, que depuis des années la NSA, la CIA, le Pentagone
et plus généralement l'Etat fédéral
américain, connaissaient pratiquement tout des états
d'âme européens à l'égard de l'alliance
euro-américaine. Nos « alliés et amis
» américains étaient donc parfaitement
bien armés pour détecter qui en Europe pouvait
rêver d'indépendance et d'éventuels rapprochements
avec d'autres puissances globales. Les pressions et manoeuvres
directes ou indirectes pour décourager toute tentation
européenne de négocier des accords fussent-ils
limités avec les voisins de l'Est ont sans doute été
permanentes et couronnées de succès.
A la lumière
de ce que l'on soupçonne maintenant, dans la suite
des révélations faites par Edward Snowden, l'on
pourrait sans doute mieux comprendre les obstacles multiples
qu'ont rencontré ceux qui en Europe, hommes politiques
ou industriels, avaient envisagé des convergences avec
les Russes et les Chinois. C'est ainsi notamment que pourraient
s'expliquer les curieuses difficultés rencontrées
par les intérêts économiques allemands
tentés par un rapprochement avec les Russes dans le
domaine de l'énergie ou de l'armement. Tout était
fait dans le même temps, évidemment, pour présenter
aux Russes les négociateurs européens comme
peu fiables, sinon franchement hostiles, finançant
en sous-mains de fumeuses révolutions orange. .
Pour décourager
chez les Européens les tentations de convergences euro-BRICS,
il faut évidemment présenter la Russie et la
Chine, entre autres, comme recélant des nids d'espionnage
politique et industriel. Certes, nul n'a jamais prétendu
que ces puissances n'utilisent pas le renseignement pour acquérir
des compétences aux dépens des Européens.
Mais ceux-ci le font de leur côté. Cependant,
si l'on comparait tâche évidemment impossible
l'intensité de l'espionnage américain,
de tous instants et dans tous les domaines, avec celle de
l'espionnage russe ou chinois, l'on verrait facilement que
les moyens déployés aux détriment des
Européens sont sans proportions.
Comme
si pourtant, la menace de l'espionnage venant des pays du
BRIC ne suffisait pas pour rendre suspecte aux yeux des Européens
la fréquentation des Russes et des Chinois, les stratèges
américains évoquent désormais la cyber-guerre,
définie comme générant des atteintes
via les réseaux numériques à l'intégrité
des entreprises et des Etats. Les destructions massives pouvant
en résulter sont aujourd'hui de plus en plus évoquées
par la propagande américaine pour rendre suspectes
toutes perspectives de coopération euro-BRICS.
Cette
démarche agressive à l'encontre des pays du
BRICS ne s'exerce pas seulement au détriment de la
souveraineté européenne (ou de la souveraineté
brésilienne dans le cas précis de ce pays et
de ses voisins d'Amérique Latine). Elle commence à
s'exercer maintenant au détriment de la paix mondiale,
dans son sens le plus large. C'est ainsi que l'on peut lire
dans la presse officielle américaine de plus en plus
d'articles alarmistes dénonçant la Chine comme
menant, voire en train de gagner, une cyber-guerre contre
les Etats-Unis. Les esprits les plus échauffés
outre-atlantique en viennent à exiger de la part du
Pentagone de véritables ripostes nucléaires,
sans vouloir évoquer les risques immenses pouvant en
découler (voir notre article http://www.europesolidaire.eu/article.php?article_id=1123&r_id=).
Il est clair que dans cette ambiance, toute personne recommandant
en Europe l'amorce de processus de rapprochement euro-BRICS
sera vite présentée comme coupable de haute
trahison.
Nous ne
disons pas ici que les Russes, Chinois et autres membres du
BRICS soient des enfants de choeur. Nous disons seulement
que si les Européens étaient capables de revendiquer
un minimum d'autonomie dans les rapports internationaux, ils
devraient ne laisser à aucune autre puissance tutélaire
le soin de défendre leurs intérêts. S'ils
voulaient vraiment se défendre, ils ne manqueraient
pas de moyens en propre. Mais l'idée même d'une
défense européenne autonome, hors Otan, a déserté
les esprits.
Nous souhaitons
évidemment, ayant soutenu ici le mouvement d'opinion
justifiant la démarche euro/BRIC, que ce diagnostic
pessimiste soit démenti. Mais pour le moment nous n'en
voyons pas l'amorce, tout au moins à une échelle
suffisante permettant à l'Europe de se constituer,
selon la formule, en global leader.
Note
Concernant
les relations USA-Russie, on lira cet article de Edward Lozansky,
président de l'Université Américaine
de Moscou, http://www.spacewar.com/reports/Who_is_afraid_of_the_Eurasian_Union_999.html