Article.
L'"Ubiquitous computing" ou "Tous numérisés"
Jean-Paul
Baquiast 03/06/2013
Nous
écrivions le 3 mars 2013 « Google
glass, un cauchemar de plus »
Le
projet Google Glass est en passe de se concrétiser.
Google compte proposer avant la fin de 2013 des lunettes interconnectées.
Il ne s'agit pas de lunettes de vue, mais d'appareils donnant
à l'utilisateur la possibilité de bénéficier
de différents services "sous le casque",
comme l'on dirait en aéronautique: GPS, accès
aux bases d'informations concernant les objets et scènes
observées, possibilité de filmer et mémoriser
à tous moments les lieux et les personnes, sans évidemment
leur demander leur accord.
Pour Google, il s'agit d'introduire la réalité
augmentée dans la vie quotidienne. Ce serait aussi,
on le devine, la possibilité de généraliser
pratiquement sans limites l'accès aux informations
et données que la firme collecte dans le monde entier,
ainsi que les retombées commerciales qu'elle en tire.
Plusieurs questions restent posées, au- delà
de l'enthousiasme de milliers de « geeks » plus
ou moins mobilisés par Google pour faire sa publicité.
La première et la plus importante concerne la protection
de la vie privée. Chacun pourra filmer ce qu'il voudra
sans autorisations. Cette objection est déjà
faite à l'encontre des projets de drones à usage
civil qui vont semble-t-il se multiplier, notamment aux Etats-Unis
D'autres questions intéressent la santé et la
sécurité: effet des radiations émises
par ces appareils au plus près du cerveau, perturbation
de la vision et fatigue visuelle dues à un usage monoculaire,
distractions imposées aux utilisateurs pouvant provoquer
des accidents, etc.
Google
répond qu'il prend très au sérieux ces
diverses objections, et que les solutions utiles sont ou seront
proposées. On notera cependant que plusieurs collectivités
ou entreprises américaines ont décidé
de prohiber l'usage des Google Glass dans leurs enceintes.
Nous aimerions savoir pour notre part comment les différentes
administrations en charge de ces questions envisagent en Europe,
et a fortiori en France, l'attitude à adopter. La CNIL,
déjà bien affaiblie, y compris par les représentants
de l'Etat, aura-t-elle un mot à dire ?

Aujourd'hui
(juin 2013) la société Google accélère
comme prévu ses efforts pour généraliser
l'usage des Google glass, dont elle fait la promotion à
travers le site Glass (ou Glass Headset)
http://www.google.com/glass/start/what-it-does/
Un nombre croissant d'applications (apps) sont proposées
à partir des travaux de développeurs intéressés
par le produit et les chiffres d'affaire qu'il pourrait générer.
Ceux-ci n'ont eu accès aux spécifications de
Glass que très récemment. La 2e conférence
mondiale des développeurs s'est tenu à San Francisco
le 15 mai. Voir le site https://developers.google.com/events/io/sessions/332704837.
Google les a fortement encouragés à mettre en
place des applications destinées à un public
aussi large que possible, sans trop s'embarrasser dans un
premier temps de considérations relatives à
la protection des libertés individuelles. Google nomme
d'ailleurs ces développeurs des « hackers »,
autorisés par la compagnie à « piller »
très largement les possibilités du produit,
en suggérant sans restrictions de nouveaux usages.
Glass, rappelons-le, consiste en un prisme transparent de
la taille d'un ongle positionné à l'angle droit
du champ de vision du porteur de la lunette. Ce prisme est
relié à un corps comportant un nombre impressionnant
d'appareils complexes jusqu'à présent jamais
mis simultanément à la disposition de l'utilisateur
d'un appareil portable: caméra, capteurs des mouvements
de l'oeil et de divers autres mouvements du corps, accéléromètre,
gyroscope, compas. Il dispose de Wi-fi et peut être
connecté à un smartphone par Bluetooth afin
de bénéficier du positionnement GPS et de données
externes accessibles par des connections 3G ou 4G. Les centrales
de navigation des générations précédentes
d'avions de combat ne disposaient pas d'un tel luxe de dispositifs.
Pour le moment les applications disponibles n'exploitent pas
toutes ces possibilités. Elles se limitent à
l'envoi d'emails et à la prise de photos par commande
vocale. Elles permettent aussi de la même façon
de consulter des titres de presse. Mais les développeurs
ont l'intention de faire du Google Glass un accompagnement
systématique des activités de l'utilisateur,
en leur apportant des valeurs ajoutées multiples. C'est
ainsi qu'un porteur du Glass observant des oiseaux pourra
consulter en temps réel des bases de données
universitaires destinées aux « Bird watchers »,
très répandus aux Etats-Unis. La localisation
de l'utilisateur par son GPS permettra de lui donner accès
aux seuls oiseaux susceptibles de se trouver sur le lieu de
l'observation, plutôt que l'obliger à feuilleter
les centaines de fiches d'un allas traditionnel. De plus il
pourra lire ces données dans le prisme de la lunette
sans cesser pour autant d'observer l'oiseau qui l'intéresse
De même, il devient possible pour un utilisateur d'échanger
les photos qu'il prend avec des amis, tout en recevant en
ligne leurs commentaires. Ceci n'est pas réalisable
avec la caméra d'un téléphone portable,
qui impose nécessairement des ruptures de support et
des délais de réponse. Ces échanges en
temps réel peuvent permettre de décider en commun
de l'achat d'un produit offert par un magasin. Mais elles
rendront possible aussi de multiplier les liens sociaux sur
Facebook. Les « statuts » des titulaires
de compte pourront être enrichis en permanence et en
collaboration grâce à la reconnaissance vocale
et l'échange de vidéos. On peut ajouter que
la prise de photo pourra se faire discrètement. La
commande vocale sera remplacée si besoin était
par un simple clignement d'il.
La reconnaissance des visages qui est également en
cours de mise en place permettra à chacun de mieux
situer les personnes rencontrées, en comparant leur
image à des catalogues d'images préalablement
mémorisées. En médecine d'urgence, il
sera ainsi possible d'accéder au dossier médical
d'un patient hors d'état de décliner son identité.
Ainsi, selon le propos d'un développeur: « Les
utilisateurs de téléphones portables pensent
grâce à ceux-ci être connectés au
monde entier. Qu'ils essayent le Google Glass et ils verront
la différence. Ils seront connectés en temps
réel à l'Internet mondial ».
Sur
ces bases, chacun est désormais encouragé à
faire preuve d'imagination pour mettre en place des « applications
tueuses » ou « killer apps »,
pouvant générer de gros chiffres d'affaires.
Avis aux demandeurs d'emplois..
Google
attire pour le moment l'attention sur son produit Glass, bénéficiant
de son prestige et des bases de données immenses qu'il
a pu mettre en mémoire et qu'il ne cesse d'augmenter.
Mais son exemple sera inévitablement suivi par tous
les industriels et développeurs proposant de nouveaux
matériels portables: téléphones, tablettes,
capteurs divers et variés. C'est le nouvel âge
de ce que l'on nomme d'une façon bien gentille l' « ubiquitous
computing » qui se met en place.
Il n'est pas nécessaire de faire un grand effort d'imagination
pour envisager le nombre des usages illégaux voire
criminels qui seront ainsi rendus possibles, au détriment
des citoyens non avertis et en contravention directe avec
les prescriptions des autorités chargées de
la protection des libertés publiques. Mais, sans grand
effort non plus, on peut imaginer les abus dont des services
ou agences officielles, supposés lutter contre l'insécurité
et le terrorisme, pourront de leur côté se rendre
coupables.
Que faire,
demandera-t-on, pour se protéger, ici en France, des
abus possibles? Rien, la réglementation française
est en pratique inapplicable. La seule vraie solution serait
d'arracher les Glass du visage de ceux de vos voisins qui
les portent.