Technologies
et politique
Education
nationale et redressement industriel. Propositions pour une
convergence. Le cas des tablettes scolaires
par Collectif
27/03/2012

1.
Exposé du problème
Tout grand
marché de consommation intérieure peut servir
de support à un projet industriel favorisant le développement
d'une industrie nationale compétitive. Cela a toujours
été le cas dans le domaine de la défense.
Les commandes de l'Etat correspondant aux spécifications
des forces armées donnent généralement
lieu au développement de produits intéressant
d'autres marchés. En Europe et dans le secteur civil,
de telles pratiques avaient pris de l'importance, notamment
en France, à l'occasion des grands programmes d'infrastructures.
C'est ainsi que, durant les Trente glorieuses, fut créé
sous l'impulsion de l'Etat un important réseau de télécommunications
visant à la fois la satisfaction des besoins des usagers
et la construction d'une industrie nationale puissante.
Cependant,
avec l'établissement dans la suite du Traité
de Rome d'un Marché commun ouvert à la concurrence
de tous les acteurs, de telles pratiques sont devenues pratiquement
impossibles en Europe, tout au moins dans le domaine civil.
Deux facteurs complémentaires les ont découragées,
l'explosion de la globalisation entraînant la disparition
de secteurs nationaux industriels importants face à
la concurrence américano-asiatique, et l'appauvrissement
croissant des administrations publiques leur imposant soit
de renoncer à s'équiper, soit de faire appel
à des produits d'importations vendus à des prix
de dumping.
Aujourd'hui
pourtant, en France, face à la désindustrialisation
et à l'aggravation du déficit commercial résultant
de l'appel aux importations, alors que les besoins des populations
en produits industriels avancés ne cessent de s'étendre,
certains milieux politiques désireux de s'opposer à
l'expansion sans fin du néo-libéralisme commencent
à se demander s'il ne serait pas possible que l'Etat
intervienne afin que l'équipement des grands administrations
puisse bénéficier de façon privilégiée
à des industriels nationaux (ou européens) qui
feraient l'effort de développer des produits innovants
correspondant aux besoins de ces administrations.
Ce pourrait
être notamment le cas en ce qui concerne les équipements
nécessaires à la réforme en profondeur
des pratiques de l'éducation nationale. Celle-ci découlera
inéluctablement d'une utilisation massive, par les
enseignants et les élèves, des nouvelles technologies
de la formation en réseau. Un premier pas en ce sens
est déjà engagé. Il consistera à
généraliser en moins de 10 ans les liaisons
dites de Très Haut Débit, afin de couvrir les
besoins de communication de l'ensemble des établissements,
des enseignants, des élèves et éventuellement
des familles.
Les opérateurs de télécommunication travaillant
en France, ainsi que les collectivités locales, devraient
pouvoir profiter de la réponse aux besoins de l'Education
Nationale pour mettre en place des services à très
haut débit jusqu'à l'abonné final, permettant
à la France de rattraper le retard qu'elle avait pris
dans ce domaine. Ainsi s'établirait une convergence
entre les demandes et les offres, bénéficiant
en priorité aux acteurs nationaux (européens).
Le Très Haut Débit sera principalement offert
en fibres optiques, ainsi que le cas échéant,
dans les zones difficiles à câbler, par des satellites
de nouvelle génération (voir table-ronde
du 13/12/2012, Vincent Peillon et Fleur Pèlerin
présentent la stratégie pour le numérique
à l'école, ainsi que les décisions ultérieures).
Mais les
réseaux à Très Haut Débit n'ont
d'intérêt que si les diverses catégories
d'utilisateurs de l'Education Nationale adoptent des matériels
et des pratiques permettant de bénéficier des
nouveaux services offerts. Ces utilisateurs se comptent en
centaines de milliers, sinon en millions. Ils représentent
ainsi un marché qui pourrait permettre à des
industriels européens de fournir des produits à
la fois performants et économiques. Encore faudrait-il
qu'une politique publique délibérée permette
de rapprocher, sur plusieurs années, l'évolution
des besoins et celles de l'offre. Ce qui n'est pas possible
actuellement, chaque établissement voire chaque enseignant
recherchant lui-même sur le marché globalisé,
les produits qu'il juge nécessaires: micro-ordinateur,
« tableau blanc interactif » et désormais
« tablettes ». Ce sont alors, par facilité,
des produits asiatiques qui sont sélectionnés,
sans bénéfice aucun pour les industriels européens.
2.
Le créneau des "tablettes"
On considèrent
généralement que les tablettes (dites tablettes
scolaires ou tablettes tactiles) sous la forme actuelle ou
dans les versions qui succéderont, représentent
l'outil qui a le plus grand avenir. Elles rencontrent actuellement
un grand succès (voir Eduscol).
Ces tablettes seraient donc le produit qui serait le plus
utile à développer et réaliser en France,
avec des industriels français (européens) fussent-ils
associés d'une façon qui ne serait pas déséquilibrée
avec des industriels d'autres parties du monde. Cette démarche
serait d'autant plus utile que les composants des tablettes
pourraient se retrouver dans de nombreux matériels
portables utilisés dans des domaines voisins: médecine
et télémédecine, capteurs intelligents,
robotique à bas coût. L'offre en matière
de tablettes doit par ailleurs inclure tous les services de
mise à disposition et de maintenance qui ne sont pas
à la portée des utilisateurs finaux.
En matière d'éducation, les tablettes ou outils
s'en rapprochant (liseuses) n'ont d'intérêt pratique
qu'en fonction des logiciels d'application dont elles sont
dotées. On considère généralement
de plus en plus que la production de ceux-ci et leur maintenance
n'incombe pas aux industriels fournisseurs du matériel,
mais à des entreprises de logiciels ou à des
coopératives d'utilisateurs travaillant de préférence
sous le régime du logiciel libre. Celui-ci présente
de nombreux avantages: diminuer les coûts, faire participer
les utilisateurs finaux à la définition des
programmes, constituer des communautés vivantes associant
des enseignants, des élèves et des développeurs
professionnels. Il a été noté que les
économies permises par la production en open source
et libre service des logiciels permettraient généralement
de doter l'enseignement de tablettes et autres matériels
nus, autrement dit rendraient possible sans dépenses
excessives un vaste plan d'équipement financé
par l'Etat. Sur ce point, mentionnons la nécessité
de mettre au point des logiciels et outils permettant l'accès
des handicapés.
Est-il
utile de préciser qu'une politique industrielle visant
à développer une filière "tablette"
ne devrait pas signifier que de tels outils devraient se substituer
partout et en permanence aux méthodes et outils d'enseignement
classiques, manuels et cahiers notamment. Elle devra par ailleurs
rester évolutive, de façon à intégrer
tous les nouveaux matériels et usages qui ne manqueront
pas d'apparaître, dans des secteurs où l'évolution
technologique est très rapide. Nous pourrions évoquer
à cet égard les robots éducatifs, peu
connus en France mais de plus en plus répandus dans
des pays asiatiques.
Cependant
comment produire rapidement un million et demi de tablettes
tactiles à 60 euros l'unité ?
Là
est le défi. Un faible coût permettra de mettre
en place un large marché d'utilisateurs. Celui-ci en
contrepartie permettra de diminuer les coûts d'investissement,
de production et de maintenance. Mais une tablette à
60 euros (estimation approximative) n'aura d'avenir que si
elle offre des performances analogues à celles de matériels
plus chers, produits en bien moins grand nombre.
La solution
venant spontanément à l'esprit serait, comme
rappelé ci-dessus, de faire appel en ce qui concerne
les matériels à un pays tel que la Chine, en
principe capable de concilier fabrication en grande série,
faibles coûts et qualité des divers composants.
Mais l'objectif évoqué dans le titre de cette
note, assurer une convergence entre une politique de modernisation
de l'éducation et une politique industrielle capable
de faire produire en France (Europe) les technologies éducatives
correspondantes, serait manqué.
2.1.
Une maîtrise d'ouvrage publique
Pour éviter
cela, il conviendrait que les pouvoirs publics mettent en
place une maîtrise d'ouvrage ambitieuse, capable de
sélectionner, en parallèle avec l'étude
des besoins par le milieu éducatif, les entreprises
françaises (européennes) susceptibles de piloter
la conception, la fabrication, la distribution et la maintenance
des matériels requis.
Il faudra
enfin que cette politique d'ensemble reste globalement compatible
avec les engagements internationaux du pays en matière
d'ouverture des marchés et de concurrence, notamment
à l'OMC, afin de ne pas se faire attaquer par des concurrents
évincés et susciter des mesures de rétorsions
excessives.
Tout ceci
nécessitera des décisions gouvernementales conjointes
et une bonne coopération de la part des ministères
concernés, Education Nationale, Redressement Industriel
et Economie numérique, notamment. Pour le moment, il
faut regretter que l'esquisse d'une telle politique n'apparaît
pas. Il s'agit d'un des défauts des pouvoirs publics
français: la difficulté de passer à l'acte
en application des séduisants discours
2.2.
Des fournisseurs français (européens)
Nous n'entrerons
pas ici dans le détail des composants et des types
de fournisseurs qui pourraient être mobilisés
au service de la politique envisagée. On se bornera
à donner quelques références de choix
possibles en matière de tablettes. Par ailleurs nous
n'évoquons pas ici l'ensemble des processus qui seront
nécessaires pour développer des logiciels pédagogiques
coopératifs adaptés à ces dernières,
car il ne s'agit plus de politiques industrielles au sens
strict, mais de politiques associant étroitement des
développeurs du secteur éducatif et des développeurs
privés. Rappelons cependant, comme il a été
indiqué ci-dessus, que les économies permises
par la mutualisation de logiciels libres permettront en grande
partie de financer le coût des matériels.
Pour produire
une tablette tactile il faut: