Biblionet
Regenesis.
How synthetic biology will reinvent nature and ourselves
George
Church et Ed Régis
Présentation et commentaires par Jean-Paul Baquiast
20/01/2012
George
Church est professeur de génétique à
la Harvard Medical School, Directeur de PersonalGenomes.org,
qui rassemble des personnes volontaires pour mettre
en libre accès, à des fins de recherche,
les données provenant d'une analyse approfondie
de leurs génomes. Son PhD obtenu à Harvard
en 1984 comportait les premières méthodes
permettant de séquencer directement les génomes.
Il en est résulté une initiative visant
à commercialiser le génome d'un pathogène
(le Helicobacter pylori) en 1994 .
Ses
innovations portant sur ce que l'on nomme la seconde
génération d'analyse et de synthèse
des génomes et des cellules et tissus correspondants
ont conduit à la création de 12 compagnies
commerciales offrant des services dans la génomique
médicale ( Knome, Alacris, AbVitro, GoodStart,
Pathogenica ) et la biologie synthétique ( LS9,
Joule , Gen9, Warp Drive ). Il participe à la
définition de politiques publiques nouvelles
en matière de protection de la vie privée,
bioprotection et biosécurité.
Il
est directeur du National Institutes of Health Center
for Excellence in Genomic Science http://ccv.med.harvard.edu/
qui étudie les meilleures méthodes permettant
d'intervenir à des fins thérapeutiques
sur le génome humain
Pour
en savoir plus
* Page personnelle http://arep.med.harvard.edu/gmc/
*
Wikipedia http://en.wikipedia.org/wiki/George_Church
|

iGEM
2010 à Harvard, avec l'auteur. Voir l'article et le
lien
http://openwetware.org/wiki/IGEM:Harvard/2010
La
thèse développé par les auteurs, comment
réinventer la nature et l'homme lui-même, est
devenue courante aux Etats-Unis, au moins chez les scientifiques,
beaucoup moins en Europe. Elle y heurte, outre le retard technologique
encore trop fréquent, d'innombrables préjugés
d'ordre religieux et même politiques. Il suffit de laisser
entendre que l'on aborde la question des organismes génétiquement
modifiés (OGM) pour se faire accuser de parler au nom
des semenciers industriels, tels Monsanto, lesquels s'efforcent
d'imposer leurs produits à l'ensemble du monde agricole.
Nous retrouverons
dans le cadre de cet article la question très importante
largement abordée dans le livre: comment commercialiser
les produits de la recherche génétique sans
mettre en péril les droits des individus et plus généralement
le libre accès aux ressources scientifiques. Disons
que George Church a durant toute sa carrière voulu
selon nous avec succès - concilier ces deux
exigences. Si effectivement il convient de lutter contre les
entreprises (et dans certains pays les gouvernements) qui
voudront monopoliser le domaine de l'ingénierie génétique
au service de leurs stratégies, il convient bien plus
encore de prendre conscience de la véritable révolution
scientifique et sociétale qui est en cours sous ce
nom, afin d'encourager les acteurs qui s'y investissent.
Regenesis,
le livre dont George Church est le principal auteur, constitue
à cet égard un véritable révélateur,
y compris d'ailleurs aux Etats-Unis où les milieux
conservateurs, principalement religieux, lui opposent une
vive résistance. En France, nous pouvons avancer sans
risque que sa lecture (à supposer qu'il soit rapidement
traduit) constituera une véritable découverte.
Même à ceux qui, comme nous, pensent que deux
révolutions majeures se produisent actuellement en
science, la robotique autonome et la biologie synthétique,
le livre apporte un grand nombre de références
et de sujets de réflexion sur ce dernier sujet qui
n'étaient pas disponibles avant lui, au moins sous
une forme aussi synthétique et disons le
agréable à lire. Sur ce dernier plan, la culture
scientifique de l'auteur est considérable mais il sait
aussi rendre attrayants les sujets les plus complexes. Même
sans traduction, hors les passages techniques, le livre est
tout à fait lisible, sans exiger une anglophonie poussée.
La grande
idée qui inspire l'ouvrage est relativement simple.
Elle est en voie de démonstration dans un nombre de
plus en plus grand de pays. Elle est d'ailleurs de plus en
plus discutée, sans que cela soit nécessairement
à bon escient, le cas de Monsanto dominant les débats.
Résumons là en une phrase: il est désormais
possible, non seulement d'analyser les gènes (ADN)
d'un nombre exponentiel d'espèces, allant du virus
à l'humain, mais aussi de modifier ces gènes
afin d'obtenir de nouveaux organismes. Ce processus est devenu
courant dans les laboratoires spécialisés. Appliqué
aux bactéries, il commence à produire des retombées
intéressantes, en termes commerciaux mais aussi de
santé publique. Des protéines susceptibles d'usages
médicaux ou industriels peuvent être produites,
à des échelles devenant suffisantes pour être
exploitables.
La
première difficulté à résoudre
consistait à analyser l'ADN et son partenaire dans
la vie cellulaire, l'ARN. Quant on sait qu'il s'agit de chaines
de composés chimiques, les nucléotides 1), présents
par milliers à l'état moléculaire, c'est-à-dire
à l'échelle de l'atome, au sein d'organismes
microscopiques, les cellules et même les virus 2) on
mesure l'exploit correspondant. Ce travail a été
entrepris et réussi dans les années 1980 grâce
aux travaux sur l' Arabidopsis thaliana. Cette plante
présente un petit génome de cinq chromosomes,
dont l'ADN a été entièrement analysé
en 2000. L'arabidopsis est devenue un organisme modèle
utilisé dans la communauté scientifique pour
les études génétiques et de biologie
moléculaire.
Depuis
lors, les génomes d'un nombre considérables
d'organismes ont été séquencés,
avec des méthodes de plus en plus industrielles. Le
mouvement a pris une grande importance avec la démarche
que nous avons ici commentée dans plusieurs articles,
le Human Genome Project. George Church s'est beaucoup
impliqué personnellement dans le développement
de ce grand projet multinational. Il a pris dans ce cas des
positions beaucoup plus ouvertes et moins « propriétaires »
que celles défendues par Craig Venter. Ce dernier,
au moins en France, est beaucoup plus connu que George Church,
mais cela tient selon nous au bruit médiatique que
Venter sait organiser autour de lui.
Bien évidemment,
mettre en évidence et répertorier de grandes
catégories de séquences de nucléotides
ne constitue qu'un premier pas. Pour comprendre à quoi
correspondent ces éléments, il faut les analyser
un par un, ce qui représente un énorme travail
même si une grande partie de ces éléments
dits junk ou poubelle, ne semblent plus en usage dans
les organismes d'aujourd'hui. Autrement dit, il faut interpréter
les génomes, montrer à quoi correspondent leurs
éléments, notamment concernant la synthèse
des protéines intervenant dans la reproduction et le
fonctionnement, d'abord de la cellule, ensuite de l'organisme.
Ceci n'avait avant les années 2000 été
entrepris qu'à très petite échelle, dans
la perspective d'analyser en priorité les anomalies
génétiques facilement identifiables produisant
des conséquences pathologiques. Là encore cependant
l' « industrialisation » des démarches
permet aujourd'hui de constituer des bases de données
génétiques recensant les éléments
progressivement découverts, afin de faciliter de nouvelles
recherches. Le rythme de développement serait selon
les experts égal à celui défini par la
Loi de Moore concernant les capacités des semi-conducteurs
électroniques.
Des
mutants
Mais que
faire de tout ceci? Là se pose la grande question,
sur laquelle George Church s'étend longuement. L'objectif
a d'abord été de modifier l'ordre des composants
de l'ADN d'un organisme, afin d'obtenir de véritables
mutants. Cette démarche est désormais entreprise
à grande échelle, concernant des bactéries
telles qu' escherichia coli ou autres analogues, se
reproduisant facilement et peu exigeantes en nutriment. Une
grande partie de ce que l'on nomme désormais le filon
des biotechnologies consiste à produire de nouveaux
composés ayant un valeur thérapeutique ou économique
à partir de telles bactéries dont le génome
a été modifié en ce sens. La recherche
s'intéresse ainsi de plus en plus aux bactéries
et microorganismes utilisant la lumière solaire pour
synthétiser des produits organiques à partir
du CO2 et de l'eau. L'objectif est, entre autres, d'obtenir
des biocarburants n'obligeant pas à mobiliser des terrains
agricoles.
Dans un
second temps, l'objectif est devenu plus ambitieux: créer
des organismes multicellulaires complexes, dotés d'un
génome entièrement construit, soit à
partir d'éléments prélevés dans
des ADN biologiques et assemblés autrement, soit à
partir de composants élaborés sur le mode de
l'ADN mais provenant de la chimie organique. Le vocabulaire
n'est pas encore fixé complètement. On parle
cependant dans le premier cas de biologie artificielle et
dans le second cas de biologie synthétique.
Pour que
dans tous ces cas les procédures proposées puissent
être menées à l'échelle industrielle,
c'est-à-dire traiter des millions ou centaines de millions
de nucléotides, il faut mettre au point des machines
économiquement abordables et éliminant le maximum
d'erreurs susceptibles de rendre les produits finaux inutilisables.
Il semble à le lire que George Church ait joué
un rôle très important dans la conception et
le développement de telles machines. L'industrialisation
n'en est encore cependant qu'à ses débuts, un
peu comme l'était la machine à vapeur de James
Watt au début de l'ère industrielle.
Mais pour
quoi faire? Les objectifs peuvent être très divers.
Résumons les principaux:
obtenir des chimères végétales
ou animales dotées de caractères facilitant
leur adaptation à des changements de l'environnement
(par exemple le changement climatique ou l'épuisement
de certaines ressources) ou bien créer des espèces
dotées de caractères nouveaux leur permettant
d'aborder avec succès de nouveaux biotopes.
- inventer
de nouvelles espèces totalement inconnues à
ce jour, en favorisant systématiquement les mutations
au hasard susceptibles de faire apparaître des mutants
dotés de propriétés inattendues et possiblement
très favorables. Dans les deux cas, c'est ce qu'a réalisé
tout au long des millénaires le phénomène
darwinien de la mutation-sélection naturelle. La biologie
synthétique vise à obtenir ces résultats
dans des délais infiniment plus courts et le cas échéant
à plus grande échelle.
-
redonner vie à des espèces disparues dont une
partie de l'ADN a pu être récupérée.
Le mammouth laineux de Sibérie suscite beaucoup d'espoir.
On a parlé aussi de ressusciter le néanderthal.
George Church lui-même, intentionnellement ou non, a
créé ces derniers jours un malentendu. Certains
média avait laissé entendre qu'il cherchait
une homo sapiens aventureuse pour porter l'embryon
d'un homo aussi proche que possible d'un néanderthalien.
L'objectif n'est sans doute pas hors de portée, mais
pour le moment il est loin d'être envisageable. Church
n'avais jamais rien prétendu de tel.
- modifier
enfin, de façon plus ou moins étendue, le génome
reproductif de ce que l'on nomme encore l'espèce humaine.
Ceci se fait déjà à petite échelle,
lorsque par exemple les humains sélectionnent leurs
conjoints à partir de certains traits génétiquement
déterminés, ou lorsque l'examen pré-implantatoire
des embryons vise à éliminer ceux dotés
de gènes transmissibles porteurs de maladies héréditaires.
La médecine, notamment aux Etats-Unis, recommande par
ailleurs d' « humaniser » des gènes
de rats ou souris afin de les rendre utilisables sans rejets
dans des greffes thérapeutiques chez l'homme.
Mais a
priori rien n'interdit d'aller plus loin et de construire
artificiellement des parties de génomes ou génomes
humains porteurs de caractères que pour des raisons
diverses, leurs géniteurs, ou la société,
voudraient voir se répandre. Le premier objectif pourrait
être d'allonger la durée de la vie.Ces modifications
s'accumulant pourraient donner naissance à des individus
très différents physiquement et neurologiquement
des hommes actuels. On parlera de « trans-humains »
ou « post-humains ». Rien n'obligera
cependant à ce qu'ils soient conçus comme incapables
de se reproduire avec les hommes actuels, ce qui marquerait
en effet alors l'apparition d'une nouvelle espèce.
George
Church fait preuve d'un certain courage en affichant publiquement
que pour lui, de telles actions, visant à modifier
et si possible améliorer l'espèce humaine, devront
être entreprises dès qu'elles seront envisageables
sans dommages collatéraux. Tout évidemment ne
sera pas possible par la voie génétique. Il
faudra aussi modifier l'environnement social et culturels
des phénotypes et génotypes, compte tenu des
contraintes de mieux en mieux étudiées aujourd'hui
imposées par l'épigénétique, c'est-à-dire
l'interaction des sujets avec leur milieu.
A cet
égard le développement concomitant, dans le
cadre de la révolution scientifique en cours, de la
robotique autonome fera apparaître des systèmes
artificiels plus ou moins proches de l'humain. Ceux-ci pourront
entrer en symbiose avec les humains génétiquement
modifés, au sein de systèmes que nous avons
qualifié d'anthropotechniques. Robotique autonome et
biologie synthétique apparaissent ainsi comme les deux
volets qui, bien utilisées, pourraient assurer la survie
de nos civilisations dans le monde de demain y compris
éventuellement sur d'autres planètes.
L'iGEM
Nous partageons
pour notre part l'optimisme et le désir de découverte
qui anime George Church. C'est une des raisons pour laquelle
nous recommandons vivement la lecture et la discussion de
son livre. Mais il est bien d'autres raisons de s'en inspirer,
notamment parce qu'il fournit un grand nombre de précisions
techniques que pourront utiliser les chercheurs et les entreprises
visant de ce point de vue à développer les méthodes
encore un peu artisanales de l'ingénierie génétique.
Dans ce
domaine, comme nous l'indiquons dans un article présentant
un projet européen visant à utiliser l'ADN de
synthèse comme une mémoire de masse bien plus
efficace que les composants électroniques (http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2013/133/adn.htm),
le système scientifico-économique américain
a fait merveille. Provenant notamment du MIT, dont George
Church est issu, un véritable milieu écologique
darwinien d'entreprises associant des chercheurs et des industriels
a vu le jour. Les échecs sont nombreux, mais l'ensemble
continue à prospérer.
Une véritable
révolution culturelle se dessine ainsi, associant chercheurs,
promoteurs de produits nouveaux, étudiants et même
collégiens. Les Européens s'efforcent cependant
d'entrer dans la bataille. Régulièrement, des
publications annoncent des développements prometteurs.
Si les Etats européens à la recherche de croissance
s'y intéressaient vraiment, ils trouveraient là
des occasions nouvelles pour créer des compétences
et finalement de l'emploi en Europe même.
D'ores
et déjà existent aux Etats-Unis depuis plusieurs
années des concours inter-universitaires et inter-entreprises
visant à sélectionner et financer des projets
innovants dans le domaine de la biologie artificielle et synthétique.
Le plus important et le plus couru est dit iGEM, pour Intercollegiate
genetically engineered machines, inauguré en 2004
3). De nombreux établissements d'enseignement y présentent
des projets. George Church signale que le gagnant d'un des
dernier challenges était une équipe provenant
de la Slovénie. La liste qu'il donne des nombreux sujets
abordés, que l'on retrouvera à partir du site
web de l'iGEN, est impressionnante. Même si tous les
projets entrepris n'aboutissent pas, la démarche montre
que cette discipline est dorénavant du domaine des
réalités dont les décideurs devront tenir
compte. Les participants s'accordent sur la nécessité
de contrôler la dissémination des nouveaux organismes
pouvant résulter de leurs travaux. Mais les critiques
de cette démarche pensent que ce contrôle sera
de fait impossible.
Il serait
facile de terminer cette présentation trop courte d'un
ouvrage remarquable par des considérations politico-philosophiques
oiseuses sur les risques plus globaux que courront nos sociétés
en s'engageant dans les directions décrites. Ces risques
en tous cas ne sont pas plus grands que tous ceux découlant
des progrès technologiques et scientifiques en général.
Disons
qu'en matière de biologie synthétique comme
en d'autres domaines sensibles, pour éviter les abus
pouvant provenir d'entreprises capitalistes à la recherche
de profits faciles, ou à l'opposé d'une monopolisation
des recherches par des agences finançant la défense,
en dehors de tout contrôle démocratique, la vigilance
citoyenne s'impose, guidé par le sens de l'intérêt
collectif et la définition d'un cadre législatif
minimum. Mais la vigilance repose en premier lieu sur une
bonne information, d'où l'intérêt de ce
livre.
Notes
1)
Nucléotides. Wikipedia http://fr.wikipedia.org/wiki/Nucl%C3%A9otide
2) Le virus ne possède qu'un seul type d'acide nucléique
(ADN ou ARN). Il ne peut se répliquer qu'en pénétrant
dans une cellule
3) iGEN http://openwetware.org/wiki/IGEM
Voir
aussi :
* Regenesis. Le premier livre encodé en ADN. Article
du Time http://newsfeed.time.com/2012/08/20/the-first-book-to-be-encoded-in-dna/
* Franck Delaplace: un point de vue sur la biologie synthétique.
Franck Delaplace est directeur adjoint du laboratoire IBISC
(Université d'Evry / ENSIIE / Genopole). http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/audio-franck-delaplace-la-biologie-synthetique-30829.php