Interview.
Gérard Payen. Problèmes relatifs à la
fin de vie
08/01/2013
Le
Docteur Gérard Payen est président d'honneur
de l'ADMD (Association pour le droit de mourir dans la dignité),
après en avoir été président.
Automates
Intelligents (AI). Cher Gérard Payen, merci d'avoir
bien voulu évoquer pour nos lecteurs, à la veille
de changements législatifs pouvant être importants,
comment vous aviez conçu le rôle de l'ADMD (Association
pour le droit de mourir dans la dignité) et votre rôle
au sein de celle-ci.
Pour commencer, pouvez vous nous rappeler selon quels axes
a été menée votre réflexion?
Gérard
Payen (GP). La mort est le seul élément
fondamentalement égalitaire entre les humains
mais pas la manière dy parvenir. Il existe une
inégalité biologique indépendante de
laction humaine: ceux qui meurent brutalement au cours
dune activité ou dans leur sommeil et ceux qui,
largement majoritaires, meurent après de longues et
douloureuses maladies.
Pour ces
derniers, apparait une inégalité supplémentaire
en rapport avec laide que les hommes peuvent leur apporter
en fin de vie.
Cest
pour tenter daméliorer ces injustices et finalement
en se référant à la devise
républicaine :Liberté - Egalité
Fraternité que je me suis engagé au coté
de l ADMD « Association pour le droit de mourir
dans la dignité ».
Cette
association, depuis sa création en 1981, défend
trois buts :
- La lutte contre la douleur
- La lutte contre lacharnement thérapeutique
- Le droit pour tout citoyen qui le demande dune manière
claire et réitérée, de choisir sa mort,
pourpréserver ce quil estime être sa dignité;
cela, quand il se trouve en état de grande dégradation
et quand les moyens médicaux ne permettent pas une
espérance damélioration notable .
Les premiers
objectifs furent formulés avant que napparaisse
le concept de soins palliatifs qui recouvre le même
but : améliorer le confort du patient en fin de vie.
Nous sommes donc en faveur des soins palliatifs, leur extension
et leur amélioration de manière à ce
que chacun puisse y accéder Or ce nest absolument
pas le cas actuellement. En complément des services,
il est essentiel de développer un esprit de soins palliatifs,
de lutte contre la douleur, lequel peut être réalisé
par chaque médecin pour chacun de ses patients.
Sur ce
point, depuis trente ans , une amélioration nette des
mentalités a été constatée mais
le travail nest pas achevé.
La lutte
contre lacharnement thérapeutique a également
bien progressé : les réanimateurs coupent les
flux vitaux quand il ny a plus despoir, mais les
problèmes demeurent, dramatiques, quand il sagit
de patients avec une espérance de vie physiologique
de plusieurs années mais dans un état très
dégradé assimilant leur vie à un long
calvaire (maladies génétiques, neurologiques,
dégénératives, séquelles daccident,
etc
)
Cela nous
conduit à la discussion du troisième objectif,
non encore atteint: la place de la décision du patient
dans les états dégradés ou terminaux.
AI:
Le Comité consultatif national déthique
et de nombreuses commissions se sont
penchées sur ces problèmes. Une loi dite «
Leonetti » a été votée en avril
2005. Quen est-il maintenant et dans la réalité
quotidienne ?
GP.
Le Comité consultatif national dEthique a en
effet ouvert une brèche en reconnaissant la possibilité
de faire entrer dans le droit français « une
exception d euthanasie ». Le temps a passé
et les mentalités ont évolué, favorisées
par des personnalités politiques telles que M. Douste-Blazy,
Mme Weil, M. Kouchner.
La Loi
Leonetti a prétendu sattaquer au troisième
objectif mentionné ci-dessus: comment gérer
la situation quand le patient demande que sa vie soit arrêtée
alors que celle-ci est devenue un calvaire sans espoir damélioration
? Quun point fondamental soit tout de suite précisé
: cette question ne se pose que pour un patient qui la
exprimée, de manière réitérée
et lorsqu'il est en situation critique.
Mais alors
que se passe-t-il si le patient n est plus en état
de s exprimer, ou si sa parole na plus de valeur
incontestable ( phase terminale d un AVC ou dune
maladie dAlzheimer) ?
La Loi
reconnait la désignation d une personne de confiance,
choisie en toute responsabilité par le patient. Ce
sera elle qui, prolongeant la pensée du patient, parlera
à sa place.
La Loi
Leonetti:
- Reconnait donc la parole de la personne de confiance
- Donne une valeur « aux directives anticipées
»
- Permet au médecin d arrêter toute thérapeutique
si le patient le demande, y compris lalimentation ou
lhydratation, ce qui peut amener à des situations
ubuesques : cest le « laisser mourir »
- Permet au médecin de soulager la douleur, même
si cette thérapeutique abrège la durée
de vie, mais seulement après en avoir informé
le patient - ce qui peut être particulièrement
« délicat » à réaliser dans
la pratique.
Cette
loi confirme donc des avancées incontestables mais
largement insuffisantes, sarrêtant au milieu du
gué et laissant le patient dans une situation souvent
intolérable.
Elle souffre
en effet structurellement de nombreux défauts :
- Sa large possibilité dinterprétation
fait que, bien appliquée, elle peut soulager quelques
cas. Maiselle peut être totalement détournée
de son objectif théorique. Tout à cet égard
dépend de létat desprit du service
hospitalier soignant ( 80% des français meurent à
l hôpital, 20% au Bénélux ).
- Sa grave hypocrisie qui répond par un arrêt
du traitement, par un laisser mourir à la demande dun
patient, le faisant, de fait, entrer en agonie. Certes, lagonie
est théoriquement aménagée mais ce nest
pas toujours techniquement réalisable. Tout cela pour
ne pas assumer la décision darrêter la
vie avec un geste médicalement simple. Au prix de cette
hypocrisie, le serment dHippocrate est sauf ainsi que
la bonne conscience de certains croyants.
- Surtout cette loi omet de dire que la voix du patient est
décisionnaire; actuellement elle nest que consultative.
Or ce patient est encore un citoyen et le fait quil
soit en fin de vie ne devrait pas entrainer une occultation
de sa parole et de sa capacité à décider
de sa vie
- Enfin la communication auprès du corps médical
a été largement insuffisante, permettant à
certains médecins de feindre lignorance pour
ne pas appliquer les aspects positifs de cette loi .
AI:
Que souhaitez-vous pour améliorer cette situation
?
Nous souhaitons
le vote dune nouvelle loi claire qui fasse respecter
lexpression et la volonté de ceux qui sont les
plus faibles. Trois principes devraient s'appliquer:
Liberté.
Liberté de choisir sa mort et que la voix du patient
ou de sa personne de confiance devienne décisionnaire
face au pouvoir médical. Liberté de conscience
pour les médecins qui ne voudraient appliquer la volonté
du malade, mais obligation pour eux de désigner un
autre médecin.
Egalité
devant la mort, car chacun sait que les personnes disposant
d'un pouvoir, politique ou économique, peuvent si elles
le désirent, détourner la loi et obtenir une
mort douce en France, ou légalement en Suisse (les
lois Belge et Néerlandaise qui autorisent laide
médicalisée sont en effet réservées
à leurs ressortissants). Egalité aussi en cas
dhospitalisation grâce à une loi qui ne
permette plus dappréciation variant selon l
opinion des médecins .
Fraternité
humaine: tout médecin a vocation à soigner,
guérir,améliorer la vie de son patient, mais,
dans des conditions exceptionnelles, et précisément
définies il peut être amené à donner
la mort, pour soulager son patient de tourments intolérables
et irréversibles.
AI:
Qu'en est-il de l assistance au suicide ?
En France,
le suicide est autorisé par la loi, mais pas laide
au suicide. Celle-ci est lourdement condamnée, à
la suite de la circulaire Dailly-Barrot. Ce nest pas
le cas en Suisse, ce qui permet la réalisation de fins
de vie plus douces.
Daprès
le rapport de la commission Sicard, on pourrait sorienter
vers une aide médicalisée en fin de vie dans
un cadre très strict précédemment défini.
Le patient aurait alors à disposition une dose léthale
quil devrait sadministrer seul, sans accompagnement
médical. On se rapprocherait ainsi de la loi de lEtat
américain de lOrégon.
De toute
manière, la loi Leonetti doit être améliorée
et ce sujet devrait faire l objet d une
discussion parlementaire au printemps prochain.
Comme
le souligne le philosophe André Conte-Sponville, «
le respect de la décision du patient sur sa propre
vie nest pas un problème médical, pas
un problème déthique, mais un problème
de courage politique ».
Il convient
donc de poursuivre une action déterminée pour
quenfin, l homme garde la maitrise de sa vie jusquau
bout de sa vie.
Pour
en savoir plus
* Loi
2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades
et à la fin de vie. JORF 23 avril 2005.
* Le site de l'ADMD http://www.admd.net/