Article.
A l'origine des premières structures non-biologiques
réplicatives
Jean-Paul
Baquiast 17/01/2013
Nous avons
indiqué que le biophysicien Peter Hoffmann s'interroge
longuement dans son livre (Life's Ratchet, voir notre chronique
http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2013/133/hoffmannbis.htm)
sur les conditions ayant permis l'apparition sur le jeune
Terre, il y a plus de 4 milliards d'années des premières
structures chimiques complexes dotées des caractères
qui permettront plus tard le développement de la vie.
Parmi ces caractères figure notamment l'aptitude à
la réplication, réplication à l'identique
mais aussi réplication avec des erreurs permettant
éventuellement l'apparition de mutations adaptatives.
La science actuelle n'apporte toujours pas de réponses
convaincantes à cette question, malgré les efforts
faits notamment par la biologie synthétique pour créer
des organismes prébiotiques artificiels. Il est clair
que si cette question recevait des réponses scientifiques,
d'innombrables perspectives s'ouvriraient, non seulement pour
une meilleure compréhension de la vie elle-même,
ou pour son artificialisation, mais pour la recherche d'autres
formes de vie dans l'univers.
Pour Hoffmann,
rappelons-le, l'apparition de structures biologiques réplicatives
est quasiment obligée sur des planètes présentant
des caractères proches de celles régnant ou
ayant régné sur la Terre. Au sein de ce qu'il
appelle le chaos moléculaire résultant de la
généralisation des premiers atomes complexes,
l'introduction d'énergie résultant du choc avec
les photons lumineux ne pouvait que provoquer la mise en place
de nouveaux liens chimiques participant à l'apparition
des précurseurs des moteurs moléculaires indispensables
au fonctionnement des cellules actuelles. Ces « moteurs »,
tels que l'actine et la myosine, permettent aujourd'hui la
mobilité caractéristique de la vie. D'autres
tout aussi importants sont liés à la construction
des membranes cellulaires, à l'acquisition de nutriments
(ATP), à la reproduction de l'ADN et à la fabrication
des protéines au sein des ribosomes, à partir
de l'ARN. Pour cet auteur, l'évolution des premières
molécules complexes non encore biologique, protéines
ou lipides, sous l'influence de contraintes naturelles relevant
du hasard et de la nécessité, a demandé
des centaines de millions d'années avant que ne s'imposent
des structures capables de réplication, première
caractéristique par laquelle on reconnaît la
vie.
Les
graisses à l'origine de la vie ?
Or peut-être
n'est-il pas nécessaire de remonter plusieurs milliards
d'années en arrière pour identifier des molécules
réplicatives? Selon les recherches de Jack Szostak,
du Howard Hughes Medical Institute de Boston, celles-ci se
trouveraient dans notre environnement quotidien, sous la forme
d'acides gras dissous dans l'eau, quasiment dans les bacs
de décantation d'une de nos machines à laver
la vaisselle. (Voir Michaël Marshall « Fat:
the origines of dividing cells »NewScientist 12
janvier 2013, p. 12)

Source JACS
Jack Szostak
est un scientifique de renommée mondiale, co-récipiendaire
du prix Nobel de médecine 2009 pour sa découverte
des télomères. A partir des années 2000,
il s'est investi sur la réalisation d'une première
protocellule complètement artificielle, en insistant
sur la génération de membranes cellulaires capable
de croissance et de division et sur la synthèse de
matériel génétique pouvant se répliquer
à l'intérieur de ces membranes. Dans une publication
toute récente (Journal of the American Chemical Society,
doi.org/j48), il a montré que des acides gras dissous
dans l'eau pouvaient spontanément former des bulles
ou vésicules qui, en présence de nouvelles concentrations
d'acides, gagnaient en taille puis se divisaient spontanément.
Ce processus ne se produit qu'en eau douce tiède, telle
que celle qui pouvait se trouver dans des flaques présentes
sur des sites terrestres volcaniques. L'hypothèse ayant
jusqu'ici la faveur des paléobiologistes, selon laquelle
la vie serait apparue dans les océans le long des « fumeurs »
volcaniques sous-marins, perdrait donc de son actualité.
Comme
il est normal, cette hypothèse surprenante par sa simplicité
est discutée par d'autres scientifiques. Néanmoins
elle semble robuste. Il est clair que la division cellulaire
de molécules de lipides ne suffirait pas à produire
de véritables cellules dotées notamment d'ADN
et des autres organes internes propres à une cellule
complexe. Néanmoins la perspective paraît féconde.
On peut donc pronostiquer que son exploitation permettra de
faire sérieusement avancer l'objectif aux conséquences
pratiques et philosophiques considérables, consistant
à réaliser une première lignée
de cellules biologiques artificielles
Pour
en savoir plus
* Pr. Jack W. Szostak http://en.wikipedia.org/wiki/Jack_W._Szostak
* Article du NewScientist http://www.newscientist.com/article/mg21728995.000-bubbles-of-fat-hint-at-origin-of-reproduction.html
* Article dans le JACS http://pubs.acs.org/doi/abs/10.1021/ja310382d
Addendum
Ajoutons
que les précurseurs chimiques de la vie n'existent
pas (ou n'existaient pas) que sur la Terre. Les astronomes
en découvrent dorénavant de plus en plus, non
seulement dans le système solaire mais dans la galaxie
et au delà. C'est ainsi que certains de ces précurseurs
auraient été observés dans un nuage protosolaire
à 1.000 années lumières de la Terre.
Il s'agirait d'une molécule dite Hydroxylamine composée
d'azote, hydrogène et d'oxygène.
Certains scientifiques pensent que les composants de la vie
se forment dans les nuages interstellaires froids emplis de
gaz, de poussière et de plasma. Comètes et astéroïdes
peuvent les transporter dans des planètes dite habitables,
où ils génèrent les machines moléculaires
évoquées dans le livre d'Hoffmann. Il ne s'agit
pas encore de composants organiques basés sur le carbone,
mais ils pourraient réagir avec d'autres molécules
présentes localement telles que les acides aminés
formant l'ADN
Ceci confirmeraient l'hypothèse que la vie, au moins
sous ses formes simples, seraient « inévitable »
dans l'univers.
Voir http://www.space.com/19241-life-precursor-chemical-found.html