Article.
Le monde des Drones et de la
surveillance
Jean-Paul Baquiast 23/12/2012
Dans un
article précédent,"
Précisions concernant les systèmes anthroposcientifiques"
, nous évoquions l'intérêt d'étendre
la méthodologie appliquée à l'étude
de ce que nous nommons les systèmes anthropotechniques
aux structures qui constituent leur avant garde dans la compétition
pour la maitrise du monde, les laboratoires et chercheurs
en charge des recherches et développements scientifiques
dont ces systèmes ont besoin pour s'imposer. Nous proposions
de nommer ces structures des systèmes anthroposcientifiques.
Ce terme a l'intérêt de montrer que les chercheurs
individuels travaillant dans ces structures sont progressivement
possédés (ou si l'on préfère « dépersonnalisés)
par la fréquentation quotidienne des concepts, procédures
et instruments expérimentaux associés aux sciences
qu'ils sont appelés à mettre en oeuvre, au service
des organismes et des pouvoirs qui les emploient.
La constatation n'est pas nouvelle et ne doit pas entraîner
de condamnation particulière, sauf abus. Cela fait
longtemps que les sociétés à forte composante
scientifique admettent que des chercheurs, hommes et femmes,
s'investissent à l'extrême dans les problématiques
de leurs disciplines. Ainsi l'opinion tolère que des
mathématicien(ne)s ou astronomes passionné(e)s
ne soit pas tout à fait des citoyen(ne)s comme les
autres. Leur discipline les rend d'une certaine façon
inaptes à la vie quotidienne. Conjoints, enfants et
voisins le comprennent et le pardonnent.
Le développement de plus en plus grand des recherches
visant des applications soit militaires soit ayant un impact
géopolitique important, ne permet plus cependant de
considérer que les scientifiques participant à
ces recherches puissent se dire étrangers aux conséquences
qu'elles entraînent et aux débats éthiques
et moraux qu'elles devraient susciter. C'est pour marquer
cette implication que nous suggérons le terme de systèmes
anthroposcientifiques.
Le préfixe anthropos a l'intérêt
de rappeler que de tels systèmes ne peuvent se parer
d'une prétendue objectivité et impartialité
de la science pour échapper à tout questionnement
et critique. Ils sont nécessairement conditionnés
par les intérêts humains qui les soutiennent.
A l'inverse, les anthropos ne peuvent se prétendre
indépendants des conditionnements et intérêts
que génèrent les technologies et les sciences
dont ils assurent le développement par la recherche
et dont ils deviennent de fait les porte-paroles. Une approche
globale s'impose donc pour éviter naïvetés
et malentendus.
Nous aurons l'occasion d'étudier, au delà de
l'avion de combat F35 évoqué par le précédent
article, d'autres exemples de systèmes anthroposcientifiques,
intéressant un certain nombre de secteurs de la science,
théorique ou appliquée. Mais pour rester aujourd'hui
dans le domaine de l'aéronautique et de ses implications
anthroposcientifiques, l'actualité oblige à
prendre en considération la question de ce que beaucoup
d'observateurs qualifient aujourd'hui de « monde
des drones ».
Les drones ne sont pas seulement des produits de la technique
aéronautique. Ils sont aussi, en ce qui concerne leurs
"cerveaux artificiels" et les télécommunications
qu'ils peuvent potentiellement entretenir avec l'ensemble
des utilisateurs de l'Internet, des produits de la science
la plus avancée, celle des systèmes autonomes
dits de sécurité et de contrôle dont Alain
Cardon décrit, notamment sur ce site, la progression
sociale accélérées.
Pour s'en rendre compte, les sources ne manquent pas. Citons
un article récent de notre confrère Philippe
Grasset: « Le
meilleur des mondes des drones », lequel l'auteur
relaie d'autres chroniques provenant notamment de Russia-Today
((RT) ou de simples vidéos publiées par des
anonymes sur You Tube. Les termes employés par Philippe
Grasset confirment tout à fait notre diagnostic: « Les
drones, constituent une folie en expansion accélérée,
ou bien une épidémie du type de la peste noire
du XIVème siècle, quelque chose qui est dores
et déjà totalement hors du contrôle des
sapiens.... Le monstre est venu au monde, il ny a plus
quà observer sa prolifération sans frein.
... Dans une première dépêche, RT
décrit la situation angoissante de lUS Air Force
prise dans lengorgement extraordinaire résultant
de lamoncellement sans cesse renforcé de films
vidéo réalisés par sa flotte de drones
de surveillance dans le monde. Ainsi les drones de lUSAF
ont ramené en 2011 68 fois plus de kilomètres-vidéo
quen 2002, ce qui représenterait 327.384 heures
de visionnage http://rt.com/usa/news/air-force-drone-espn-505/
» .
Rappelons
que ce travail de visionnage serait indispensable si l'on
voulait éviter que les frappes de drones, dont Obama
s'est fait une spécialité, ne multiplient les
dommages collatéraux. Il sera encore plus indispensable
lorsque les drones américains espionneront à
tout va la population américaine elle-même, pour
y détecter des comportements non patriotiques ou illicites.
L'interprétation "automatique"
Or on
retrouve là le même problème de l'engorgement
résultant déjà de la mise en mémoire
devenue systématique, dans les centres serveurs de
l'US National Security Agency, de tout ce qui se publie
de par le monde sous forme numérique, textes, conversations
et images, Nous avions à l'époque signalé
que si des enquêteurs humains ne peuvent pas tirer grand
parti de ces enregistrements bruts, ce ne sera pas le cas
des logiciels de plus en plus intelligents qui pourront les
analyser à haute fréquence en fonction des buts
de recherche qui leur seront assignés.
Alain Cardon pour sa part a mis en garde contre l'apparition
d'agents logiciels de plus en plus autonomes qui fourniront
tous azimuts des analyses éventuellement calomnieuses
transformant les anciennes sociétés démocratiques
qu'étaient les nôtres en véritables pièges
pour tous ceux qui s'exprimeront par la voie électronique.
Ce seront dans un premier temps des programmeurs et spécialistes
systèmes humains qui prototyperont de tels logiciels,
au sein des systèmes anthroposcientifiques associés
au monde du virtuel, mais très vite, lesdits logiciels
échapperont à leurs créateurs
comme d'ailleurs à toutes les mesures de contrôle
provenant d'éventuelles législations « Informatique
et Libertés ».
Or avec les drones, la même contamination de la société
civile se produira. N'importe quel bricoleur un peu averti
pourra mettre en circulation de minis-drones capables d'espionner
tout leur voisinage, mais aussi de porter et d'utiliser ces
armes létales dont les Américains ne se sépareront
jamais, même après la fusillade de Newtown et
celles qui suivront.
Philippe Grasset en tire une conclusion radicale: « Cela
signifie que ce développement du monde des drones,
ne résulte pas d'un plan conquérant, logique
et conceptualisé. Il marque l'explosion dans toutes
les directions, sans aucune mesure, d'un phénomène
littéralement fou de puissance. Ceci va créer
un désordre extraordinaire. A notre sens, toutes les
possibilités sont ouvertes, aucune ne pourra être
interdite, ni même, bien entendu contrôlée
Il serait faux de dire que nous sommes prisonniers des drones,
et plus juste dobserver que les drones constituent dores
et déjà un univers qui na plus aucun lien
vital avec le nôtre »
« Il paraît complètement
illusoire de voir le monde des drones, comme un
nouveau moyen doppression provenant des pouvoirs étatiques,
ou l'inverse avec beaucoup moins de probabilités, comme
un moyen de révolte ou d'illégalité.
Le drone est devenu la plus accomplie des créatures
technoscientifiques qui se soit libérée du contrôle
humain. Le monde des drones est un domaine opérationnel
où le système du technologisme peut envisager
avec une jouissance extrême de se déchaîner
absolument, sans aucune contrainte, sans aucune mesure, sans
aucune borne, en vérité, sans aucun but
- ceci jusqu'à son effondrement final, inévitable
dans ces conditions ».
Or, pour en revenir à notre propos, même si l'on
ne partage pas le radicalisme et a fortiori le pessimisme
profond de cette analyse, il reste que ce seront des scientifiques
et technoscientifiques associés aux développements
non seulement du monde des drones mais de l'ensemble des applications
logicielles de surveillance et de contrôle en découlant,
qui devront et doivent désormais en assumer la paternité
scientifique. C'est ce que voudrait exprimer notre concept
de système anthroposcientifique.