Article.
Possibles révolutions dans l'étude du
Connectome
Jean-Paul Baquiast 01/11/2012
On
appelle connectome l'ensemble des connections synaptiques
qui s'établissent entre les neurones d'un système
nerveux. Ceci notamment au niveau du cortex associatif
où elles sont les plus denses. Lorsque l'on évoque
le nombre de ces neurones (100 milliards chez l'homme)
et celui, infiniment plus grand, des synapses mettant
en relation chacun de ces neurones avec plusieurs dizaines
ou davantage de ces voisins, parler de connectome paraît
aussi abstrait que parler du nombre des galaxies dans
l'univers visible. Il reste que, que ce soit dans les
fonctions de transmission « élémentaire »
entre terminaisons neuronales des nerfs sensorielles
que dans les fonctions dites cognitives ou complexes
associant un grand nombre de neurones appartenant à
des aires cérébrales éventuellement
éloignées, il est indispensable de commencer
à se représenter comment l'influx nerveux
concerné circule d'un groupe de neurone à
l'autre, voire d'un neurone à l'autre.
Différentes
recherches sont en cours ou annoncées dans ce
domaine essentiel à la compréhension des
fonctions les plus élaborées des cerveaux
animaux et humains. On évoquera ci-dessous les
annonces les plus récentes.
Le
projet de l'Institut Max Planck de Heidelberg
Pour
comprendre l'anatomie et la physiologie du cerveau,
la seule méthode jusque là disponible
consistait à observer au microscope électronique
de très petites fractions de tissus nerveux,
conservées in vitro et convenablement teintés,
afin de mettre en évidence les neurones, leurs
axones et leurs éventuelles connexions. Une équipe
de l'Institut de recherche médicale de l'Institut
Max Planck à Heidelberg, conduite par le Pr Winfried
Denk, vient d'annoncer avoir réussi cet exploit
en l'étendant à une partie significative
d'un cerveau de souris. http://www.mpg.de/6595170/mouse-brain-diagram.
Les chercheurs affirment avoir mis au point une méthode
permettant de réaliser l'examen au microscope
d'un cerveau entier de souris, afin d'en obtenir un
modèle informatisé permettant à
terme une observation précise de celui-ci. Le
cerveau, chez la souris, compte environ 75 millions
de neurones.
Nous
avions précédemment indiqué que
des approches utilisant des méthodologies différentes
ont été entreprises par plusieurs équipes
européennes, travaillant notamment sur de petites
fractions du cortex de rats (dites mini-colonnes). L'objectif
est non seulement d'analyser les éléments
du tissu, mais de les reconstruire sur ordinateur afin
de pouvoir expérimenter les connexions possibles
en leur sein et les fonctions en découlant. L'étude
la plus avancée est conduite au sein du Human
Brain Project (voir le site http://www.humanbrainproject.eu/).
Celui-ci fait suite au Blue Brain Project qui avait
été conduit par le Pr Henry Markram de
l'Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne
(EPFL). Le projet se développe aujourd'hui au
plan européen, avec la collaboration de nombreuses
équipe et divers sponsors. Dès les origines,
le projet avait bénéficié de l'appui
de la compagnie IBM, qui lui affecte d'importantes ressources
informatiques.
Il nous semble que l'équipe de l'Institut Max
Planck se démarque un peu du Blue Brain Project
en ce sens qu'elle vise d'emblée à la
modélisation d'un cerveau entier, afin d'étudier
dès le début les interactions anatomiques
et fonctionnelles entre les principales aires cérébrales.
Mais la résolution (c'est-à-dire la finesse
de l'analyse du tissu) est nécessairement bien
moins grande.
Rappelons
également que ces approches analytiques, basée
sur une analyse aussi fine que possible du cerveau mort,
ne permettent pas de simuler le comportement d'un cerveau
vivant relié à un corps et à un
milieu donné. Les progrès rapides de l'imagerie
cérébrale peuvent faire espérer
pour demain l'observation d'échanges synaptiques
se produisant in vivo. Mais l'approche reste encore
très globale et ne peut être utilisée
que dans le cas de diagnostics visant des zones bien
localisées, à la suite notamment d'accidents
vasculaires.
Le
projet Connect
Ces
différentes recherches, se développant
sur un plan mondial de façon quelque peu dispersée,
nécessitent aujourd'hui d'être rassemblée
dans un Atlas mis à jour régulièrement
et qui devrait être rendu accessible à
tous les chercheurs concernés. Ceci vient d'être
décidé par les promoteurs du projet européen
Connect (Consortium of neuroimagers for the non-invasive
exploration of brain connectivity and tracts) lequel
vient d'être lancé à Paris. (Voir
http://www.brain-connect.eu/)
Il ne s'agit pas à l'échelle du cerveau
entier de reprendre les observations portant sur les
neurones proprement dits, mais seulement celles, obtenues
grâce à des méthodes très
avancées d'IRM, par le scanning de la matière
blanche provenant des cerveaux d'une centaine de volontaires.
Connect ne vise pas en effet à identifier les
neurones composant la matière grise, mais la
matière blanche ou substance blanche. Celle-ci
constitue une catégorie de tissu du système
nerveux central principalement composé des axones
des neurones, entourés de leurs gaines de myéline
(gaine lipidique servant à isoler et à
protéger les fibres nerveuses). Elle relie différentes
aires de la matière grise où se situent
les corps cellulaires des neurones. Elle constitue la
partie interne du cerveau. Identifier la matière
blanche à l'échelle du cerveau entier
permettra non seulement de mieux connaitre le rôle
de celle-ci mais de guider les recherches permettant
de situer les études de détail portant
sur la matière grise.
Le
projet BOINC (Barcoding of individual neuronal connections)
Le
projet BOINC, qui vient dêtre présenté
sur le site en libre accès PLoS Biology (http://www.plosbiology.org/article/info%3Adoi%2F10.137
1%2Fjournal.pbio.1001411), par le Pr Anthony Zador,
du Cold Spring Harbor Laboratory, est beaucoup plus
ambitieux que les précédents, et bien
plus révolutionnaire en termes méthodologiques.
Encore faudra-t-il que les expérimentations envisagées
confirment les promesses annoncées par les promoteurs.
L'idée
très innovante qui est à la base du projet
consiste à utiliser les méthodes dorénavant
industrielles permettant de séquencer les génomes
en les appliquant à des neurones individuels
dont les relations synaptiques pourront alors être
mises en évidence.
Pour cela, chaque neurone devra être doté
d'un « code barre » individuel
constitué de compléments d'ADN spécifiques,
composé d'une vingtaine de nucléotides
prises au hasard. Comment marquer les neurones en vue
d'identifier par ces codes barres individuels ceux reliés
par des connections synaptiques? On utilisera à
cette fin un virus tel que celui de la rage lequel a
développé des mécanismes très
efficaces pour déplacer du matériel génétique
à travers les synapses.
Dans ce but, ces virus seront modifiés génétiquement
afin de comporter le code barre individuel dans leur
propre matériel génétique. Lorsque
le virus se répandra à travers les synapses,
chacun des neurones contaminés comportera un
ensemble spécifique de codes barres (bag of
barcodes) constitué de son propre ADN et
de celui du virus envahisseur. De cette façon,
les liaisons synaptiques s'établissant entre
eux ne pourront pas être confondues les unes avec
les autres. Elles seront marquées d'une façon
spécifique aux neurones dont les génomes
auront été ainsi « enrichis ».
Le séquencement ultérieur à grande
échelle de ces génomes permettra de mettre
en évidence à peu de frais les ensembles
de neurones associés dans une activité
déterminée. Le tout pourra se faire in
vivo, c'est-à-dire sur des sujets vivants dont
on pourra ainsi observer le fonctionnement cérébral
à l'occasion de tâches déterminées
(à supposer cependant la remarque est
de nous - que les neurones ainsi « enrichis »
ne soient pas perturbés dans leur fonctionnement).
Les modèles du cerveau
en Intelligence Artificielle
Rappelons enfin que, pour le Pr Alain Cardon, auteur
d'un projet dit de conscience artificielle, bien connu
de nos lecteurs, les simulations du fonctionnement du
cerveau vivant restent très liées à
des observations anatomiques qui ne permettent pas de
comprendre la logique de véritables échanges
fonctionnels, contribuant aux activités les plus
complexes du cerveau, notamment la conscience. Pour
lui, il faut élaborer des hypothèses à
partir d'un modèle entièrement informatisé
du fonctionnement cérébral supposé.
Seules ces simulations permettront de guider des observations
ultérieures portant sur des sujets vivants agissant
dans un milieu naturel.
Conclusion
On
ne peut que souhaiter la convergence de ces diverses
approches dans les prochaines années. Mais, diront
les puristes, ce seront dans tous les cas, et quelles
que soient les précautions prises, des cerveaux
de chercheurs humains qui observeront le fonctionnement
de cerveaux analogues aux leurs. Autrement dit, selon
l'image bien connue, ils se comporteront comme l'homme
ayant perdu sa clef pendant la nuit. Il ne la cherche
pas dans l'ombre, où il sait qu'elle se trouve,
parce qu'il n'y voit rien, mais sous le réverbère,
parce là au moins il y a de la lumière.
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