Sciences
politiques
Pourquoi notre hyper-Titanic va-t-il
couler
par Pierre Vaudan 05/10/2012

L'auteur anime le site http://www.entrefilets.com/
plus particulièrement dédié à
"un regard non conformiste sur l'actualité internationale"
dont nous conseillons une lecture critique.
Il nous a autorisé à reprendre ici l'article
initialement publié à l'adresse http://www.entrefilets.com/notre%20hyper-Titanic%20va%20couler.html
Rien ni
personne ne pourra infléchir la trajectoire implacable
de notre hyper-Titanic. Le paquebot est trop lourd, trop grand,
impossible à manuvrer sur une courte distance
et glisse trop vite sur larête dun iceberg
écologique qui déchire déjà son
flanc. De surcroît, aveuglée par les prouesses
du monstre quelle croit encore contrôler, sa capitainerie
nen finit plus de pousser les moteurs à fond
en hurlant si fort «Progrès ! Progrès
!», quelle parvient à couvrir le vacarme
de leau sengouffrant dans les brèches béantes.
Seule une panne totale des moteurs pourrait encore éviter
le naufrage.
Cest
que la feuille de route choisie par les élites du Système
est tragiquement simple. Postulat de base : il est hors de
question de réduire la voilure dun vaisseau conçu
dans lillusion dune croissance infinie dans un
monde pourtant fini. Solution : les nouvelles technologies
sont la seule option pour réparer les dégâts
provoqués par les précédentes.
Fameux
pari sil en est, où se joue la survie même
de lespèce. Non pas que les individus censés
présider à nos destinées soient particulièrement
fous, déviants ou mal-intentionnés mais, simplement,
ils sont les premiers adeptes hallucinés dune
idéologie qui a réussi à berner tout
le monde, à commencer par eux-mêmes, et qui a
accouché dun monstre aujourdhui aussi autonome
quindomptable.
Avertissement
: Pour les lignes qui suivent, nous avons puisé nombre
d'arguments chez divers auteurs auxquels nous rendons demblée
hommage pour éviter de fréquentes références,
méritées mais typographiquement pénibles.
Il sagit pour lessentiel de La condition inhumaine
dOllivier Dyens; du Paradoxe du Sapiens, de Jean-Paul
Baquiast, de Lhomme unidimentionnel, de Herbert Marcuse,
ou encore de la Politique de loxymore, de Bertrand Méheust.
Premier constat : La démocratie
libérale nest pas écolo-compatible
Le modèle
proposé par la démocratie libérale prétend
offrir à lensemble des peuples de notre petite
planète le niveau de vie, et donc de consommation,
du standard occidental daujourdhui. Une simple
mise en parallèle des besoins que nécessiterait
la réalisation de cet objectif avec les ressources
réellement disponibles suffit à le définir
comme insensé, intenable.
Cest
pourtant le principal mythe fondateur de notre Système,
et son principal slogan à lexportation.
La mécanique
de la démocratie libérale repose en effet sur
lidéologie consumériste, qui place lindividu
au cur du système, avec pour fonction première
de consommer et de consommer encore pour garantir cette croissance
éternelle seule à même dassurer
la pérennité du modèle.
Ce faisant,
ce système impose un déchaînement de la
matière permanent, un pillage constant des ressources,
une surenchère ininterrompue dans la production pour
assurer le gavage de ses ouailles.
Ce nest
pas un hasard si aucune démocratie libérale
ne peut se prévaloir dune empreinte écologique
avouable.
Saturation, érotisation
Concrètement,
le Système fonctionne aujourdhui sur le mode
de la saturation, de lhyper-stimulation pour susciter
un désir permanent, obsessionnel de consommer. La passion
de la possession nest plus contenue, elle est encouragée
à lextrême. Elle est même devenue
le sens premier de la vie pour beaucoup dindividus (parce-que
je le vaux bien)
Or en
tant quacte fondamentalement dénué de
sens, il en va de la possession des objets comme de la sexualité
sur internet : elle ne peut que susciter des désirs,
toujours davantage de désirs, sans jamais pouvoir les
assouvir. Cest la multiplication sans fin du désir
et de son impossibilité.
Le consommateur
est donc maintenu en quelque sorte en état dérotisation
permanente face à un acte dachat qui ne le satisfait
jamais, condamné quil est dès lors à
combler cette absence de sens, de véritable jouissance,
par dacquisition de nouvelles possessions (voir lhystérie
suscitée par larrivée de lIphone
5 à lheure où nous écrivons ces
lignes). Cest un peu le schéma de laddiction
aux drogues avec une phase dexcitation voire d'exaltation
à lapproche de la prise (achat), qui procure
un bref plateau de satisfaction (plaisir de la découverte
du produit) immédiatement suivi dune lente phase
de dépression (habitude puis désintérêt,
renaissance du désir).
Epuiser lunivers
Le déchaînement
de la matière ainsi imposé par le consumérisme
exerce donc une pression dite de confort de plus
en plus insoutenable pour la biosphère, entraînant
lépuisement accéléré des
ressources et le saccage du vivant.
Il faut
créer de la richesse, croître, produire toujours
davantage pour alimenter la mécanique du Système
et gaver le conso-citoyen de choses en plastique à
lobsolescence programmée, dobjets technologiques
rapidement démodés.
La voracité
du Système a aujourdhui bel et bien de quoi épuiser
lunivers.
Les déjections du Système
Et puis
il faut aussi considérer les dégâts provoqués
par les immenses masses de déjections générées
par ce processus. Des ordures dont le Système organise
un recyclage minimum pour son image, sa narrative,
mais dont lessentiel, lincommensurable masse est
silencieusement déversée dans les pays en voie
de développement ou dans les abysses des océans,
formant autant de bombes à retardement écologiques.
Enfin,
il faut encore considérer la manipulation du vivant
au vu de son appropriation. Pour le Système, la gratuité
du vivant est en effet une aberration de la nature quil
convient de corriger. Alors, abandonnant un principe de précaution
anachronique, on fouille, on dissèque, on manipule
les ADN de tout ce qui passe pour y coller un brevet et faire
du profit, toujours du profit, avec des résultats (déjà)
et des perspectives effrayantes pour lécosystème.
En soixante
ans, le capitalisme et son dernier avatar, le système
néolibéral, ont donc ainsi orchestré
un meurtre systématique de lenvironnement (*)
dune telle ampleur que beaucoup de spécialistes
doutent de la possibilité dun retour en arrière.
Abdication du conso-citoyen
Structurellement
incapable de sengager dans un processus de décroissance
qui aurait, seul, une chance de faire légèrement
dévier notre Hyper-Titanic, le Système semploie
dès lors à calmer langoisse de ses conso-citoyens
grâce à une armée de scientifiques grassement
payés pour minimiser, voire à démentir
létat durgence auquel nous sommes parvenus
écologiquement parlant.
Parallèlement,
il sest approprié les slogans écologiques
pour se poser en sauveur du désastre dont il est la
matrice et lartisan appliqué, provoquant une
confusion efficacement paralysante desdits conso-citoyens
(Grenelle de lenvironnement, Sommets sur le climat,
campagne pédagogie à 2 balles en faveur de lenvironnement
sur Cartoon TV etc
etc
). Aujourdhui, même
les pubs de lindustrie pétrolière ressemblent
à des campagnes de collecte de fonds de Greenpeace.
Prisonniers
de leur quotidien, psychologiquement minés par le brouillage
des messages, les conso-citoyens abdiquent alors devant cet
apaisant mensonge qui leur murmure que le Système prend
la question au sérieux, quil est le seul à
pouvoir réparer les dégâts et quà
la fin, on trouvera bien le moyen de sen sortir, de
colmater la brèche.
Les derniers
pécheurs sémeuvent bien de savoir que
les poissons du Rhône sont désormais impropre
à la consommation ; chacun sinquiète de
savoir quun tiers des terres émergées
sont menacées de désertification ; que les calottes
glaciaires fondent à un rythme effarant ; que les abeilles
sont en train de mourir ; que plus du quart des espèces
animales auront disparu à plus ou moins brève
échéance.
Mais on
ne sinquiète plus que confusément.
Et puis,
on sinquiète surtout de savoir quand sortira
la nouvelle version du dernier MacdoPhone.
Ce qui
nous amène tout naturellement au deuxième constat.
Deuxième constat : Lhyper-technologie
comme illusion du salut
On la
bien compris, le Système ne peut envisager la décroissance
des pays les plus riches qui permettrait par exemple
aux pays les plus pauvres dapprocher du standard sans
augmentation exponentielle des dégâts sur lenvironnement,
car ce serait tout simplement trahir sa principale promesse
de campagne.
La panacée
pour le Système, cest donc toujours davantage
de technologie, lhyper-technologie, la fuite en avant
vers la complexité (**).
Abdication du politique
Mais le
progrès comme solution unique implique labdication
du politique.
Cest
un moyen supplémentaire de transférer les derniers
résidus de pouvoir qui subsistent chez les politiques
vers la machine-Système, vers le Marché, devenu
le réel mais insaisissable centre de pouvoir de notre
monde marchandisé.
Le degré
de maîtrise formidable de loutil technologique
auquel est parvenu le Système nourrit en effet lillusion
dune maîtrise des choses, dune maîtrise
des risques et dune capacité dinfléchir
le cours des évènements par toujours davantage
de technologies.
Sauf que,
là encore, le Système ne fait quentretenir
une illusion apaisante.
Car même
une transition réussie vers des énergies non
polluantes, par exemple, prendrait des décennies que
nous navons plus, et ne résoudrait de toute façon
en rien les ravages provoqués par lhyper-consommation
de notre vertueux modèle en termes dépuisement
des ressources et de saccage du vivant.
La technologie
comme solution nest quun slogan.
Virtualité contre réalité
En revanche,
insidieusement, linvasion des technologies du quotidien
détache de plus en plus les individus de la nature*,
ce qui permet sans doute de leur faire accepter plus sereinement
son recul progressif de nos vies.
On pourrait
même dire que le monde technologique célébré
par la démocratie libérale nous permet de faire
peu à peu le deuil de lancien monde, le monde
biologique. Et cela même si la disparition du monde
biologique implique fatalement la nôtre. Ce nest
que lune des contradictions du Système, contradiction
facilement résolue par le déni.
Les productions
de science-fiction hollywoodiennes sont à cet égard
un miroir intéressant des utopies du Système
avec, par exemple, la vision récurrente dun monde
hyper-technologique qui a totalement remplacé une nature
confinée sous serres pour de simples besoins nutritionnels.
Dans les
faits, la civilisation technologique est tout simplement en
train dabsorber lhumanité en nous, de la
pénétrer, de la modifier, de transformer la
nature de ses perceptions, sa façon de «se»
penser.
Elle crée
une distance, un gouffre, entre lhumain et le réel.
Troisième constat : le Système
nest pas réformable.
«Je
constate quil pleut, alors je prends mon parapluie.»
Cet exemple
de décision volontaire est devenu impossible à
un système complexe comme celui qui nous gouverne.
Les échecs
qui ont ponctué absolument tous les Sommets organisés
sur le climat en fournissent une preuve indiscutable.
Comment
est-il possible, se dit-on naïvement, que la gravité
de la crise climatique (il pleut), empêche les décideurs
de prendre des mesures concrètes (un parapluie). Cest
le Paradoxe du Sapiens.
Survivre et prospérer
Cest
que tous les Systèmes complexes qui combinent humain
et technologie sont mus par des forces qui échappent
au contrôle des individus qui les composent, même
de ceux qui les ont créés. Dans ces systèmes
dits anthropotechniques, lhumain ne peut plus être
distingué de loutil. Lhumain et loutil
forment une nouvelle entité avec sa propre détermination,
ses logiques propres.
Autrement
dit, un système complexe fonctionne de manière
quasi autonome car, ayant été conçu pour
performer, il est dès lorigine pensé et
placé en compétition darwinienne permanente
avec son environnement. Tout système complexe na
ainsi quun seul objectif : survivre et prospérer.
Dans ce super-organisme, la «nature» humaine est
une composante parmi dautres, et son pouvoir de décision
devient très relatif.
Mettez
José Bové à la tête de Monsanto
et, à la fin de lannée, Bové aura
été digéré ou rejeté comme
un improbable greffon par le Conseil dadministration
de la multinationale, et Monsanto aura multiplié ses
profits.
On objectera
quun tel système luttant pour sa survie devrait
alors nécessairement éviter de poursuivre dans
une voie qui le voue à sa perte à moyen-terme.
Sauf que le moyen terme nexiste plus dans la «psychologie»
du système.
Présent absolu et plaisir
immédiat
Notre
modernité, et à plus forte raison celle du Marché
qui gouverne, ne se pense que dans limmédiateté
(cours de laction à la cloche ; chiffres du mois
; bonus).
Le Système
ne peut plus penser lavenir..
Liceberg
qui déchire la coque de son flanc na pas encore
touché son cur, il a donc le temps de faire encore
quelques profits pour devancer la concurrence. Dans une société
figée dans le présent absolu et lobsession
de la satisfaction immédiate de ses envies, les quelques
décennies qui nous séparent du naufrage sont
une éternité qui suffit à faire du danger
à venir une totale abstraction.
Quand
leau sera montée jusquà recouvrir
notre bouche, pensent nos chers CEO, on respirera par le nez
et il sera toujours temps de prendre des mesures car la concurrence
devra alors faire de même.
La machine
néo-libérale est désormais insensible
à la logique, aux faits, à largument,
à largument «humain» en particulier.
En ce sens, le fantasme de la domination de la machine sur
lhomme, habituellement confiné aux récits
de science-fiction, est bel et bien une réalité
tangible, mesurable, monstrueuse de notre modernité.
Le Système,
en tant que machine, commande son évolution.
Lexemple des subprimes
Une preuve
de ce mécanisme a été fournie lors de
la crise des subprimes de 2008. Le Système a opéré
un véritable hold-up sur les contribuables, avec la
complicité unanime de tout lappareil politique
qui lui est soumis, sans rien chercher à régler
des problèmes structurels qui lavait conduit
au bord de labîme. Se promettant donc à
lui-même de nouveaux éclatement toujours plus
spectaculaires, mais plus tard.
Dans limmédiateté
du raisonnement que lui impose sa nature, le contrat était
donc rempli puisque la menace deffondrement était
écartée de linstant présent.
En résumé,
même face à la perspective de sa ruine totale,
le système néolibéral nest pas
en mesure de se réformer, prisonnier quil est
de ses déterminismes.
Quatrième constat : la démocratie
libérale est dessence totalitaire.
Laffirmation
peut paraître excessive, elle ne lest pas.
Selon
Francis Fukuyama, la démocratie libérale doit
ainsi marquer la fin de lHistoire, chacun étant
occupé à faire des affaires plutôt que
la guerre. Ambition dapparence inoffensive, voire vertueuse,
mais qui renferme pourtant une réalité effrayante
en pronostiquant lavènement dun Système
unique qui a dévoré tous les autres, réduit
toute opposition, annihilé toute alternative. Une «grande
société unique» ayant incorporé,
digéré toutes les autres ; un hyper-monde en
somme, gouverné par un Système unique, une idéologie
unique, une pensée unique.
Ce qui
correspond en tout point à la définition du
totalitarisme.
Et cest
uniquement le jugement de valeur implicitement contenu dans
le pronostic de Fukuyama à savoir que la démocratie
libérale serait bonne et vertueuse pour lhumanité
qui annihile leffroi que lavènement
de ce totalitarisme devrait naturellement susciter en nous.
Or ce
jugement de valeur est faux.
La part sombre du projet libéral
La démocratie
libérale, aujourdhui irrémédiablement
placée sous la dictature des marchés, est un
Système violent, qui soutient son expansion par la
violence, qui réduit ses opposants par la violence,
et dont lessence totalitaire ne peut, au fur et à
mesure que grandira sa domination, que conduire à une
forme élaborée de dictature. Lavènement
de la société libérale interdit en effet
lalternative. Les divergences de pures formes, qui opposent
ce que lon nomme les «sensibilités politiques»,
se discutent à lintérieur du statuquo
quelle impose. Cest à cela que se réduit
lopposition. Dans une société qui prétend
pourvoir de manière satisfaisante aux besoins du plus
grand nombre, lopposition na en effet plus aucune
raison dêtre, elle est même une menace pour
la collectivité.
Les plus
grands auteurs danticipation, dOrwell à
Philipp K. Dick surtout (ce génie), ont été
les premiers à avoir eu lintuition que la part
sombre, la part cachée et inavouable du projet capitaliste
(***) (devenu néolibéral) finirait par dominer
le monde de demain, une fois leffort de séduction
rendu inutile par la victoire globale.
Or les
signes de ce grand retournement à venir sont déjà
là.
Guerres de conquête
A lextérieur
de ses frontières, on constate ainsi que la démocratie
libérale nhésite jamais à porter
le fer dans les régimes et les ensembles territoriaux
ou idéologiques qui lui résistent. Passons sur
une guerre froide durant laquelle la défense du projet
capitaliste a nécessité le déploiement
dune violence inouïe. Nous pourrions cyniquement
accepter que cétait «de bonne guerre».
Sauf quaprès
la chute de lURSS, le sang na jamais cessé
de couler «pour la bonne cause».
La tentative
dincorporation du Moyen-Orient, entamé avec la
première guerre du Golfe, puis relancée sous
couvert de guerre contre le terrorisme, a ainsi impliqué
le meurtre de plus dun million et demi de personnes
déjà, et la dévastation totale de plusieurs
pays.
Actuellement,
la guerre sous-traitée en Syrie par le Bloc occidental
est le dernier exemple en date de la poursuite dune
expansion du Système par le fer et le feu, expansion
exercée au demeurant avec le soutien uniforme de médias
de masse désormais totalement incorporés, digérés
par le Système.
et violence intérieure
A lintérieur
de sa sphère dinfluence, on a également
pu constater la brutalité du Système vis-à-vis
des manifestants du mouvement des Indignés en Espagne
par exemple, ou les méthodes quasi staliniennes déployées
vis-à-vis dun Julian Assange dès linstant
où il est apparu comme une menace pour la stabilité
du Système.
Une police
de la pensée sinstalle parallèlement de
manière toujours plus invasive dans nos démocraties
libérales, imposant la doxa du Système grâce
au contrôle exercé par le plus formidable ensemble
doutils de propagande de tous les temps.
Des instruments
de contrôle dinternet sont en train dêtre
mis en place (p.ex. lois Acta, Sopa, Pipa, et consorts
),
non pas pour en éjecter les déjections culturelles
qui y pullulent (comme par exemple la pornographie la plus
extrême que le Système tolère voire encourage
puisquelle fait partie de ces «libertés»
destinées à distraire le conso-citoyens), mais
bien en tant quinstrument de contrôle de la Toile.
Comme
nimporte quel Etat, comme nimporte quel Système,
la démocratie libérale est un monstre froid
qui écrase pour se propager, qui finira par écraser
même ses adeptes pour persévérer dans
son être.
Lultime menace
Tous les
Systèmes complexes ont en effet une tendance naturelle
à lemballement, à aller au bout de leur
logique. Et une fois les oppositions annihilées, une
fois le triomphe global réalisé, une fois len-dehors
incorporé, lagressivité du Système
ne pourra que se retourner contre son espace intérieur.
Il sagira en effet pour lui de prévenir la perversion
de son «être» et léclatement,
qui représenteront alors lultime menace à
réduire.
A terme,
la liberté humaine sera donc contrainte dabdiquer
à léchelle individuelle face à
la toute-puissance du Système, comme elle la
déjà fait à léchelle politique.
Conclusion : leffondrement
comme espérance
Si lon
fait limpasse sur les meurtres de masse qui lui ont
permis de prospérer et sur son essence totalitaire,
il est incontestable que grâce à son insouciance
criminelle, à son inculpabilité, le Système
capitaliste, devenu néolibéral, a réussi
à créer une bulle de justice et de prospérité
inégalée dans lhistoire de lhumanité.
Il serait également stupide den nier les conquêtes
et les acquis remarquables aux niveaux social ou médical
notamment. Même un banlieusard français peut
se prévaloir aujourdhui dun confort dont
naurait jamais osé rêver Louis XIV.
La menace dune ruine totale
Mais en
même temps, la construction de cette bulle a provoqué
le saccage de la biosphère et de tout léco-système
de notre planète en quelques décennies, au point
de menacer lhumanité dune ruine totale.
Ce Système
a fait de nous de vulgaires traders du monde vivant, capables
de dévaster jusquaux abysses des océans
pour sassurer des bonus confortables, pour pouvoir aller
en avion grignoter des tapas à Barcelone pour le prix
dune place de ciné.
La dette
ainsi léguée aux générations futures
est si énorme, si gigantesque quil faudra sans
doute des siècles pour la rembourser, si tant est quelle
puisse lêtre un jour.
A lheure
où nous écrivons ces lignes, la machine-Système
est plus que jamais emballée sur elle-même, plus
que jamais en phase dexpansion de son modèle
mortifère, et rien ne semble pouvoir larrêter.
A moyen
terme, de nouvelles grandes guerres vont sans aucun doute
opposer les acteurs de cette triste farce pour capter les
dernières ressources disponibles, tirant ainsi définitivement
la chasse sur lutopie ridicule de Fukuyama.
Mais à
la fin, rien nempêchera notre paquebot de sécraser
définitivement contre liceberg écologique
et de couler corps et biens.
Sauf si
Les moteurs toussent
Sauf si,
comme nous le disions en préambule, une panne totale
des moteurs vient stopper la course folle de notre Hyper-Titanic.
Les lecteurs
dentrefilets le savent bien, nous sommes persuadés
que, face à lhyper-puissance dun Système
que personne nest en mesure de combattre, seul leffondrement
intérieur dudit Système, par indigestion de
lui-même, offre une perspective de salut.
Or nous
avons atteint des seuils limites où lutopie dune
richesse illimitée partagée par tous se fracasse
désormais contre les réalités dun
modèle économique qui craque de toutes parts.
Les Etats-Unis, matrice du Système, sont au bord de
la faillite. Plus de 15% de la population y survit déjà
grâce à des bons dalimentation. LAmerican
dream, vitrine du projet néolibéral, a du plomb
dans laile. La zone euro part de son côté
en lambeaux sous les coups de boutoir dune crise de
la dette, mère de toutes les crises, qui devrait bientôt
entrer dans sa phase explosive (dettes US et mondiale, ici
seulement la dette publique).
Même
dans sa zone dinfluence, dabondance, le Système
nest donc plus en mesure de résoudre ses contractions,
de gaver tout le monde. Chômage, paupérisation,
marginalisation : un pourcentage sans cesse grandissant des
populations occidentales rejoignent peu à peu les laissés-pour-compte
du Système. Autant dIndignés en puissance.
La supercherie
dun projet néolibéral définitivement
insensé et intenable, est devenue impossible à
cacher.
Répression à venir
Mais comme
tous les systèmes, le Système néo-libéral
cherchera donc à persévérer dans son
être. Tant que ses moteurs ne seront pas totalement
à larrêt, la violence va aller grandissant
à lintérieur de sa zone dinfluence
et les hordes de laissés-pour-compte qui vont vouloir
affronter sa machine de répression seront criminalisées
et combattues.
Ce sera
une étape difficile, dangereuse, car lhyper-puissance
technologique du Système est capable de permettre à
une très petite minorité de se maintenir au
pouvoir par la violence.
Il suffit
dobserver le modèle israélien et sa capacité
de contenir, militairement, une insurrection quasi permanente
à lintérieur même de son périmètre
(daucuns pensent dailleurs quIsraël
est un champ dexpériences dans le domaine particulier
des techniques de répression des insurrections massives).
Mais des
alternatives sont possibles pour un autre monde, si tant est
que la panne totale des moteurs du vaisseau ne tarde pas trop.
Un monde
qui saura certainement préserver les acquis valables
de lancien, tout en se délestant de sa toxicité
et de ses logiques mortifères.
Des projets,
il y en a plein les cartons des Indignés.
La décroissance
raisonnée, la dissolution des Marchés, la primauté
du pouvoir politique sur le pouvoir économique et,
enfin, lélaboration dune Déclaration
universelle des DROITS DE LA VIE apparaissent toutefois comme
les conditions premières et minimales dune renaissance.
Notes
(*) Dans
une lettre datée de mai 68, lécrivain
et poète suisse Maurice Chappaz écrivait : «Jai
localisé le pouvoir réel, brutal dans léconomie
et vu les velléités, les complicités,
les mensonges, le blanc qui devient noir dans les partis politiques,
tous les partis. Et le social a comporté pour moi un
élément de dégoût que tu ne peux
imaginer : le nazisme. Le commercial totalitaire le resuce
en lui : cette tuerie darbres, de phoques, cet empoisonnement
de lair, des eaux, ces massacres divers et cette propagande,
cette réclame pour lenglobant industriel, le
«progrès» carrément détachés
de lhumain. Les vrais parasites modernes ne sont pas
les clochards, les beatniks, mais justement les activistes
de la construction inutile, du gaspillage des sources et des
ressources, spéculateurs, menteurs en tous produits
et appétits. Nous connaissons aussi ces volontés
de puissance à lil parfois très
intelligent de Surmorts, qui délèguent aux fonctions
publiques les bureaucrates, des types, des espèces
de chauves graisseux moins costaux queux-mêmes.
Les Surmorts ont besoin dotages, de médiocres
qui limitent toujours un pays aux affaires.»
(**) Dans
The Singularity is near, Ray Kurzweil relève que «selon
la loi du retour accéléré, la croissance
est maintenant telle que nous parviendrons bientôt à
un état de transformations si profondes, si rapides,
si denses que toute lexistence humaine basculera. Les
cent années du XXème siècle, par exemple,
équivalent à vingt ans dinnovations à
la vitesse des transformations des années 2000. A ce
rythme, les cent années du XXIème siècle
seront léquivalent de ving mille ans de progrès
au rythme daujourdhui.»
(***)
Dans La politique de l'oxymore, Bertrant Méheust relève
combien il est étrange de constater que le Système
néolibéral a recyclé avec zèle
lhéritage nazi : autoroutes, fusées, avions
à réaction, voiture pour tous, propagande de
masse, politique spectacle, guerre spectacle, grandmesse
sportive, voyages organisés, exaltation narcissique
du corps
Doù la question : le nazisme comme
préfiguration paroxystique du triomphe néolibéral
?