François Hollande : "L'Europe
ne peut plus être en retard". Quelques commentaires
par Jean-Paul Baquiast et Christophe Jacquemin
Nous attendions, comme beaucoup,
une déclaration ferme et positive de François
Hollande concernant les positions de la France à l'égard
de l'Europe. L'interview que vient de publier le journal Le
Monde, ainsi qu'un certain nombre de quotidiens européens,
répond en grande partie à notre attente. Il
peut justifier cependant quelques commentaires, que l'on trouvera
ci-après en italique rouge, signés AI pour le
compte de nos sites Europe Solidaire et Automates Intelligents
A la veille
du conseil européen des 18 et 19 octobre à Bruxelles,
le président François Hollande a répondu,
à l'Elysée, aux questions des six journaux,
dont Le Monde, qui réalisent conjointement le supplément
Europa.
Le
Monde: L'Union européenne a été récompensée
par le prix Nobel de la paix à la veille d'un nouveau
conseil européen, auquel vous participez, destiné
une fois de plus à tenter de sauver l'euro. Ce choix
vous confère à tous une responsabilité
supplémentaire. Comment allez-vous sauver l'Europe
?
François
Hollande. L'attribution du prix Nobel à l'Union européenne
est à la fois un hommage pour le passé et un
appel pour l'avenir. L'hommage, il est adressé aux
pères fondateurs de l'Europe, capables d'avoir réussi
la paix au lendemain d'un carnage. L'appel, il est lancé
aux gouvernants de l'Europe d'aujourd'hui, pour qu'ils soient
conscients qu'un sursaut est impérieux.
AI.
Il fallait le dire, après le concert de critiques irresponsables
ayant salué la décision des Nobels. Combien
de pays ou grands ensembles dans le monde auraient souhaité
avoir une telle distinction, qu'ils ne méritaient pas.
Sur la
sortie de la crise de la zone euro, nous en sommes près,
tout près. Parce que nous avons pris les bonnes décisions
au sommet des 28 et 29 juin et que nous avons le devoir de
les appliquer, rapidement. D'abord, en réglant définitivement
la situation de la Grèce, qui a fait tant d'efforts
et qui doit être assurée de rester dans la zone
euro. Ensuite, en répondant aux demandes des pays qui
ont fait les réformes attendues et qui doivent pouvoir
se financer à des taux raisonnables. Enfin, en mettant
en place l'union bancaire.
AI.
Le concept d'Union bancaire reste encore très vide.
L'action à mener devrait être au coeur de la
politique européenne de la France, afin de monter que
notre pays est décidé, mais pas seulement en
parole, à limiter la prise du monde en otage par les
oligarchies réunies de la finance internationale, et
des minorités dirigeantes. Cela ne pourra pas se faire
sans oser attaquer de front les privilèges de Wall
Street et de la City. Beaucoup en France doutent que notre
pays s'y résolve.
Je veux
que toutes ces questions soient réglées d'ici
la fin de l'année. Nous pourrons alors engager le changement
de nos modes de décision, et l'approfondissement de
notre union. Ce sera le grand chantier au début de
l'année 2013.
Ces
pays qui ont fait des efforts, précisément,
avec des sacrifices lourds pour la population, ne voient pas
d'amélioration. Combien de temps pensez-vous qu'ils
pourront tenir sans changement de stratégie pour relancer
la croissance ?
J'ai voulu,
depuis mon élection, que l'Europe se donne comme priorité
la croissance sans remettre en question le sérieux
budgétaire, rendu indispensable par la crise des dettes
souveraines. Si nous ne donnons pas un nouveau souffle à
l'économie européenne, les mesures de discipline
ne pourront trouver de traduction effective.
Le retour
de la croissance suppose de mobiliser des financements à
l'échelle de l'Europe, c'est le pacte que nous avons
adopté en juin, mais aussi d'améliorer notre
compétitivité, et enfin de coordonner nos politiques
économiques. Les pays qui sont en excédent doivent
stimuler leur demande intérieure par une augmentation
des salaires et une baisse des prélèvements,
c'est la meilleure expression de leur solidarité. On
ne peut pas infliger une peine à perpétuité
à des nations qui ont déjà fait des sacrifices
considérables, si les peuples ne constatent pas, à
un moment, les résultats de leurs efforts. Aujourd'hui,
ce qui nous menace, c'est autant la récession que les
déficits !
AI.
Parmi les financements, qui pourraient rapporter beaucoup
pour des dépenses minimes, figurent les investissements
scientifiques et technologiques. La France, avec ses voisins
européens, y détient des atouts importants.
Encore faut-il les exploiter. Nous citons dans un article
récent le cas particulier de l'ordinateur quantique.
La promotion de Serge Haroche au Nobel de Physique a rappelé
que la France pourrait être une des premières
puissances au monde à exploiter ce créneau.
Actuellement, c'est le département de la défense
américain, avec ses deux bras armés, la Darpa
et In-Q-Tel, qui se prépare à ramasser la mise.
S'ils ne font rien, les Européens verront passer les
trains.
Comment
comptez-vous surmonter le clivage qui subsiste entre les partisans
de l'austérité et ceux de la croissance ?
Il appartient
à la France, parce que c'est un grand pays de l'Union
européenne, de porter ce compromis entre le désendettement
et la croissance afin de changer la perspective.
Comment
ramener la croissance ?
Il y a
deux leviers. Le premier, c'est la confiance. Plus tôt
nous sortirons de la crise de la zone euro, c'est-à-dire
plus rapidement nous réglerons le cas grec, et plus
vite nous parviendrons à financer à des taux
raisonnables les dettes des pays bien gérés,
plus vite les investisseurs reviendront vers la zone euro.
Nous avons tous les moyens pour agir Mécanisme
européen de stabilité (MES), règles d'intervention
de la Banque centrale européenne (BCE). Alors, utilisons-les.
Le second
levier, c'est de mettre en cohérence la politique économique
européenne. Nous avons défini un pacte de croissance.
Mettons-le en uvre. Cent vingt milliards d'euros, certains
diront : c'est trop peu. Mais ce qui compte, c'est que ces
sommes soient dépensées vite et bien. Le budget
européen est aussi un élément de stimulation
de l'économie, notamment à travers les fonds
structurels. Nous pouvons aller plus loin, en mobilisant des
ressources supplémentaires. La taxe sur les transactions
financières va faire l'objet d'une coopération
renforcée. Onze pays ont donné leur accord.
Son produit pourrait être pour une part affecté
à des projets d'investissement et pour une autre à
un fonds de formation pour les jeunes. C'est le rôle
de la France que de dire inlassablement à nos partenaires
que l'austérité n'est pas une fatalité.
AI.
Même commentaire que pour la réponse précédente.
Pour concrétiser les stimulations possibles de l'économie,
il faut désormais citer des projets précis,
intéressant l'ensemble des sciences et technologies
émergentes, et susceptibles de retombées rapides
en termes de produits et d'emplois. Il n'est pas le lieu d'en
proposer une liste ici. Mais à titre consultatif, nous
pourrions le faire, comme beaucoup de chercheurs et patrons
de PME qui nous lisent.
Pour
remotiver les citoyens européens, pour "réenchanter
l'Europe", quelle idée de l'Europe voulez-vous
soutenir ? Une Europe fédérale ? Une Europe
des nations ?
Le débat
ne se pose plus comme au début des années 1960,
autour du débat entre l'Europe des patries ou l'Europe
fédérale... Il y avait six pays à cette
époque, puis huit, puis douze, aujourd'hui nous sommes
vingt-sept, bientôt vingt-huit avec la Croatie. En changeant
de dimension, l'Europe a changé de modèle.
Ma démarche,
c'est une Europe qui avance à plusieurs vitesses, avec
des cercles différents. On peut les appeler "avant-garde",
"Etats précurseurs", "noyau dur",
peu importe les appellations, c'est l'idée qui compte.
Nous avons une zone euro, elle a un patrimoine, c'est la monnaie
unique. Elle appelle une nouvelle gouvernance. Cette zone
euro doit prendre une dimension politique. Je suis favorable
à ce que l'Eurogroupe, qui rassemble les ministres
des finances, soit renforcé et que le président
de l'Eurogroupe ait un mandat clair et suffisamment long.
Je suis
également partisan d'une réunion mensuelle des
chefs d'Etat et de gouvernement de cette zone. Finissons-en
avec ces sommets soi-disant de la dernière chance,
ces réunions historiques, ces rendez-vous exceptionnels...
et qui n'ont débouché que sur des succès
éphémères. Les marchés, c'est
tous les jours, les arbitrages des entreprises, c'est dans
l'instant ! L'Europe ne peut plus être en retard.
Le Conseil
de la zone euro permettra de mieux coordonner la politique
économique et de prendre, pays par pays, les décisions
appropriées. Il ne s'agit pas d'exclure les autres
pays : ceux qui veulent rejoindre la zone euro seront associés
à nos débats. Certains pays ne le veulent pas
c'est leur choix. Mais pourquoi faudrait-il qu'ils
viennent nous dire comment doit être dirigée
la zone euro ? C'est une prétention que j'entends,
mais qui ne me paraît pas répondre à l'obligation
de cohérence.
Alors,
ensuite, il y a cette Europe des Vingt-Sept/Vingt-Huit bientôt
et demain davantage. C'est un espace politique de solidarité,
un grand marché, une volonté de convergence
économique, sociale, culturelle. Je voudrais lui donner
une nouvelle dimension pour la jeunesse, l'université,
la recherche, l'énergie. Mais cette Union large ne
doit pas empêcher des coopérations renforcées,
celles que des Etats voudraient engager à quelques-uns
et qui dégageraient des moyens au-delà du budget
européen. Ce sera le cas avec la taxe sur les transactions
financières.
AI.
La zone euro sera évidemment pour des années
le noyau dur de l'Europe. Il faut tout faire pour la fédéraliser
démocratiquement. Mais de nombreuses coopérations
renforcées, ouvertes à d'autres Etats européens,
seront on seulement possibles mais nécessaires. Citons
l'Espace, avec l'ESA, curieusement oublié. Citons aussi
la Défense et ses industries (quid de l'Agence européenne
de défense?), certains grands programmes scientifiques
tels qu'évoqués plus haut ou d'autres aux retombées
très importantes, par exemple dans le domaine de l'astronomie,
notamment autour de l'ESO (www.eso.org/
)
Certains
voudraient créer un embryon de Parlement séparé
de la zone euro. L'Union européenne ne risque-t-elle
pas de se réduire aux pays de la zone euro, une Europe
à deux vitesses ?
Que l'Europe
ait plusieurs vitesses, c'est déjà le cas. Mais
le Parlement européen a vocation à représenter
toute l'Europe, et si la zone euro se structure davantage,
il est parfaitement capable de définir en son sein
des procédures démocratiques dédiées
à la zone euro.
Pour une
Europe plus intégrée avec l'union politique,
ne faut-il pas un nouveau traité constitutionnel, soumis
à référendum ?
Je crois
me souvenir qu'en 2005 nous avons essayé cette formule
et qu'elle n'a pas donné les résultats escomptés
! Parce qu'avant de se lancer dans une mécanique institutionnelle,
les Européens doivent savoir ce qu'ils veulent faire
ensemble. C'est le contenu qui doit l'emporter sur le cadre.
L'enjeu institutionnel est souvent évoqué pour
ne pas faire de choix. Les plus empressés à
parler de l'union politique sont parfois les plus réticents
à prendre les décisions urgentes qui la rendraient
pourtant incontournable, ça ne m'a pas échappé....
AI.
D'où l'intérêt de mentionner dès
maintenant de grands programmes européens de recherche/développement
à réaliser ensemble, dont chaque citoyen pourra
apprécier concrètement l'intérêt
pour lui et sa région.
Les
Allemands ?
Non, je
ne vise personne en particulier. Plusieurs fois, dans le passé,
les Allemands ont fait sincèrement des propositions
sur l'union politique. Elles n'ont pas été saisies.
Aujourd'hui, nous sommes en phase. La France défend
l'"intégration solidaire" : chaque fois que
nous franchissons un pas vers la solidarité, l'union,
c'est-à-dire le respect des règles communes
autour d'une gouvernance, doit progresser.
Ainsi,
l'union bancaire qui conduit à une supervision, dont
la Banque centrale européenne sera l'organe, et qui
permettra une résolution des crises, avec une recapitalisation
des banques, c'est une compétence très importante.
Cette solidarité ne pourra aller sans contrôle
démocratique : l'union bancaire qui vise à maîtriser
la finance sera une étape importante de l'intégration
européenne.
Quelle
est la capacité réelle de la France de convaincre
l'Allemagne et les pays réticents d'avancer sur cette
voie ?
Nous avons
pris des décisions ensemble au conseil européen
de juin. Elles ont eu incontestablement des conséquences
favorables : le calme est revenu sur les marchés. La
BCE y a contribué en clarifiant ses modes d'intervention.
Donc, ma position est simple : tout le conseil européen
du 28 juin, rien que le Conseil européen du 28 juin,
mais appliqué le plus vite possible. L'objectif, c'est
de tout régler d'ici à la fin de l'année.
Plus personne aujourd'hui ne pense que l'euro va disparaître
ou que la zone va éclater. Mais la perspective de son
intégrité ne suffit pas. Maintenant, nous devons
sortir de la crise économique.
Donc
l'union politique, ce n'est pas pour maintenant ?
L'union
politique, c'est après, c'est l'étape qui suivra
l'union budgétaire, l'union bancaire, l'union sociale.
Elle viendra donner un cadre démocratique à
ce que nous aurons réussi de l'intégration solidaire.
A quelle
échéance la voyez-vous, cette union politique
?
Après
les élections européennes de 2014. L'enjeu de
cette consultation, ce sera l'avenir de l'Union. C'est la
condition pour mobiliser les peuples et augmenter les taux
de participation autour d'un vrai débat. J'espère
que des partis européens présenteront leurs
propositions aussi bien en termes de contenu, de cadre institutionnel
que de personnalités, pour les porter notamment à
la présidence de la Commission européenne.
AI.
2014 paraît une échéance très raisonnable
pour un objectif de cette ampleur. Encore faudrait-il en discuter
dès maintenant, y compris au niveau de l'opinion. Qui
s'est encore risqué à présenter un projet
de constitution (de texte juridique, si l'on préfère)
pour une union politique de cette nature?
Beaucoup
de voix s'élèvent contre l'objectif du déficit
ramené à 3 % du produit intérieur brut
(PIB). Claude Bartolone, président (PS) de l'Assemblée
nationale, le qualifie même d'"absurde". Un
accord européen est-il possible pour le repousser d'un
an ?
Tous les
pays ne sont pas dans la même situation. Et beaucoup
dépendra de nos choix en matière de respect
des disciplines budgétaires et de croissance. Cette
discussion aura lieu en 2013. Mais pour ce qui concerne la
France, j'ai fixé l'objectif de réduction de
déficit à 3 % pour 2013 et de rétablissement
de l'équilibre des comptes publics en 2017. Pour une
raison simple et qui ne se résume pas à un engagement
européen : de 2007 à 2012, la dette publique
est passée en France de 62 % du PIB à 90 %.
Prolonger cette tendance ne serait pas soutenable.
L'objectif,
il est aussi, à l'échelle de l'Europe, d'harmoniser
les taux d'intérêt dans la zone euro. Politique
monétaire et politique budgétaire doivent se
conjuguer. Et il ne peut être admis, dans un même
espace monétaire que des pays se financent à
1 % à dix ans et d'autres à 7 % ! Il faut éviter
un effet de rente.
Votre
élection a créé des attentes énormes.
Que diriez-vous à un Grec au chômage, sans argent
pour se soigner ?
Que je
ferai tout pour que la Grèce demeure dans la zone euro
et dispose des ressources indispensables d'ici à la
fin de l'année, sans qu'il soit nécessaire d'infliger
de nouvelles conditions autres que celles qui ont été
admises par le gouvernement Samaras.
Mais je
m'adresse aussi aux Espagnols et aux Portugais qui payent
cher les dérèglements commis par d'autres :
le temps est venu d'offrir une perspective au-delà
de l'austérité. L'Espagne doit pouvoir connaître
les conditions précises pour accéder aux financements
prévus par le conseil européen du 28 juin. Et
il n'y a pas lieu d'alourdir la barque.
La France
est le trait d'union entre l'Europe du Nord et celle du Sud.
Je refuse la division. Si l'Europe s'est réunifiée,
ce n'est pas pour tomber ensuite dans l'égoïsme
ou le chacun pour soi. Notre devoir, c'est de poser des règles
communes autour des principes de responsabilité et
de solidarité. Comme Français, ma responsabilité,
c'est de faire en sorte que les Européens soient conscients
d'appartenir au même ensemble.
C'est
ce que vous dites à la chancelière allemande,
Angela Merkel, aussi ?
Oui, mais
elle le sait parfaitement. La preuve, c'est qu'elle est allée
à Athènes.
Etes-vous
inquiet de la résistance croissante, en Allemagne,
à la solidarité avec les pays du Sud ?
Mais nous
participons tous à la solidarité, pas seulement
les Allemands ! Les Français, les Allemands comme tous
les Européens dans le cadre du Mécanisme européen
de stabilité [MES].
Cessons
de penser qu'il n'y aurait qu'un seul pays qui paierait pour
tous les autres. C'est faux ! En revanche, je sais la sensibilité
de nos amis allemands au problème de la surveillance.
Qui paie doit contrôler, qui paie doit sanctionner.
Je suis d'accord. Mais l'union budgétaire doit être
parachevée par une mutualisation partielle des dettes
: à travers les eurobonds.
Je sais
aussi combien pèsent les souvenirs de l'hyperinflation,
transmis de génération en génération
en Allemagne. Les modalités d'intervention de la BCE
évitent tout risque de cette nature, puisque la Banque
centrale vient en appui des décisions prises au sein
du MES. Or, qu'est-ce que le MES, si ce n'est un ensemble
d'Etats ? Donc, la BCE ne créera pas de monnaie lorsqu'elle
viendra en soutien des pays débiteurs. Elle rendra
plus efficace la politique monétaire.
J'ai également
considéré les arguments démocratiques
avancés outre-Rhin. J'admets parfaitement que les parlements
doivent pouvoir autoriser les engagements demandés
aux Etats, aussi bien dans le cadre de l'union budgétaire
que de l'union bancaire. Mais il n'y a pas de temps à
perdre. La France y est prête.
Dans
cette Europe à plusieurs vitesses, quelle place occupera
l'axe Paris-Berlin ? Est-ce le premier cercle ?
C'est
le couple qui permet l'accélération. Et qui,
donc, peut aussi être un frein s'il n'est pas en phase.
D'où la nécessité de la cohérence
franco-allemande. Nous avons un devoir d'union ; il exige
un sens élevé de l'intérêt européen
et, donc, du compromis.
Est-ce
que ce doit être une relation exclusive ? Non ! L'Europe
ne se décide pas à deux. L'amitié franco-allemande
doit agréger, associer, assembler. Je prends garde
de ne pas opposer grands et petits pays, pays fondateurs et
pays nouvellement adhérents. L'Europe a besoin de tous,
elle ne se résume pas à de l'intergouvernemental.
Les institutions communautaires : Commission et Parlement
doivent jouer pleinement leur rôle.
Elle appelle
également une ambition. C'est la vision qui est confiée
historiquement à la France et à l'Allemagne.
Si nous avons été capables de nous unir, nous,
c'est que nous pouvons réussir à le faire tous
! C'est ce que nous rappellerons lors des cérémonies
pour le 50e anniversaire du traité de l'Elysée.
AI.
Si les gouvernements concernés réussissaient
à rapprocher les forces de l'Allemagne et de la France,
un très grand pas serait fait dans la construction
de l'Europe que nous souhaitons ici, une puissance internationale
solidaire, capable de jouer jeu égal avec les Etats-Unis
et la Chine. En bonne logique, la Russie devrait s'y joindre.
Dans
votre relation personnelle avec Mme Merkel, qu'est-ce-que
vous avez appris d'elle ?
Elle est
claire, elle dit les choses... Cela fait gagner du temps.
Et j'ai la même démarche. Alors, ensuite, de
nos points de départ, nous cherchons à trouver
le meilleur point d'arrivée. C'est plus facile avec
des points de départ explicites qu'avec des points
de départ ambigus. Et on ne peut pas reprocher à
Angela Merkel d'être ambiguë ! Certes, nous ne
sommes pas dans la même échelle de temps : je
suis élu depuis cinq mois, et la chancelière
a ses élections dans dix mois, mais ça ne nous
conduit pas à différer les choix.
Et
vous, que lui apportez-vous ?
Posez-lui
la question ! Je pense qu'elle est consciente que l'alternance
en France a créé une nouvelle donne. Elle est
très sensible aux questions de politique intérieure
et aux exigences de son Parlement. Je le comprends : nous
le sommes tous. Nous avons tous notre opinion publique, nos
débats démocratiques. Mais notre responsabilité
commune, c'est de faire prévaloir l'intérêt
de l'Europe.
On
vous présume européen...
Vous faites
bien !...
...
mais pendant la campagne, vous n'avez parlé que du
"rêve français", jamais du "rêve
européen". Quel est votre attachement personnel
à l'Europe ?
L'idéal
européen, il est dans le rêve français.
Les révolutionnaires de 1789 avaient imaginé
une nation ouverte à tous les Européens. Victor
Hugo fut le premier à parler des Etats-Unis d'Europe.
Après la boucherie de 14-18, Aristide Briand plaidait
déjà pour l'Europe au nom de la paix. A la Libération,
pour Jean Monnet comme pour Charles de Gaulle, construire
l'Europe, c'était reconstruire la France. François
Mitterrand a conçu sa présidence au nom de l'Europe.
Je m'inscris
dans cette perspective. Ce que je veux pour mon pays, c'est
qu'il retrouve la fierté et la force de renouveler
la promesse républicaine à la jeunesse. Pourquoi
suis-je européen ? Parce que l'Europe nous permet d'y
parvenir. Et s'il se produit une fracture entre l'Europe et
la patrie, alors le risque est de perdre à la fois
la cohésion nationale et l'idéal européen.
C'est
ce qui s'est passé en 2005, avec le non au référendum
sur le traité constitutionnel ?
C'était
un avertissement sérieux. Il n'a pas été
entendu. L'enjeu, aujourd'hui, c'est de retrouver la confiance
en nous même et en l'Europe. Ce qui nous menace, ce
n'est pas la nation, c'est le nationalisme. Ce n'est pas l'Europe,
c'est son absence.
Prendriez-vous
le risque de voir la Grande-Bretagne quitter l'Europe ?
Je souhaite
un Royaume-Uni pleinement engagé en Europe, mais je
ne peux pas décider à la place des Britanniques.
J'ai observé que, pour le moment, ils souhaitaient
être plutôt en retrait. Les Britanniques sont
liés par des accords auxquels ils ont souscrits. Ils
ne peuvent s'en détacher. Maintenant, ils ont au moins
le mérite de la clarté. La zone euro, l'union
budgétaire : ils n'y sont pas. Je n'entends pas les
forcer.
Quelle
est la plus grande menace qui pèse sur l'Europe ?
C'est
de ne plus être aimée. De n'être regardée
au mieux que comme un guichet austère, où les
uns viendraient chercher des fonds structurels, d'autres une
politique agricole, un troisième un chèque,
au pire comme une maison de redressement. A elle de donner
du sens à son projet, mais aussi de l'efficacité
à ses décisions. Et pourtant, l'Europe reste
la plus belle aventure pour notre continent. Elle est la première
puissance économique du monde, un espace politique
de référence, un modèle social et culturel.
Elle mérite un sursaut pour renouer avec l'espérance.
Le
pire est passé ?
Le pire
c'est-à-dire la crainte d'un éclatement
de la zone euro , oui, il est passé. Mais le
meilleur n'est pas encore là. A nous de le construire.
Propos
recueillis par Sylvie Kauffmann (Le Monde), Angelique Chrisafis
(The Guardian), Berna Gonzalez Harbour (El Pais), Jaroslaw
Kurski (Gazeta Wyborcza), Alberto Mattioli (La Stampa) et
Stefan Ulrich (Süddeutsche Zeitung)