Editorial.
L'Europe
ne se met pas en état de profiter du prochain
affaiblissement
de la Chine et de l'Amérique
Jean-Paul
Baquiast, Christophe Jacquemin - 30/09/2012
Il
ne serait pas impossible que, dans les prochaines années,
la course victorieuse à la domination mondiale,
que beaucoup d'observateurs promettent depuis longtemps
à la Chine, se trouve sérieusement remise
en cause. Dans le même temps, nul ne doute que
le prochain gouvernement américain, quel que
soit le résultat des élections, ne pourra
pas enrayer le déclin de la super-puissance.
Elle n'y échappera qu'en faisant appel à
des solutions de type militaire, y compris dirigée
vers ses propres oppositions internes, qui ne feront
qu'aggraver la situation du monde.
Les
difficultés ainsi prévisibles de ses deux
plus grands concurrents devraient inciter l'Europe à
reprendre sa place parmi les grands acteurs. Malheureusement,
les leaders européens paraissent incapables de
sortir du discours libéral selon lequel les puissances
publiques n'ont pas à s'impliquer dans des politiques
économiques destinées à mobiliser
les énergies (et les épargnes) au profit
des investissements d'avenir.
Concernant
la Chine, ses difficultés à venir
sont dans une certaine mesure la rançon du succès
de son modèle exportateur « dirigiste ».
Pendant des années, les autorités avaient
tout fait pour favoriser l'exportation afin de se procurer
les ressources d'une croissance interne impossible à
obtenir si le continent était resté centré
sur lui-même. Ceci s'était traduit par
une répression de la consommation et la confiscation
des épargnes afin de bâtir les infrastructures
d'une économie moderne. S'y était ajouté
le transfert des populations rurales vers les villes
afin d'alimenter en main-d'oeuvre bon marché
les « ateliers du monde ». La sous-évaluation
du yuan et sa non convertibilité permettaient
parallèlement d'empêcher les capitaux de
quitter la Chine, en conservant les profits de la croissance.
Ce
processus n'était cependant pas durable. Le développement
des exportations et donc des contacts avec les pays
riches, l'implantation concomitante d'entreprises occidentales
profitant des bas salaires, ont entraîné
progressivement la formation d'une petite classe moyenne
très qualifiée et parallèlement
d'une classe ouvrière politiquement en mesure
d'accéder aux standards de consommation et donc
aux salaires ayant cours dans les pays capitalistes.
Face à ce phénomène de fond, le
pouvoir, aussi autoritaire qu'il soit, ne peut réagir
comme précédemment, en comprimant les
revenus et les consommations intérieures. Les
coûts de production s'élèvent donc
et les exportateurs chinois perdent leurs avantages
concurrentiels par rapport, soit à des pays où
la main d'oeuvre reste exploitée et donc plus
compétitive, soit à des entreprises étrangères
qui feront de plus en plus appel à des robots
dont le coût devrait diminuer.
On
peut donc penser que le modèle exportateur chinois
devra être remplacé par un modèle
plus classique, où les investissements et la
consommation devront être financés, comme
dans les grands pays industriels, par la production
de biens et services tournés vers le marché
intérieur (y compris en ce qui concerne la protection
des ressources naturelles locales en grand péril
actuellement). L'exportation en ce cas n'y joue plus
qu'un rôle d'appoint et ne peut résulter
(en dehors de celle des matières premières
dont la Chine ne dispose pas) que de qualités
d'excellence supposant des décennies d'investissements
intellectuels et scientifiques.
Les
Etats-Unis et l'Europe qui disposent de cette expérience
non délocalisable devraient logiquement reprendre
tous leurs avantages par rapport à la Chine,
en l'obligeant à se comporter sur un plan de
juste réciprocité à leur égard.
Cette ouverture sur le monde occidental ne se fera pas
facilement pour la Chine. Elle n'a pas, comme le montrent
les actuels procès en corruption, ni les structures
démocratiques ni la vieille tradition de gestion
publique qui, quoi qu'on en pense, continuent à
constituer un avantage compétitif considérable
au profit notamment des sociétés européennes.
Concernant
les Etats-Unis, l'espèce de descente aux
enfers multiforme qui les affecte actuellement est mieux
connue. Les experts considèrent que ni Obama
ni Romney ne pourront inverser la tendance. Les Européens
devraient devrait donc se préparer à affronter
une Amérique qui plus que jamais ne sera pas
leur solution, mais leur problème. Mais l'Amérique,
rappelons-le, reste et restera longtemps la seule grande
puissance militaire et technologique mondiale, notamment
dans les domaines du contrôle. Même en crise
économique et sociale profonde, cette puissance
pourra continuer à dominer pour les exploiter
les pays qui ne se seront pas donné les moyens
d'y faire face. La Russie semble l'avoir à nouveau
compris, comme certainement aussi la Chine. Ce n'est
pas le cas de l'Europe, de plus en plus affaiblie par
son sous-investissement chronique dans les technologies
avancées et les systèmes intelligents,
civils et militaires.
Si
les Européens voulaient vraiment profiter de
l'affaiblissement, passager ou durable, de ses deux
grands compétiteurs, la Chine et l'Amérique,
ce serait donc d'abord en relançant de tels investissements
technologiques qu'elle pourrait le faire. Elle n'en
prend pas le chemin. Pour cela, s'acharner à
réduire une dette publique « mythique »
et à vendre au privé les acquis industriels
et scientifiques chèrement acquis depuis des
décennies constitue la façon la plus suicidaire
de procéder.
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