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Gravity's
Engines.
How Bubble-blowing Black Holes rule Galaxies, Stars and Life
in the Cosmos
par Caleb Scharf,
Farrar, Straus and
Giroux 2012
Présentation
par Jean-Paul Baquiast 17/09/2012
Caleb
Scharf dirige le centre d'astrobiologie de l'université
de Columbia. Il s'agit d'un astrophysicien dont les recherches
concernant, notamment, l'interprétation satellitaire
des émissions radio attribuées aux trous noirs
font autorité. De plus, c'est un formateur et vulgarisateur
aussi passionné que passionnant. Il fait découvrir
à un large public les problématiques les plus
récentes de sa discipline, malgré leurs aspects
apparemment les plus ésotériques.
Grâce au livre qu'il vient de publier, « Gravity's
Engines », le lecteur apprend à jeter
sur la physique de l'espace-temps, et sur les trous noirs
qui en sont la manifestation la plus extrême, un regard
renouvelé. Là où l'on voyait généralement
des phénomènes exotiques, voire des constructions
hypothétiques, il montre que les trous noirs de toutes
tailles qui peuplent notre univers n'ont pas le rôle
un peu négatif qui leur est généralement
attribué.
Il ne s'agit pas seulement de puits gravitationnels dans lesquels
s'engouffreraient pour ne plus en ressortir tant la matière
visible que la matière noire. Ce sont aussi, comme
l'indique le titre, des machines ayant construit les structures
du cosmos, sous forme notamment d'émission de matière-énergie
extrêmement puissantes. Celles-ci ont influencé
la formation d'amas galactiques, de galaxies et de systèmes
analogues à notre système solaire. Leur activité
a perdu de sa force au fur et à mesure que vieillissait
l'univers primitif ayant résulté du Big Bang.
Mais elle demeure encore très présente de nos
jours.
L'auteur n'hésite pas à faire l'hypothèse
que le trou noir super-géant dont la présence
est dorénavant admise au coeur de la Voie Lactée
a pu jouer et joue encore un rôle essentiel pour participer
à l'apparition de systèmes stellaires ressemblant
au nôtre, présentant un certain nombre de conditions
favorables à la présence de planètes
habitables.
Un tel trou noir permettrait en effet que les nuages de gaz
et de poussières émis en « sous-produit »
de la matière qu'il absorbe par accrétion comportent
des molécules nécessaires (C, Fe) à l'apparition
de la vie. Ainsi la synthèse des premières briques
de la chimie organique n'aurait pas eu besoin d'attendre pour
trouver des conditions favorables le long processus, se comptant
en milliards d'années, par lequel les étoiles
en fin de vie rejettent dans le milieu les produits de leurs
nucléosynthèses. Pourquoi la vie terrestre,
comme d'autres formes de vie susceptibles de se trouver dans
l'un quelconque des cent milliards de systèmes solaires
de la galaxie, n'aurait-elle pas bénéficié
du rôle accélérateur joué par le
trou noir central, ou par d'autres trous noirs plus petits,
se trouvant également dans la Voie Lactée.
Aussi intéressante que soit cette hypothèse,
nous devons dire qu'elle n'apparait qu'en fin du livre, sous
forme si l'on peut dire de cerise sur le gâteau. L'essentiel
de l'ouvrage présente nous l'avons dit les hypothèses
relatives à l'existence des trous noirs, en application
des principes de la gravitation newtonienne entièrement
refondue par les modèles de l'espace-temps einsténien.
A gauche, la radio-galaxie 4C41.17 que l'auteur a contribué
à découvrir. On estime qu'un trou noir massif
en rotation dans le coeur de cette galaxie lointaine est responsable
des deux jets de particules à la source des émissions
radio (Image Chandra X.Ray observatory. Voir http://chandra.harvard.edu/photo/2003/4c41/
) Les photons X ainsi reçus sur l'écran ont
voyagé plus de 8 milliards d'années dans notre
espace-temps. Si nous pouvions prendre une phote de 4C41.17
telle qu'elle est devenue à la date de ce jour, il
nous faudrait attendre 8 milliards d'années sinon plus
(avec l'expansion) pour pouvoir l'étudier....
Caleb
Scharf ne se borne pas à des présentations mathématiques.
Il relate par le détail les acquis apportés
par les récentes observations, orbitales et terrestres,
portant sur les émissions en micro-ondes et en rayons
X permises par les instruments que la Nasa et dans une moindre
mesure l'Esa ont mis ces dernières années à
la disposition des astrophysiciens. Les résultats ainsi
obtenus par les jeunes générations de chercheurs
paraissent aller de soi. Mais l'auteur, sans d'ailleurs trop
y insister, montre les énormes problèmes, tant
pratiques que théoriques, qui ont du être résolus
pour tirer des conclusions utiles de la jungle d'émissions
les plus diverses, des plus anciennes au plus récentes,
dont la Terre est constamment bombardée.
1% d'inconnu
Nous ne
pouvons pas résumer ici ce livre, qui est trop riche
pour l'être en quelques paragraphes. Il faut le lire
en détail, avec sous la main la masse considérables
d'informations complémentaires apportées sur
le sujet par les différentes entrées de Wikipedia.
Autrement dit, il y a là plusieurs journées
de travail pour un esprit curieux souhaitant commencer à
se doter d'idées pertinentes concernant la physique
des trous noirs et toutes les conséquences pouvant
en découler, non seulement sur la cosmologie mais aussi
sur la physique quantique.
Ce seraient évidemment de bien plus longues heures
qui seraient nécessaires pour tenter de prendre un
peu de recul sur ces connaissances, dont Caleb Scharf dit
qu'elles sont fiables à 99% mais qu'elles laissent
un « immense » 1% d'inconnu, au sein
duquel pourraient se trouver de futures observations et hypothèses
susceptibles de bouleverser une fois de plus la physique du
21e siècle.
Les points qui demeurent encore en discussion sont, comme
on le devine, relatifs à ce que suggéreront
les recherches intéressant la gravitation quantique,
dont on annonce régulièrement les prochaines
découvertes, sans que rien de décisif n'ait
encore été produit. Ce sera sans doute dans
cette direction que l'on pourra répondre à des
questions apparemment simples comme celles concernant le devenir
de la matière absorbée par les trous noirs,
ou l'origine de la matière en provenant: autrement
dit quelle réalité peut-on attribuer au concept
de singularité, dont l'étude du cosmos primordial
et celle des trous noirs a montré l'efficacité?
Mais il faudra ne pas oublier l'observation. L'auteur décrit
les nouveaux instruments qui seraient nécessaires pour
résoudre, à peu de frais peut-on dire, d'immenses
problèmes encore pendants. Or nos sociétés
prétendent ne plus avoir d'argent pour de telles dépenses.
Elles ne se privent pas cependant de gaspiller leurs ressources
dans des directions autrement moins productives.
Caleb
Scharf admire à juste titre que l'esprit scientifique
moderne ait pu forger des hypothèses s'étant
révélées opératoires à
propos de concepts aussi diffus. Mais peut-être devrait-il
insister sur une question encore plus fondamentale. Il s'agit
des limites temporaires voire permanentes empêchant
nos cerveaux et les instruments conçus par eux d'envisager
des perspectives se situant radicalement en dehors de l'acquis
des connaissances actuelles. Des intelligences artificielles
du futur le pourront-elles demain?
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Remarquons
en conclusion que des milliards d'humains se battent encore
aujourd'hui pour s'imposer les uns aux autres des conceptions
du monde héritées du Moyen-Age, qu'ils considèrent
comme sacrées, c'est-à-dire immunisées
contre toute critique. On peut penser avec un rien d'optimisme
que s'ils avaient les connaissances linguistiques et scientifiques
minimum permettant de comprendre un livre tel que celui de
Caleb Scharf, les moins excités d'entre eux pourraient
revenir à la raison et s'intéresser sérieusement
à l'avenir de notre planète. La science nous
montre que celle-ci, comme l'ensemble du système solaire,
voit dorénavant ses espérances de vie et de
découvertes inexorablement limitées. Il serait
temps d'en profiter avant de mourir idiot.
Pour en savoir plus
* Le blog de l'auteur http://lifeunbounded.blogspot.fr/
* Caleb Scharf par lui-même http://blogs.scientificamerican.com/network-central/2012/01/31/introducing-sciamblogs-bloggers-caleb-scharf/
* Black Hole http://en.wikipedia.org/wiki/Black_hole
* Animation The Hubble Site http://hubblesite.org/explore_astronomy/black_holes/
* Interview de l'auteur par The Economist
http://www.economist.com/blogs/babbage/2012/08/qa-caleb-scharf