Sciences,
Technologies et politique
Perspectives pour une Fédération euro-russe
(version provisoire)
Jean-Paul Baquiast
25 Août 2012
Beaucoup
d'Européens considèrent qu'un partenariat stratégique
avec la Russie s'impose désormais, d'autant plus que
l'influence américaine qui déterminait jusqu'alors
les politiques européennes est en train de reculer
sur de nombreux domaines. Par partenariat stratégique,
on pourrait entendre une gamme d'accords possibles, d'abord
économiques mais ensuite politiques. Ceci pourrait
aller jusqu'à un rapprochement qui ferait de la Russie
un membre de l'Union européenne doté d'un statut
spécial - et parallèlement ferait de l'Union
européenne un membre lui-aussi spécial de la
Fédération de Russie. Pour simplifier, on parlera
de la création d'une Fédération ou Union
Fédérale euro-russe.
Mais la
Russie est-elle devenue suffisamment proche culturellement
et politiquement de l'Europe pour d'une part rechercher une
alliance européenne (il ne suffirait pas que l'Europe
s'intéresse à la Russie. Il faudrait aussi que
celle-ci s'intéresse à l'Europe) et d'autre
part apporter dans une telle alliance des éléments
qui renforceraient le poids géostratégique des
deux ensembles, c'est-à-dire finalement de l'Europe
elle-même, au sein de la future Fédération
euro-russe
Pour rassembler
des éléments de réponse à cette
question, il faut d'abord dans une première partie
s'efforcer de porter un jugement aussi dépourvu d'idéologie
que possible sur l'état actuel de la Russie et son
évolution probable dans les prochaines années.
Nous supposerons ici connues du lecteur les forces et les
faiblesses de l'Europe.
Dans une
seconde partie, nous examinerons ce que pourraient être
les structures et les politiques qu'adopterait une éventuelle
Fédération euro-russe.
1.
L'état de la Russie
Cette
question fait évidemment l'objet de multiples commentaires
de la part des chroniqueurs politiques. Que pourrions nous
suggérer pour notre part? Pour simplifier, limitons-nous
à décrire les forces et les faiblesses contemporaines
de ce qu'il convient encore d'appeler l'« Empire russe
»
Mais pourquoi
ce terme d'Empire. Si l'on admet que le monde actuel, devenu
multipolaire, est un lieu de confrontation entre un certain
nombre de grands ensembles organisés sous forme d'empires
plus ou moins monolithiques, à la recherche des sources
de la puissance, on distinguera trois de ces empires, disposant
de forces et de faiblesses spécifiques: l'Amérique,
la Chine et la Russie. On y ajoutera la nébuleuse des
Etats se rattachant à l'islam qui s'efforcent de plus
en plus de s'organiser en empire global, sous le vocable d'émirat.
L'Europe pour sa part, malgré son organisation politique
encore éclatée, conserve un poids suffisant
pour pouvoir d'une certaine façon être regardée,
sinon comme un empire, du moins comme une puissance potentiellement
capable de jouer sa partition dans le monde multipolaire.
Or, considérée
comme un empire et confrontée à l'Amérique
et à la Chine, voire à l'Europe, la Russie fait-elle
encore le poids? On lui reconnaît aujourd'hui un certain
nombre d'éléments de puissance. Le premier est
un territoire immense, doté de richesses naturelles
considérables dont une grande part reste encore inexploitée.
Cet avantage devrait devenir de plus en plus grand, avec les
transformations climatiques du monde. Les 9 mois d'hiver qui
pour le moment encore pèsent d'un poids très
lourd dans les activités russes devraient céder
la place à des conditions plus favorables à
une croissance mieux équilibrée.
Un autre
élément de force tient à la persistance
d'une cohésion socio-politique certes peu favorable
pour le moment encore aux libertés individuelles mais
qui permet d'assurer l'unité de l'ensemble de l'Empire
dans ses confrontations avec le reste du monde. Il s'agit
d'un élément de puissance dont les Européens
encore partagés en multiples centres de pouvoir se
neutralisant au lieu de s'unir ne mesurent pas suffisamment
l'influence.
Cette
cohésion est assurée par un accord implicite
entre trois pouvoirs ou plus précisément entre
trois oligarchies: le pouvoir de l'Etat et de son administration
militaire et civile, le pouvoir de la couche dite en Russie
des « nouveaux riches », extrêmement réduite
en termes d'effectifs mais qui détient désormais
presque tous les leviers économiques, et le pouvoir
de l'Eglise orthodoxe russe. Celle-ci, après une éclipse
plus apparente que réelle sous le régime communiste,
a repris les moyens dont elle disposait depuis des siècles
pour s'imposer à des populations restées profondément
traditionalistes et peu éclairées, au sens que
nous donnons en France à ce terme hérité
de l'ère des Lumières. Chacun a pu constater
lors de la sanction disproportionnée ayant fait suite
au procès des Pussy Riot, que l'Etat représenté
par le président Poutine et l'Eglise représentée
par le patriarche Kirill agissaient main dans la main, pour
contrer les rares activistes occidentalisés contestant
cette alliance entre l'Etat et la religion.
La presse
occidentale a parlé à l'occasion de ce procès
d'une dérive autoritaire de la Russie. Mais c'était
oublier d'une part que l'autoritarisme est aussi très
répandu à l'Ouest, notamment aux Etats-Unis
et d'autre part que l'union de l'Etat et de l'Eglise représente
encore un très ancien partage de pouvoir, ayant toujours
fait la force de l'Empire. On se souviendra que Staline lui-même,
à la veille de la grande offensive allemande contre
Moscou, en avait appelé aux forces réunies de
l'armée soviétique et de la religion. Cela peut
surprendre en France, mais il est clair qu'aujourd'hui, les
mêmes alliances entre l'Etat, les oligarchies économiques
et les forces religieuses sont mobilisées aux Etats-Unis
pour assurer le succès tant des Démocrates que
des Républicains.
Quant
aux oligarques représentés par les nouveaux
riches qui tiennent en mains tous les leviers économiques,
ils n'ont qu'un désir, se concilier les faveurs de
l'Etat et de l'Eglise, y compris par la corruption, sans les
attaquer de front. Ainsi pourront-ils continuer à mener
tranquillement leurs affaires, sans craindre l'émergence
d'une classe moyenne encore embryonnaire dont les exigences
d'un accès aux produits de la croissance les empêcheraient
d'en profiter tranquillement.
Les
faiblesses
En contrepartie
de ces éléments de puissance, la Russie souffre
de faiblesses qui, si elles ne sont pas traitées rapidement,
risquent d'en faire l'homme malade des prochaines décennies.
Il est clair que ces faiblesses si elles devaient persister
constitueraient autant d'obstacles à un éventuel
rapprochement fédéral entre l'Europe et la Russie,
pour la raison simple que l'Europe souffre dans certains cas
un peu des mêmes maux.
La liste
en est longue. Il s'agit d'abord d'une situation démographique
inquiétante: baisse de la natalité et situation
sanitaire sans grande perspective d'amélioration, due
notamment à l'abus de l'alcool, du tabac et des drogues
qui affecte particulièrement les hommes. Il en résulte
que les Russes ne peuvent pas assurer dans leurs provinces
orientales et septentrionales une densité de population
permettant de s'opposer à la pression démographique
de la Chine et des autres pays asiatiques. Des immigrations
massives devraient en résulter, qui affecteraient profondément
la cohésion de l'Empire ayant fait sa force jusqu'à
ce jour. Cette faiblesse démographique, qui ressemble
d'une certaine façon à celle de l'Europe, est
d'autant plus préoccupante qu'elle ne pourra recevoir
de remèdes à l'échelle du présent
siècle.
Une autre
faiblesse de la Russie tient à ce que l'on pourrait
appeler son addiction récente et sans contre-pouvoirs
au néolibéralisme mondial. Si rien n'est fait,
l'entrée prochaine de l'OMC ne fera qu'aggraver les
risques. Certes la Russie ne pouvait demeurer un monde protectionniste
fermé aux influences extérieures. Mais si l'ouverture
se poursuit d'une façon aussi « sauvage »
que celle ayant suivi les précédentes vagues
de privatisation, les bénéficiaires en seront
la classe des nouveaux riches déjà évoqués.
Or ceux-ci sont organisés pour détourner à
leur profit la plupart des bénéfices provenant
notamment de la commercialisation des potentiels économiques
dont dispose encore la Russie, pétrole et gaz et matières
premières. Ils ne s'en servent pas, comme cela s'est
longtemps fait, soit aux Etats-Unis soit en Europe (dans le
cadre du capitalisme industriel dit rhénan ou dans
les services publics à la française) pour investir
dans des équipements de long terme, dans la recherche
et dans la mise au point de nouvelles technologies et applications
productives.
En dehors
de quelques améliorations spectaculaires dans les grandes
villes, profitant d'ailleurs quasi exclusivement aux nouveaux
riches, les infrastructures demeurent incapables de faire
face aux besoins d'un pays aussi grand. Parallèlement,
dans tous les secteurs, même dans le domaine jusqu'ici
privilégié du militaire et du spatial, les recherches,
qu'elles soient fondamentales ou appliquées, périclitent,
de même que la formation. Il en est de même du
potentiel industriel de base, qui ne se renouvelle pas. Ce
n'est évidemment pas le cas dans les pays asiatiques,
en premier lieu chez le concurrent chinois. Pourquoi ce manque
d'intérêt pour le long terme? Parce que les nouvelles
oligarchies de nouveaux riches préfèrent placer
leurs épargnes dans des paradis fiscaux ou aux mains
de diverses maffias, quand il ne s'agit pas de les consommer
d'une façon dont ne profitent que les pays rivaux de
la Russie.
En Europe,
malgré de grandes difficultés, ce qui demeure
des administrations centrales ou locales et des services publics
s'efforcent, avec l'appui électoral des classes moyennes,
de maintenir un flux minimum de formation et d'investissements
productifs ou de recherche. Mais en Russie, les classes moyennes
n'existent pas, du fait de la confiscation des gains de productivité
par les oligarchies de nouveaux riches. Par ailleurs, ces
mêmes oligarchies ont réussi, en généralisant
la corruption à tous les niveaux, à neutraliser
les quelques pouvoirs administratifs et politiques qui auraient
pu s'opposer à elles au nom de l'intérêt
général collectif, systématiquement présenté
comme un retour au stalinisme. Ajoutons que l'Eglise orthodoxe
a pour sa part renoncé à tout message évangélique
de portée générale, se bornant à
reconquérir les éléments de son ancienne
puissance matérielle, y compris à travers des
placements à l'étranger. Toutes choses égales
d'ailleurs, on pourrait dire que la Russie, à une toute
autre échelle, souffre des mêmes maux que la
Grèce actuelle, rongée par une oligarchie vivant
et investissant à l'étranger, par une administration
corrompue et par une Eglise au seul service de ses intérêts
patrimoniaux.
Il est
clair que si un éventuel rapprochement politique avec
l'Europe se bornait, tant en Russie qu'en Europe même,
à encourager au nom du néolibéralisme
le pillage des ressources nationales par les oligarchies mondialisées,
rien de bon ne pourrait en sortir.
La
guerre souterraine de l'Amérique contre la Russie
Les éléments
négatifs, que nous venons de résumer, handicapant
le développement de la Russie en tant que puissance
indépendante, découlent en partie de la guerre
souterraine que continue de mener, vingt ans après
la fin officielle de la guerre froide, l'empire américain
contre ce qui fut longtemps son grand rival, l'empire russe.
La Russie, à cet égard, ressemble là-encore
beaucoup à l'Europe. Les Etats-Unis, comme ils l'ont
toujours fait, consacrent ce qui leur reste de puissance géostratégique
à empêcher qu'apparaissent à leurs frontières
des ensemble politiques indépendants capables de limiter
ou menacer leur influence. Ils sont pratiquement désarmés
aujourd'hui face à la Chine mais les Européens
clairvoyants savent que, dès la fin de la seconde guerre
mondiale, les pouvoirs américains ont orienté
la construction de l'Union européenne de façon
à en faire un relais pour leurs intérêts
géostratégiques. Aujourd'hui, ils continuent
à le faire, d'une façon moins évidente
mais tout aussi efficace, grâce aux appuis dont ils
bénéficient dans les milieux européens
atlantistes estimant plus profitables de conserver le statut
de satellite plutôt qu'acquérir celui de compétiteur.
Or contrôler la Russie, non seulement économiquement
mais politiquement constitue pour les Etats-Unis un enjeu
d'une toute autre importance, mais aussi d'une toute autre
difficulté, que contrôler l'Europe. On peut considérer
qu'ils y mettent aujourd'hui une grande part de leurs forces
à l'international.
Bien que
disposant d'une puissance militaire encore sans égale,
les Etats-Unis ne peuvent espérer se confronter directement
à la force nucléaire stratégique russe,
y compris à sa composante navale. On vient ainsi de
découvrir qu'un sous-marin nucléaire du dernier
modèle, de la classe Akula, aurait cet été
patrouillé quelques jours ou semaines sans être
détecté dans le golfe du Mexique. Par contre
ils disposent de tous les éléments du pouvoir
économique et surtout du soft power qui manquent aux
Russes. Philippe Grasset emploie le terme de "violence
douce". La cible en est en priorité la jeunesse
issue des classes moyennes encore embryonnaires que séduit
non sans raison les modes de consommation, les productions
culturelles et la liberté d'expression dont, mieux
encore que l'Europe, l'Amérique semble être la
référence mondiale.
Face à
ce soft power, il faut bien reconnaître que les vieux
éléments de la cohésion russe, énumérés
précédemment, notamment l'Etat et l'Eglise orthodoxe,
paraissent assez désarmés. Quant aux nouveaux
riches, à condition de ne rien céder de leurs
sources patrimoniales de puissance, ils sont prêts à
participer avec les oligarchies anglo-saxonnes et européennes
à un éventuel partage du pouvoir sur le monde,
partage à l'occasion duquel le vieux souci d'indépendance
politique de la Russie pourrait être sacrifié.
Les efforts
de la diplomatie américaine et des éléments
plus diffus de soft power utilisés par les Etats-Unis
pour affaiblir la Russie se sont accrus depuis la fin de l'URSS.
Les maladresses et erreurs du gouvernement russe, avant l'arrivée
de Vladimir Poutine à la présidence, ont évidemment
facilité le jeu des Etats-Unis pour détacher
de l'influence de Moscou, entre autres, les républiques
de Georgie et d'Ukraine. Mais aujourd'hui, sur le territoire
même de la Russie, notamment dans les deux capitales
de Moscou et Saint Petersbourg, il n'est un secret pour personne
que de nombreuses organisations financées plus ou moins
directement par les services et ONG américaines, constituées
d'activistes russes, jouent un rôle considérable
pour contrer l'action du pouvoir gouvernemental russe. Il
s'agit d'une sorte de cercle vicieux, car plus le pouvoir
central de Moscou accepte de se libéraliser, plus dans
un premier temps tout au moins il donne d'ouvertures à
des oppositions intérieures en partie activées
par l'Amérique.
L'influence
du soft power américain n'est pas entièrement
négatif, en ce sens qu'il contribue puissamment à
l'ouverture sur l'extérieur et à un début
de démocratisation du combat politique. Mais on comprend
cependant que le Kremlin soit de plus en plus réticent
à le laisser faire. Le gouvernement utilise malheureusement
pour contrer les effets du soft power américain des
moyens d'intimidation et de répression qui rappellent
fâcheusement la dictature soviétique, même
si l'ampleur en est bien moindre. C'est finalement ce que
recherche peut-être en sous-mains la stratégie
américaine visant à l'affaiblissement de la
Russie. C'est toute la démocratisation en profondeur
de la société russe, y compris à travers
le rôle croissant de l'Internet au sein des classes
moyennes, qui s'en trouve retardée.
Il est
clair que si l'Europe, soumise de plein fouet au soft power
américain, notamment dans les Etats orientaux ex-satellites,
ne réussit pas à s'en débarrasser pour
adopter des politiques plus autonomes, le gouvernement russe
actuel, qui cherche précisément sa voie vers
plus d'autonomie, ne sera pas incité à se rapprocher
d'une Europe qui serait un simple relais de l'influence américaine.
Mais les rapports de force semblent en train de changer. La
Pologne paraît ainsi actuellement soucieuse de prendre
ses distances avec les pressions américaines au sein
de l'Otan visant à faire adopter un BMDE (système
de défense anti-balistique) prétendument orienté
contre l'Iran mais destiné en fait à relancer
un vieux programme de guerre des étoiles dirigé
contre la Russie. La Pologne, en termes très prudents,
a évoqué la perspective d'une défense
européenne qui serait essentiellement européenne,
à la charge notamment de la France, de l'Allemagne
et d'elle-même. On a parlé de réactiver
le "triangle de Weimar". L'Amérique a violemment
réagi. Mais pour que de tels projets deviennent crédibles,
ils devraient effectivement être repris et partagés
par les grands Etats européens, notamment par la France
socialiste. On pourrait alors envisager des coopérations
stratégiques euro-russes, au sein d'une éventuelle
Union fédérale entre les deux ensembles, thème
que nous dorénavant aborder.
2.
Structures et politiques qu'adopterait une éventuelle
Fédération euro-russe
Un rapprochement
stratégique, pouvant aller jusqu'à la mise en
place entre l'Union européenne et la Russie d'une véritable
structure fédérale, fut-elle très limitée
à ses débuts, ne pourrait se produire que si
les deux empires y trouvaient chacun des avantages propres.
Nous pouvons admettre que si les pays européens (plus
exactement l'eurozone) pouvaient ainsi s'adosser à
un grand ensemble géographique, aux ressources potentielles
considérables, ils y gagnerait précisément
ce qui leur manque encore pour devenir une puissance capable
de tenir tête à la Chine et à l'Amérique,
dans la mesure où celle-ci continuera à empêcher
leur développement. La démarche encouragerait
par ailleurs en Europe les efforts de mutualisation de type
fédéral interne qui manquent encore à
des pays réticents à se rapprocher en profondeur.
En contrepartie, la Russie pourrait trouver en Europe les
ressources en savoirs-faire scientifiques, industriel, économiques
et gestionnaires qu'elle n'a jamais eu ou qu'elle a laissé
perdre. Enfin, la démocratie politique européenne,
unique au monde, représente un atout de puissance irremplaçable,
dont la Russie pourrait progressivement s'inspirer.
Comment
concrètement envisager la mise en place d'une éventuelle
Fédération euro-russe? Il s'agirait nécessairement
d'une démarche à la fois très progressive,
et ne modifiant que marginalement les deux ensembles partenaires.
Néanmoins les domaines choisis devraient être
suffisamment significatifs et porteurs d'effets positifs pour
jouer un rôle d'entraînement.
Sur le
plan des structures, autrement dit des institutions, il serait
intéressant d'envisager dès le début
ce qui manque encore à l'Union européenne, un
président et un parlement élus au suffrage universel,
aux termes de débats aussi démocratiques que
possible. Leurs compétences seraient nécessairement
limitées, mais l'effet d'entraînement serait
considérable.
Par ailleurs,
un exécutif, analogue au conseil des ministres européen,
serait mis en place, doté d'un budget et de services
administratifs suffisants pour mener des actions (ou politiques)
communes.
Les questions
monétaires et de change étant enfin très
importantes, il faudra décider de politiques communes
entre la Banque centrale européenne, les banques de
l'union et leurs homologues au sein de la fédération
de Russie.
Des
politiques communes
Il paraît
indispensable que ces politiques s'affranchissent délibérément
des contraintes de la globalisation imposées par les
oligarchies néo-libérales aux Etats du monde.
L'objectif de l'union fédérale euro-russe envisagée
ici serait au contraire de sortir du Système, système
de domination empêchant les Etats de valoriser eux-mêmes
leurs propres ressources, d'investir et de créer de
l'emploi au profit de leurs populations.
La taille
et la puissance de la future union euro-russe devrait dans
ces conditions lui permettre de mettre en place un ensemble
de réglementations fiscales, douanières, de
protection sociale, de sauvegarde de l'environnement capables
d'en faire ce que n'est pas encore l'Europe, une véritable
puissance autonome (on pourra parler de forteresse) et non
pas un espace ouvert à la concurrence des pays ne respectant
aucune de ces normes.
Au sein
de cet ensemble protégé pourraient être
définies des politiques d'investissements technologiques
et scientifiques auxquels seraient affectés notamment
les bénéfices des exportations. On mentionnera
l'immense domaine de l'espace civil et militaire (où
la Russie est en train de perdre rapidement ses compétences),
celui des industries de défense ou plus exactement
des industries dites duales, à applications civiles
et militaires, celui des grands travaux d'infrastructure et
de transport qui manquent encore à la Russie, et bien
évidemment tous les domaines intéressant les
technologies et sciences émergentes, dont nous ne ferons
pas la liste ici. Les Etats-Unis par différentes voies
s'en sont donné la maîtrise, la Chine y vise
aussi, sans mentionner les autres « tigres » asiatiques.
Si l'Europe et la Russie ne s'allient pas pour récupérer
leur retard et suivre le mouvement, il en sera fini de leur
indépendance géopolitique dans le monde de demain.
On ajoutera à cette liste déjà longue
la question de l'intelligence artificielle appliquée
à la traduction des langues en temps réel. Les
différentes nations européennes et la Russie
disposent de nombreuses similitudes culturelles. Mais elles
ne s'exprimeront pas pleinement tant qu'elles se heurteront
à la barrière des langages. Résoudre
ces difficultés devrait donc devenir pour ces pays
une priorité vitale.
Quels moteurs socio-politiques ?
Nous avons
rappelé que la Russie, comme dans une moindre mesure
l'Europe, est dirigée implicitement par plusieurs oligarchies
qui se donnent la main pour capturer à leur profit
les valeurs ajoutées produites par le travail des populations
de la base. Il s'agit des élites (dites aussi nouveaux
riches en Russie), des administrations au triple niveau des
Etats, des régions et des collectivités locales,
ainsi finalement que des médias dits officiels. Des
forces conservatrices, comme celles des Eglises et religions
(y compris l'islam), en Russie et en Europe, pèsent
généralement par ailleurs pour que les équilibres
de pouvoir dont elles bénéficient ne changent
pas.
Comment
dans ces conditions espérer que ces équilibres
puissent évoluer, dans le sens esquissé ici?
Il ne s'agirait pas d'envisager des mesures de type révolutionnaire
classique, qui seraient étouffées dans le sang,
tant en Russie qu'à l'Ouest. On peut par contre compter
sur le développement dans les populations des échanges
au sein de réseaux sur le type de l'Internet, qui jouent
déjà un rôle considérable pour
la maturation des idées au sein des classes moyennes
et populaires. Le pire peut évidemment en provenir,
comme le meilleur. Il semble cependant que globalement de
tels réseaux jouent au plan d'ailleurs mondial un rôle
important pour des prises de conscience et des mobilisations
globales. Les oligarchies elles-mêmes seront obligées,
dans leur propre intérêt, d'en tenir compte.
C'est
en tous cas dans cette perspective que nous publions, malgré
ses insuffisances, le présent article.
Ajoutons
un dernier argument. Si le rapprochement entre Russie et Europe
évoqué ici parait aujourd'hui, et à échéance
de quelques années, hautement improbable, il n'en sera
pas de même dans la décennie et au-delà.
On peut anticiper des difficultés croissantes, pour
le monde entier comme pour cette partie du monde, telles que
les nécessités de survie imposeront ce qui semble
aujourd'hui encore utopique. Dans cette perspective, il serait
logique que la Russie et l'Europe se rapprochent préférentiellement,
puisque partageant le même continent et des cultures
voisines. Il n'en serait pas de même d'un rapprochement
avec les autres composantes du BRIC (Brésil, Inde,
Chine) dont les intérêts et les stratégies
sont beaucoup plus dispersées, sinon contradictoires.
Mais il ne faut pas se faire d'illusions. Une telle alliance
stratégique ou politique entre Russie et Europe (eurogroupe)
suscitera l'hostilité la plus déterminée
des Etats-Unis et de leurs alliés anglo-saxons. Il
ne faudra pas s'attendre à des jours paisibles.
Sources
Pour s'informer sur la Russie, on peut consulter, avec les
précautions d'usage:
* The Moscow News http://themoscownews.com/
*The Moscow Times
http://www.themoscowtimes.com/
* Ria Novosti http://fr.rian.ru/