Editorial.
Mars.
Pourquoi l'Amérique et pas l'Europe?
Jean-Paul
Baquiast, Christophe Jacquemin 06/08/2012
08hGMT
http://www.nasa.gov/externalflash/mars/curiosity_news3.html
http://www.esa.int/esaCP/index.html
Voir aussi Mars Daily (images reçues peu après
l'amarsissage de Curiosity)
http://www.marsdaily.com
http://www.marsdaily.com/reports/NASA_Lands_Car_Size_Rover_Beside_
Martian_Mountain_999.html
http://www.marsdaily.com/reports/Mars_landing_unprecedented_feat_of_
technology_Obama_999.html

Le cratère Gale (image Esa)
L'amarsissage
réussi du robot Curiosity(1), qui a été
annoncé par la Nasa ce matin du 6 août,
est un exploit remarquable qu'il faut saluer.
Il pose cependant une question qui devrait être
cruciale pour tous les Européens : pourquoi les
Américains et pas nous ? Qu'ont-ils de plus que
nous?
On dira qu'une telle question ne devrait même
pas être évoquée. Le succès
de la Nasa devrait être celui de l'ensemble de
l'humanité. Certes, mais qui en ce cas incarne
le succès de l'humanité, sinon les Etats-Unis
? Demandez aux Chinois ce qu'ils en pensent. Ils consentent
des sacrifices importants pour avoir le plus tôt
possible, eux aussi, un robot sur Mars. On ne peut pas
séparer les succès scientifiques de ceux
qui en sont les premiers responsables, les pays et les
civilisations qui les rendent possibles.

L'une des premières image reçue après
l'amarsissage de Curiosity
On voit à droite une des roues du robot, ainsi
qu'à gauche quelques cailloux du sol martien.
La surexposition du haut de l'image est due au soleil
Or
l'Europe, représentée par l'Esa, malgré
des réalisations non négligeables dans
l'espace, et plus particulièrement concernant
l'exploration de Mars (la sonde Mars Express, le futur
robot Exomars prévu pour 2018 sic- ) est
loin derrière la Nasa, tant en termes d'ambitions
que de moyens. C'est le concept même d'Europe,
puissance capable de hauts faits scientifiques, qui
en est éclipsée, au détriment de
l'image d'une Europe déchirée par les
compétitions politiques et économiques.
Mais pourquoi l'Amérique et pas l'Europe ?
En termes de produit national et de populations, les
deux ensembles continentaux sont très comparables.
Pour eux, le coût d'un projet tel que le Mars
Science Laboratory (Curiosity), soit à peu près
$2,5 milliards, est globalement négligeable,
au regard de ce qu'ils dépensent par ailleurs.
Pourquoi donc l'Amérique consacre-t-elle donc
10 à 20 fois à l'espace les crédits
que les pays européens, tous réunis, y
consacrent. Rappelons que le budget de la Nasa, malgré
des réductions imposées par Barack Obama,
est d'environ $20 milliards, contre environ 5 pour l'ESA.
De plus, le département de la défense
américain affecte à l'espace militaire
des sommes (difficiles à estimer) qui sont sans
doute 50 fois supérieures à celles des
pays européens. Or dans l'espace les investissements
sont nécessairement duals, profitant autant aux
civil qu'au militaire.
Alors pourquoi ce manque d'intérêt européen
pour l'espace ?
Plusieurs raisons y concourent. En les énonçant,
on fait apparaître ce qui est et demeurera le
vrai drame de l'Europe, dans la compétition en
cours entre grands ensembles géostratégiques,
au sein d'un monde appauvri.
L'histoire. Depuis 80 ans, les dépenses
techno-scientifiques, militaires et civiles, ont été
à la base du développement, puis de la
domination, de la puissance américaine. Elles
le demeurent, malgré la crise. L'opinion le sait
et continue à se passionner pour l'aventure américaine.
Les pays concurrents s'efforcent de suivre ce chemin,
mais ils ont d'immenses retards à rattraper.
La
guerre des symboles (soft-power). Depuis 80 ans
également, la puissance américaine s'est
incarnée aux yeux des citoyens du monde, par
de grands récits où l'espace jouait un
rôle central. Ce furent le film puis la télévision,
aujourd'hui relayés par Internet. Il suffit de
voir le soin que met la Nasa à faire connaître
sa « narrative » dans toutes les
langues, sur tous les réseaux.
Le
drapeau. L'Amérique peut déployer
ses couleurs, où qu'elle aille dans le monde
ou dans l'espace. Tout le monde les identifie. L'Europe
serait bien en peine de faire de même. Le drapeau
européen ferait irrésistiblement penser
aux querelles de Bruxelles. Il serait d'ailleurs inévitablement
doublé des couleurs de tel ou tel Etat membre.
Dans l'espace, ceci se traduit par le fait qu'une compétition
permanente oppose les grands pays spatiaux européens,
ainsi évidement que leurs industriels, pour la
course à de rares crédits et contrats.
Le
manque de leader représentatif. Obama, malgré
les justes critiques qu'il suscite (il a notamment fortement
réduit les ambitions de la Nasa) est toujours
capable, comme le serait n'importe quel président
américain, de féliciter la Nasa de ses
succès, et au delà de féliciter
l'Amérique, en termes aptes à susciter
l'enthousiasme. Imagine-t-on Van Rompuy, ou Barroso
faire de même?
La
philosophie véritablement anti-scientifique des
Européens. L'Europe, qui fut le berceau de
la révolution des Lumières, se caractérise
aujourd'hui par le doute, la peur, l'ironie, l'incompétence,
voire la malveillance, la remontée des guerres
de religions, face aux grands enjeux de la technique
et de la science. Aucun gouvernement n'est capable d'évoquer
ces questions de façon positive, en dehors des
banalités d'usage. Ceci se traduit notamment
en ce qui concerne les orientations universitaires des
étudiants européens.
* * * * *
Est-ce
à dire que l'Europe restera, face à l'Amérique
et aux grands émergeants, condamnée à
la médiocrité scientifique, que ce soit
dans l'espace ou ailleurs? 2) Ne pourra-t-elle compter
que sur les trop faibles forces des Etats-membres (le
CNES en France) laissés à eux-mêmes
?
Des retours de destin sont toujours possibles.
Mais pour le moment nous ne voyons pas lesquels.
(1)
Cette mission scientifique devrait durer au moins deux
ans. Rappelons que ce mini laboratoire volant a été
lancé le 26 novembre 2011 de Cap Canavéral
en Floride, parcourant quelque 570 millions de kilomètres
avant son arrivée sur Mars.
Signalons aussi que, de son côté, le robot
Opportunity (présent aussi sur Mars, à
quelque 3000 km de distance de Curiosity), dont la mission
avait débuté le 25 janvier 2005 pour durer
30 mois, est toujours actif !
(2) Nous n'oublions évidemment pas le succès
globalement européen que représente pour
l'Europe le LHC, dans le domaine de la physique des
hautes énergies. Mais l'espace est tout aussi
important. Or, répétons-le, les Européens
avaient tous les moyens techniques leur permettant d'envoyer
Exomars dans les mêmes temps que le MSL - à
qui l'Europe a d'ailleurs fourni deux instruments importants.
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