Article.
A la recherche des neurones
de la conscience de soi
Jean-Paul Baquiast 24/07/2012

Source
NewScientist
Nous
présentons dans ce numéro le livre de
Henry Stapp, Mindful Universe, Quantum Mechanics
and the Participating Observer. L'auteur y approfondit
le mécanisme selon lequel le cerveau, quand il
« observe » une entité
quantique en état de superposition, réduit
sa fonction d'onde et de ce fait la transforme en particule
du monde matériel. Il s'appuie sur ce processus
conforme à l'interprétation dite de Copenhague
pour analyser les modalités selon lesquelles
se manifeste la conscience humaine. Il s'interroge à
cette occasion sur la possible intervention de phénomène
quantiques dans le fonctionnement des neurones et la
production d'états de conscience. Comme nous
l'avons nous-mêmes remarqué, le point faible
de ces hypothèses tient encore pour le moment
à l'impossibilité d'observer sur un organisme
vivant, à l'échelle de la cellule, d'éventuelles
interactions avec des particules quantiques (qbits).
Encore faudrait-il, pour ce faire, avoir clairement
identifié les types de neurones et leur organisation
dans le tissu cérébral qui pourraient
participer à la production d'une conscience de
soi, fut-elle élémentaire, ainsi que des
comportements pouvant témoigner de son apparition,
émotions, empathie, capacité à
se reconnaître dans un miroir. Or il était
jusqu'à présent admis que cette recherche
était pratiquement impossible, parce que la conscience
(ou les états s'en rapprochant) n'avait pas été
localisée dans une aire bien définie du
cerveau, mais pouvait résulter d'une mobilisation
éventuelle de l'ensemble du cortex supérieur.
Certains
psychologues, tel Bernard Baars, envisagent cependant
qu'il existe dans le cerveau un espace bien défini,
que Baars nomme un espace de travail conscient, mais
ils n'ont pas réussi clairement à identifier
les aires neuronales qui pourraient en être le
support. Des observations cliniques permettent de montrer
que la destruction de zones bien précises entraine
des pertes de conscience, mais l'observation est trop
générale pour permettre d'identifier les
neurones ou ensembles de neurones qui seraient responsables.
Les anatomistes avaient détecté depuis
longtemps la présence de neurones dits associatifs
dotés d'axones développés leur
permettant de relier des aires cérébrales
différentes, mais rien ne permettait d'affirmer
que ces neurones associatifs, présents dans l'ensemble
du cortex du même nom, participaient effectivement
à la production de la conscience de soi.
Or
les conceptions semblent en train de changer, comme
en témoigne un article de Caroline Williams que
vient de publier la revue NewScientist. Des chercheurs
de l'Université du Mont Sinaï à New
York ont rassemblé des observations en imagerie
fonctionnelle ou menées post mortem, portant
sur des neurones très différents des autres,
qui n'avaient jusqu'à présent pas été
étudiés en profondeur. Il s'agit de neurones
dits VENs, en honneur du neurologue Constantin von Economo
qui les avaient décrits en 1926, intrigué
par leur taille et leur forme, distinctes de celles
de toutes les autres sortes de neurones. Mais les VENs,
jusqu'à ces dernières années n'avaient
pas été expertisés plus avant.
Or il semblerait que de tels neurones, aussi bien d'ailleurs
chez l'homme que dans un certain nombre d'espèces
supérieures montrant des capacités à
l'organisation sociale, pourraient être les supports
des fonctions préconscientes et conscientes,
notamment comme indiqué plus haut l'empathie
(capacité d'observer les autres et de partager
leurs émotions)
Les VENS sont en très petit nombre . Mais leur
taille particulièrement grande, leur forme allongée
avec peu de dendrites, et surtout leur localisation
principalement observée dans le cortex cingulaire
antérieur et le cortex frontal insulaire (1%
de l'ensemble des neurones de ces deux aires) sont des
indices de leur importance (voir image). Ces deux aires
se montrent particulièrement actives quand les
sujets sont engagés dans des relations sociales,
partagent des émotions ou participent à
la construction d'une conscience de veille rassemblant
toutes les informations sensorielles provenant du corps
et du milieu, susceptibles d'intéresser la construction
du soi. De plus, elles s'activent quand un sujet identifie
son image dans un miroir, signe élémentaire
par lequel on reconnaît, chez le petit enfant
humain et chez certains animaux, un sens indiscutable
de conscience de soi.
L'article
de Caroline Williams évoque les différentes
observations contribuant à faire des VENs, chez
l'homme et chez les animaux sociaux, un moteur, ou plutôt
un support essentiel de la conscience. Nous ne les reprendrons
pas ici. Un point important doit par contre être
évoqué: comment de tels neurones sont-ils
apparus au cours de l'évolution, et comment ont-ils
été conduits à se rassembler dans
les deux aires précitées. Il semble que
les VENs soient présents dans les cerveaux de
tous les mammifères, même si la plupart
d'entre ceux-ci ne montrent pas de prédispositions
sociales importantes. Ils permettraient d'associer les
sensations de goût et d'odeurs, ce qui est important
pour faire la différence, dans la nature, entre
des aliments potentiels et des poisons. A cette occasion,
l'empathie résultant du partage de la nourriture
aurait pu se développer.
Mais
on trouve des VENs répartis dans tout le cerveau
d'animaux qui n'ont pas de vie sociale marquée.
Ce type de neurone aurait donc pu avoir un autre avantage:
piloter (monitorer), selon l'expression des chercheurs,
le fonctionnement global du corps, afin que soient encouragées
les conduites les plus économes en énergie.
Répondre à la question implicite « comment
je me porte (comment je me sens) en ce moment »
permettrait d'abord de sélectionner des éléments
permettant de « mieux se porter »,
et plus en profondeur, de contribuer à l'émergence
du sentiment de soi, basée sur une représentation
subjective que le sujet se donnerait de lui-même.
On pourrait alors supposer que les VENs (et les états
de conscience en résultant) auraient été
le produit, comme tous les autres traits des organismes
vivants, de mutations au hasard intéressant le
système nerveux, conservées du fait de
leur caractère favorable à la survie.
Il va de soi que les chercheurs en conscience artificielle
n'auraient pas besoin de concevoir des éléments
tels que les VENs afin d'en doter les robots cognitifs
qu'ils réalisent. Il s'agirait d'une démarche
de la nature qui devrait en principe pouvoir être
aisément court-circuitée.
Un
autre thème mériterait d'être évoqué:
il s'agit de l'origine et des modes de transmissions
des mimiques faciales, lesquelles constituent des langages
extrêmement utilisés, notamment chez les
primates, pour signifier la peur, le dégoût,
l'agressivité, etc. Ces mimiques sont elles le
produit de l'hérédité, autrement
dit de câblages neuronaux sous commande génétique,
ou résultent-elles de créations culturelles,
transmises par l'éducation. Un article du même
numéro du NewScientist pose la question, « Not
raving but frowning », de Courtney Humphries
(21 juillet, p. 40). L'auteur indique que la plupart
des scientifiques répondent prudemment que les
deux causes se superposent très probablement,
étant entendu que l'hérédité
culturelle pouvant jouer dans la transmission de telles
mimiques langagières est chez l'homme vieille
sans doute de plusieurs milliers soit centaines de milliers
d'années, ce qui a laissé le temps à
des adaptations épigénétiques de
s'installer et se transmettre dès la naissance.
Le
problème qui pourrait nous retenir ici n'est
pas celui-là, mais celui de savoir si des VENs
tels que décrits plus haut peuvent ou non jouer
un rôle dans l'apparition et la transmission de
telles mimiques langagières. Pourquoi pas, puisque
les mimiques, par définition, sont impliquées
principalement dans les activités sociales, pour
la genèse desquelles on a vu le rôle important
des VENs? Dans la mesure où l'on pourrait vérifier
cette hypothèse, l'on obtiendrait des arguments
intéressants utilisables par les méméticiens
qui, comme l'auteur du présent article, seraient
intéressés par la mise en évidence
de neuro-mèmes ou de bases neurales pour la transmission
et les mutations intéressant ces éléments
allusifs nommés des mèmes par les méméticiens.
Ceci tant chez les animaux supérieurs que chez
les humains.
Indiquons
pour terminer que les chercheurs en conscience artificielle
n'auraient pas besoin de concevoir des éléments
tels que les VENs afin d'en doter les robots cognitifs
qu'ils cherchent à réaliser. Il s'agirait
d'une démarche de la nature qui devrait en principe
être aisément court-circuitée.
Post-Scriptum.
On constatera en lisant les commentaires apportés
par les lecteurs du NewScientist à l'article
de Caroline Williams, qu'il est pratiquement impossible
d'essayer d'évoquer tel ou tel caractère
biologique susceptible d'être un précurseur
de la conscience sans se faire accuser de réductionnisme
sous-tendu par un matérialisme primaire refusant
de s'avouer. Il en sera sans doute de même du
présent texte.
Références
Caroline
Williams. The conscious connection http://www.newscientist.com/article/mg21528741.600-are-these-the-brain-cells-that-give-us-consciousness.html?full=true
Cortex
cingulaire antérieur http://fr.wikipedia.org/wiki/Cortex_cingulaire_ant%C3%A9rieur
Annals
ot fhe NewYork Academy of Sciences. The von Economo
neurons in the frontoinsular and anterior cingulate
cortex
http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1749-
6632.2011.06011.x/abstract;jsessionid=7C10DF0FBBD54448D998E716B157C89B.d03t01
US
National Library of Medicine. Functional anatomy
of cortical areas characterized by Von Economo neurons.
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22286950
Bud
Craig How do you feel now? The anterior insula
and human awareness Nature http://www.nature.com/nrn/journal/v10/n1/abs/nrn2555.html
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