Article.
A quoi sert la conscience humaine? La question de l'observateur
en physique.
A propos de Mindful Universe, Quantum Mechanics and the Participating
Observer, de Henry Stapp (2e édition, Springer, 2011)
Jean-Paul
Baquiast 17/07/2012
1.
Position du problème
Nous avons plusieurs fois discuté sur ce site le thème
de la conscience, à l'occasion de la présentation
des nombreuses recherches scientifiques récentes qui
lui ont été consacrées. D'une façon
générale, nous en avions tiré la conclusion
que la conscience, et les décisions conscientes en
découlant, n'ont pas d'effets premiers. Elles n'ont
que ce que l'on pourrait appeler des effets seconds ou induits.
Il en est de même du libre-arbitre, souvent évoqué
à propos de la conscience humaine. On dit parfois que
la conscience n'est pas primo-décisionnaire, malgré
ce que peut en penser le sujet conscient. Si je prends peur
à la vue d'un danger, c'est en général
l'ensemble de mon système cognitif inconscient, incluant
ses entrées-sorties sensorielles et ses traitements
cérébraux, qui génère un sentiment
de danger puis de peur. C'est aussi lui qui peut prendre les
décisions d'évitement me permettant de fuir
le danger, ceci avant toute prise de conscience explicite.
Néanmoins
cette prise de conscience peut survenir, si la peur est suffisante
pour envahir l'espace neural conscient. Dans ce cas, la prise
de conscience n'est pas un simple épiphénomène
d'accompagnement, comme il avait été souvent
suggéré par des behavioristes. La prise de conscience,
par le sujet conscient, successivement, du danger ou risque
possible, du sentiment de peur et des conduites d'évitement
spontanées induites en lui, peut conduire ce sujet
à prendre consciemment (il dira peut-être volontairement)
des décisions qui ne sont pas déterminées
de façon simplement linéaire par l'ordre de
ces évènements. Ainsi il pourra décider
de résister à la peur ou de mieux analyser le
risque perçu et les façons d'y faire face.
S'organisera
alors en lui une approche plus globale du problème,
faisant appel au niveau de l'espace neural de travail conscient
(Baars), à ses souvenirs également conscients,
ou à des données d'expériences mémorisées
au niveau du groupe et accessibles par le langage. On pourra
dire alors que les décisions découlant de cette
prise de conscience globale sont des décisions volontaires,
produit du libre-arbitre du sujet. Mais cela ne voudra pas
dire qu'elles sans cause, ou provenant d'une inspiration spirituelle
qui ne serait pas concevable dans le cadre d'une analyse matérialiste.
On ne pourra pas dire non plus qu'elles seraient aléatoires,
comme si elles résultaient d'un tirage au sort. Elles
seront déterminées au cours d'un processus complexe,
mêlant le conscient et l'inconscient et nécessitant
pour être explicité des analyses au cas par cas.
Plus concrètement,
évoquer l'intervention de la conscience volontaire
voudra signifier que le processus de décision finale
ne sera pas déterminé de façon linéaire,
mais par des aller-retours permettant la prise en compte de
nombreux souvenirs et arguments qui auraient été
négligés par une décision d'évitement
de type réflexe. L'appel à cette conscience
volontaire, ou conscience élargie, ne sera pas pour
autant le résultat d'une libre-décision antérieure.
Il pourra se produire spontanément, soit même
ne pas se produire, pour des raisons extérieures au
sujet, tenant par exemple à un fort effet de surprise.
Mais d'une façon général, le sujet capable
de prise de conscience ne pourra pas éviter de recourir
à cette faculté. Selon l'expression courante,
on ne peut pas s'empêcher de réfléchir.
On voit immédiatement l'avantage sélectif d'un
tel processus d'élargissement du cadre de référence
décisionnelle, au profit des animaux humains en ayant
acquis la capacité lors de l'évolution. Ils
peuvent éviter les pièges de l'immédiateté
dans lesquels tombent les animaux disposant de capacités
de conscience plus réduites.
Ceci
dit, les considérations précédentes n'ont
rien d'original pour les cognitivistes matérialistes.
Il ne serait pas utile de les rappeler ici si la question
de l'intervention de la conscience dans les processus de la
physique quantique n'avait pas été posée
par les fondateurs de cette physique, dans les années
1930, et périodiquement rappelée depuis. D'intenses
débats en avaient résulté, sans d'ailleurs
recevoir de réponses précises. Le problème
résumé par le paradoxe du chat de Schrödinger
semblait insoluble en termes neurologiques ou philosophique:
de quelle façon mon choix personnel (celui de ma conscience
ou celui de mon cerveau) peut-il sauver ou tuer le malheureux
chat? Plus exactement, selon les interprétations de
la physique quantique, des réponses très différentes
en termes épistémologiques pouvaient lui être
apporté, entre lesquelles il n'est pas encore possible
d'apporter des réponses expérimentales. Il semble
évident que les liens possibles entre le fonctionnement
« matériel » du cerveau de l'observateur
et son influence sur le résultat des mesures en physique
sont loin d'être élucidés, ceci plus particulièrement
en ce qui concerne l'observation des entités du monde
quantique, particules ou ondes.
Plus précisément,
ni les physiciens ni les neurologues ne peuvent expliquer
clairement (ou ne cherchent pas à expliquer) ce qui
se produit dans la nature quand la conscience d'un observateur/expérimentateur
résout l'indétermination d'un système
quantique en l'observant, autrement dit en apportant une réponse
particulière à l'infinité des solutions
possibles décrites en termes statistiques par sa fonction
d'onde,
c'est-à-dire
par le seul moyen mathématique disponible pour appréhender
l'état de ce système. Que se passe-t-il dans
le cerveau de l'observateur? Les neurones de celui-ci interagissent-ils
et comment avec le système quantique? Que se passe-t-il
simultanément au niveau du système qui se trouve
ainsi « matérialisé »
par réduction de sa fonction d'onde? Cette matérialisation
permet certainement au système de s'agréger,
par l'intermédiaire de sa matérialisation, à
l'ensemble immense des constructions matérielles ayant
résulté de l'interaction, depuis qu'ils existent,
des cerveaux humains avec un hypothétique soubassement
quantique indéterminé. Mais de quel façon
exactement? La question est de temps en temps encore évoquée
par certains physiciens ou neurologues, au grand intérêt
on le comprend des philosophes et même des cogniticiens
pour qui le phénomène de la conscience humaine
n'est pas si simple qu'il pourrait être compris par
la seule analyse déterministe des échanges entre
neurones du cerveau.
Nous sommes
de ceux qui pensent, conjointement avec la physicienne Mioara
Mugur-Schächter, souvent citée sur ce site, que
la façon dont les cerveaux conscients se représentent
aujourd'hui la nature, à la suite des apports incontournables
de la physique quantique dans le domaine de ce que l'on appelle
pour simplifier le microscopique, pourrait être utilement
étendue au domaine de l'univers macroscopique ordinaire,
celui composé de la matière physique ou biologique
de la vie quotidienne, comme au domaine de la cosmologie
où l'on retrouve d'ailleurs la physique quantique.
Concrètement cette proposition signifie qu'existent
aujourd'hui de bons arguments pour remettre en doute les postulats
des scientifiques « réalistes »
ou objectivistes qui considèrent, après Newton,
que la bonne science ne peut se faire qu'en éliminant
l'esprit de l'observateur, introductif de subjectivité.
En ce sens, la science, pour les scientifiques « réalistes »,
se doit d'être objective et non subjective. A leurs
yeux, les sciences macroscopiques étudient un « réel
en soi » qu'elles doivent collectivement s'attacher
à faire apparaître, en éliminant toutes
références aux cerveaux et esprits des chercheurs,
ainsi qu'aux valeurs et motivations personnelles portées
par eux.
On peut
montrer au contraire qu'un tel « réel en
soi supposé » n'a rien de stable et
d'objectif. C'est une construction constamment remise en cause
et enrichie par les pratiques scientifiques, c'est-à-dire
par les hypothèses, expérimentations et conclusions
produites par les cerveau des chercheurs, en interaction avec
l'univers. Il s'agit d'une construction subjective, ou plus
exactement intersubjective, dans la mesure où la science
tire sa puissance des discussions collectives s'établissant
à l'occasion de la production de ses résultats.
Les descriptions scientifiques du « réel »,
si l'on tient à conserver ce terme de réel pour
désigner ce qui est extérieur à la science
et qu'elle se donne pour mission de comprendre, ne font pas
appel d'hypothétiques lois fondamentales régissant
l'univers, qu'il suffirait d'appliquer. Elles résultent
d'un questionnement permanent, produit du cerveau humain et
s'adressant, à travers les sens et aujourd'hui à
travers les instruments scientifiques, eux mêmes construits
par la science, à un univers ayant "émergé"
du monde quantique, lequel reste indescriptible dans son essence,
à supposer même qu'il existât (qu'il y
eut « quelque chose plutôt que rien »).
Ce ne sera pas une raison cependant pour refuser ces constructions
de la science expérimentale, hypothèses, théories,
observations, puisque ce sont les seules dont nous disposions,
non seulement pour essayer de comprendre le monde, mais aussi
essayer de nous comprendre nous-mêmes. Il faudra seulement
ne pas y voir des fenêtres miraculeusement ouvertes
sur la « réalité » d'un
univers qui nous dépasserait. La démarche proposée
par Mme Schächter, sous le nom de Méthode de conceptualisation
relativisée (MCR), doit pouvoir permettre d'éliminer,
y compris dans les sciences du macroscopique, les pièges
d'un « réalisme » où chacun
projetterait ses propres définitions du réel,
celles servant finalement en priorité ses intérêts
personnels ou ceux de son groupe d'appartenance.
Mais alors
comment éviter le solipsisme, c'est-à-dire la
tentation philosophique consistant à affirmer que les
seules réalités qui comptent sont les constructions
intellectuelles de notre cerveau, celles-ci incluant nos hypothèses
et nos expérimentations ? On pourra le faire en réintroduisant
dans la science macroscopique les interprétations de
la physique quantique, selon lesquelles l'indétermination
s'impose à toute description de la nature au niveau
microscopique. L'indétermination, dans cette optique,
sera comprise comme supposant que l'esprit humain, à
travers notamment le fonctionnement de ses neurones, peut
poser au monde quantique microscopique, comme au monde macroscopique
des questions dont les solutions ne sont pas données
d'avance. Elles résulteront des façons toujours
nouvelles de spécifier tel entité (tel observable)
et, en l'observant, c'est-à-dire en réduisant
sa fonction d'onde, de l'intégrer à l'édifice
du monde matériel déjà construit, autrement
dit en enrichissant ou modifiant cet édifice, dont
la vie et nous-mêmes sommes des formes particulières.
En poussant à l'extrême l'approche constructiviste,
on pourrait être conduit à suggérer que
les constructions du cerveau humain, se matérialisant
en interagissant en permanence, au delà du monde matériel,
avec le monde quantique, construirait sur la Terre un univers
microscopique et macroscopique, le seul que nous puissions
percevoir, se superposant ou se juxtaposant à d'autres
processus constructivistes cosmologiques qui nous demeureraient
inconnus. Il s'agirait alors d'une sorte de solipsisme érigé
en solution cosmologique. Les seules réalités
du monde qui compteraient pour nous seraient les constructions
résultant de l'activité de nos organismes, cerveaux
et corps inclus. une vaste construction générée
par nos organismes et que nous habiterions.
L'humain
n'aurait évidemment pas le monopole d'un tel pouvoir.
Tous les organismes vivants, à leur échelle,
feraient de même. Dans certains cas, ils procéderaient
en symbiose avec nous, dans d'autres cas en nous ignorant
ou en nous combattant. Par ailleurs l'extension de la cognition
humaine à l'échelle du cosmos, proche ou lointain,
grâce à l'enrichissement des technologies spatiales,
élargirait les capacités constructivistes des
sociétés anthropotechniques que nous formons
en association avec des technosciences proliférantes.
Dans cette
perspective, il serait important de montrer que les organismes
biologiques peuvent interagir directement avec le monde quantique,
en dehors de tout appel à des techniques scientifiques.
Nous avons ici même évoqué le nombre de
plus en plus grand d'études portant sur l'éventuelle
intervention de particules ou entités quantiques dans
un certain nombre de mécanismes fondamentaux intéressant
le vivant 1) . Dans le domaine du cerveau,
les scientifiques s'intéressant à cette perspective
pensent pouvoir faire apparaître le rôle de l'attention
renforcée, sur le mode dit « volontaire »,
pour rendre durables d'éventuelles constructions quantiques
au sein du cerveau, à travers ce qui est nommé
l'effet Zenon quantique (quantum Zeno effect) 2)
Ce terme
introduit en 1977, désigne une situation (encore discutée)
dans laquelle une particule instable (quantique) peut ne pas
se détruire si elle est observée continuellement.
Plus généralement il serait possible de geler
l'évolution d'un système en le mesurant suffisamment
fréquemment. Si l'on peut prouver que les neurones
individuels ou des parties de ceux-ci, notamment les synapses,
se comportent comme des entités quantiques, on pourrait
admettre que l'observation de leurs constructions par d'autres
éléments du cerveau ou du corps pourrait pérenniser
ces constructions. Celles-ci entreraient alors dans le cycle
de la construction par la conscience volontaire de nouveaux
états du monde. JohnJoe Mac Fadden a fait appel au
même mécanisme pour expliquer le rôle au
service de la conservation de la vie des mutations adaptatives
se produisant au sein de l'ADN, dont les composants de base,
atomiques ou sub-atomiques, pourraient être assimilés
à des particules quantiques. Nous conseillons vivement
aux lecteurs de relire les articles que nous avions consacré
à ce chercheur, notamment son interview, traduit en
français 3).
2)
L'apport de Henry Stapp
Un
des théoriciens de cette réflexion sur la conscience
à la lumière de la physique quantique, selon
nous le plus actuel et le plus crédible, est le physicien
américain Henry Stapp 4), qui vient de rééditer,
avec plusieurs ajouts, sous le titre de Mindful Universe,
Quantum Mechanics and the Participating Observer 2011,
son ouvrage séminal de 2009, Mind, Matter and Quantum
Mechanics, ouvrage résumant lui-même de nombreux
articles antérieurs.
Henry Stapp se défend de toute inspiration spiritualiste,
telle celle de J.C Eccles (auteur de How the Self controls
its Brain 1994) ou de toute approche mystique ou New Age,
comme l'avait été celle de nombreux physiciens
américains dans les années 1970, par exemple
Fritjof Capra (auteur du Tao de la Physique . 1975).
Il refuse cependant le matérialisme neural du psychologue
évolutionniste Michael Gazzaniga (auteur, entre autres
de The Ethical Brain 2005 et de Human.The Science behind
what makes us unique 2008 5) ou de Daniel Dennett (auteur,
entre autres de Conciousness explained, 1991 6) pour
qui la conscience humaine est un simple épiphénomène.
Parmi ceux qui se sont intéressé de près,
comme lui, à d'éventuelles interactions des
neurones avec le monde quantique sous-jacent, Henry Stapp
ne retient pas les hypothèses de Roger Penrose (auteur,
notamment de Shadows of the Mind 1994) ou même
de David Chalmers (auteur de Explaining Consciousness,
the Hard problem 1995). Curieusement, enfin, il ne cite
pas les recherches sur la biologie quantique du généticien
JohnJoe Mac Fadden, dont nous avions présenté
ici l'ouvrage Quantum Evolution, The new science of life 2000
(voir aussi l'interview qu'il nous a accordé, précité
3) , très explicite, notamment en ce qui concerne
l'effet Zénon et les pénomènes quantiques
au sein des celules biologiques
Henry Stapp trouve son inspiration, non seulement dans les
écrits des pères fondateurs de la mécanique
quantique, notament Bohm, Bohr, Heinsenberg, Pauli, mais surtout
dans ceux, un peu moins connus, du mathématicien J.
Von Neumann (auteur de Mathematical Foundations of Quantum
Mechanics, 1932, 1955). Au plan philosophique, il s'appuie
notamment sur A.N Whitehead (auteur notamment de Process
and Reality, 1929), peu lu en France mais qui semble avoir
eu des idées pénétrantes sur la question,
avant qu'elle n'ait été abordée par les
physiciens.
Le point
de départ de Henry Stapp consiste à montrer
que les inventeurs de la mécanique quantique (MQ),
notamment ceux regroupés au sein de l'école
de Copenhague, ont par cette nouvelle science obligé
à l'abandon des postulats de la science classique,
c'est-à-dire l'existence d'un réel indépendant
des observateurs et la nécessité pour comprendre
ce réel de le détacher de toute subjectivité,
c'est-à-dire toute référence à
l'observateur et à son esprit (mind).
Il est certain que les applications de la MQ, faisant appel
au formalisme mathématique de cette dernière,
ont été et demeurent si nombreuses que plus
personne ne discute la pertinence et l'applicabilité
de ces approches théoriques. Par contre, les formulations
que les philosophes croient pouvoir tirer de la MQ pour décrire
le monde macroscopique dans les termes du langage courant
(ses ontologies) restent très discutées, voire
purement et simplement refusées. Selon Richard Feynmann,
personne ne comprend la MQ, non pas en ce qui concerne les
modes d'emploi de son formalisme mathématique, mais
en ce qui concerne les descriptions philosophiques du monde,
d'ailleurs très différentes les unes des autres,
qu'elle peut proposer. Quant au formalisme, il ne faut pas
chercher à le comprendre, mais simplement l'appliquer
(« calcule et tais-toi »)
Le livre
de Henry Stapp s'ouvre sur une citation de Antonio Damasio
(N° spécial du Scientific American, The Hidden
Mind, 2002) , selon laquelle la science d'aujourd'hui
est encore incapable de répondre, par l'étude
de l'activité du cerveau (brain), à la
question de savoir comment se forme l'esprit (mind).
Damasio constate que ceux qui voudraient apporter une réponse
à cette question, au lieu de la rejeter purement et
simplement comme sans solution ou sans raisons d'être,
devront analyser les processus biologiques au niveau quantique.
Malheureusement, selon Henry Stapp, la science des deux derniers
siècles était et est restée entièrement
déterministe, comme elle le devint à l'époque
des Lumières lorsqu'elle a réfuté, d'ailleurs
avec succès, les conceptions mystiques du monde imposées
par les religions durant deux millénaires. La science
considérait, et considère encore le plus souvent,
que l'on doive étudier le fonctionnement du cerveau
comme on étudie celui d'une machine, au mieux celui
d'un automate. Introduire un concept non clairement définissable
comme l'esprit ou la conscience, ne peut que reconduire aux
époques préscientifiques imbibées de
préjugés mystiques.
Heureusement
la MQ a remis, selon l'expression de Stapp, la science sur
ses pieds, en se donnant comme objet d'étude les processus
par lesquels les humains acquièrent des connaissance
et les modalités selon lesquelles ces connaissances
construisent les représentations que nous nous donnons
de nous-mêmes et,de l'univers. Loin d'être incompréhensible,
la MQ est beaucoup plus compréhensible que les physiques
traditionnelles, dans la mesure où elle fait appel
à une intuition forte que nous éprouvons et
utilisons tous les jours, celle selon laquelle l'attention
consciente que nous portons aux choses et aux évènements
de notre monde nous est indispensable pour mieux les comprendre.
La MQ nous a obligé, à partir de l'affirmation
du principe d'indétermination de Heisenberg, à
prendre en compte la façon dont nos choix conscients
orientent nos conduites, faisant appel à un grand nombre
de comportements différents possibles que la science
déterministe classique se refuse à évoquer.
La MQ
décrit ainsi non un univers de déterminismes
matériels fermés sur eux-mêmes, mais un
univers de potentialités entre lesquels nous pourrons
choisir en fonction du degré des connaissances que
nous avons acquises. C'est ce que Niels Bohr a dépeint
comme la liberté de préparer les mesures instrumentales
que nous souhaitons conduire, et la liberté de sélectionner
les phénomènes auxquels nous souhaitons appliquer
ces mesures - tout ce que Von Neumann pour sa part a nommé
des « interventions ». Nous ne faisons
pas ces choix au hasard, ce que pourrait sous-entendre le
concept mal compris de liberté ou libre-arbitre. Ce
sont nos valeurs, nos idées, nos sentiments, portés
par notre esprit, qui nous recommandent ces choix.
Ce
faisant la nouvelle science portée par la MQ nous permet
de faire avancer la connaissance scientifique bien davantage
que ne le ferait la physique déterministe traditionnelle,
puisqu'elle réintroduit l'humain au coeur du processus
de découverte. Mais il ne faudra pas oublier que les
nouvelles connaissances comportent une double formulation,
celle faisant appel au formalisme mathématique, inaccessible
au non-spécialiste, et celle utilisant le langage ordinaire,
accessible à tous. Cette double description doit, selon
Von Neumann (image) souvent cité par Stapp, s'appliquer
aussi au cerveau et, au delà de celui ci, à
l'esprit. On décrira l'esprit et plus généralement
le problème des relations entre l'esprit et la matière,
aussi bien dans les termes des descriptions mathématiques
de la MQ, elle-même une extension de l'interprétation
de Copenhague, qu'en termes découlant des flux de conscience
que ressent ou qu'observe l'observateur humain.
Se pose
alors la question très importante, déjà
évoquée dans l'interview de JohnJoe MacFadden
précitée, de savoir si les cellules du cerveau,
les neurones, peuvent être considérées
comme dotées d'une façon ou d'une autre de la
capacité de produire des particules quantiques qu'elles
utiliseraient dans le cours de leur fonctionnement. Plus généralement,
le cerveau, constitué de dizaines de milliards de neurones
interagissant en permanence avec l'environnement, peut-il
être considéré comme une sorte de mémoire
électronique classique, ou faut-il le traiter comme
une entité quantique relevant de règles qui
ne seraient pas classiques? Enfin, à supposer qu'elles
soient mises en évidence, comment ces propriétés
quantiques pourraient elles contribuer à la formation
d'une conscience volontaire dotée de propriétés
psychophysiques? Ne serait-ce pas, sous une nouvelle forme,
une résurgence du dualisme distinguant la matière
et l'esprit ?
Henry
Stapp donne à ces questions très importantes
des réponses confirmant l'hypothèse qui est
la sienne, selon laquelle une correcte utilisation des concepts
de la MQ, notamment le théorème d'Heisenberg
(principe d'incertitude), justifierait amplement le rôle
psychomoteur qu'il entend donner à la conscience, conçue
comme la propriété émergente d'un ensemble,
le cerveau, massivement doté de propriétés
quantiques. Cette hypothèse, il faut le constater,
n'a reçu qu'un accueil dubitatif de la part des physiciens.
Un premier contre-argument, toujours évoqué,
est que les milieux biologiques, chauds et humides, provoquent
la décohérence rapide des particules quantiques
éventuellement émises. Par ailleurs, toutes
les hypothèses relatives aux supposées propriétés
quantiques des neurones individuels, d'une part, de leurs
assemblées plus ou moins larges d'autre part, restent
encore très difficilement testables avec les instruments
de l'imagerie cérébrale ou de toutes autres
techniques permettant d'observer convenablement le cerveau.
Enfin les hypothèses de Stapp ont été
récupérées et exploitées par les
spiritualistes, d'une façon qui en a détourné
les scientifiques ne voulant pas se référer
à des concepts philosophiques, moraux ou religieux
étrangers selon eux à la démarche scientifique
Face à
ces diverses objections ou réserves, le livre de Henry
Stapp présenté ici propose une argumentation
qui devrait paraître très convaincante à
un lecteur qui ne serait ni physicien quantique ni neurologue
7).. Nous n'allons pas ici tenter de résumer un
tel travail, malgré répétons-le, le grand
intérêt qu'il comporte pour mieux comprendre
un sujet difficile mais qui sera de plus en plus pensons-nous
d'actualité. Ce résumé nous prendrait
trop de temps et d'espace. Pour bien faire, il serait nécessaire
non seulement de traduire presque complètement le livre
en français mais d'y ajouter nombre de commentaires
que malheureusement on ne trouve pas encore sur Internet.
Bornons
nous à proposer ici (en simplifiant à l'extrême)
quelques points directement en relation avec la question de
la conscience, telle qu'elle peut être interprétée,
selon Henry Stapp, au regard de la MQ telle qu'il la comprend:
- Le neurone individuel et les relations
qu'il entretient, via les synapses, avec ses voisins.
L'ensemble
neurone+synapses peut être considéré,
pour prendre une formulation qui n'est pas celle de Stapp,
comme une machine à produire de l'incertitude. Quand
il s'excite, le neurone envoie un signal électrique
(potentiel d'action) à travers son axone, vers les
dendrites jusqu'à son terminal. Si le signal atteint
le bouton terminal, il ouvre de petits canaux, les canaux
ioniques, qui transmettent (ou ne transmettent pas) des ions
(atomes électriquement chargés) vers les micro-vésicules
contenant les neurotransmetteurs. En arrivant à la
membrane du bouton terminal, les ions déclenchent (ou
ne déclenchent pas) l'ouverture des microvésicules
contenant les neurotransmetteurs, lesquels diffusent dans
la fente synaptique avant d'être captés
ou de n'être pas captés, par les récepteurs
de la membrane postsynaptique du neurone voisin. Cette incertitude
générale découle de mécanismes
microscopiques ne fonctionnant pas de façon linéaire,
mais discontinue (par saut). De plus il s'agit de systèmes
biologiques qui n'ont pas la relative fiabilité des
composants électroniques. Il s'ensuit que la probabilité
de voir un potentiel d'action atteindre le neurone voisin
et l'activer ne dépasse pas 50%. En conséquence,
l'état du terminal nerveux devient une superposition
d'états, ouvert ou fermé, selon que le transmetteur
l'a atteint ou non. Chacune des trillions de terminaisons
nerveuses dans le cerveau devient elle aussi une superposition
d'états.Ces divers éléments devraient
en principe être décrits, non de la façon
classique utilisée pour analyser les réseaux
électiques matériels, mais par des équations
de Heisenberg (fonctions d'onde).
- Le cerveau global.
Celui-ci devient à son tour dans ces conditions un
immense système de systèmes, massivement parallèles,
mais aussi pouvant être générateurs d'actions
en retour (feed-back) elles-mêmes massives. Ces systèmes
peuvent individuellement, ou en groupes, être décrits,
soit de façon classique, déterministe (statistique)
, soit de façon quantique, intégrant l'incertitude
et la possibilité de résoudre celle-ci par des
choix conscients. Le cerveau est aussi un système hautement
non-linéaire, constamment à la merci de millions
d'évènements ou non- événements
(un neurone s'excite ou ne s'excite pas...). Sauf dans des
circonstances extrêmes pouvant susciter une réponse
coordonnée et déterministe du cerveau, il apparaît
lors des états mentaux courants des points de bifurcation
dans lesquels une partie du nuage quantique des potentialités
ou intentions que représente le cerveau va dans une
direction, et une autre partie dans une autre. Aucune raison
de fond ne s'opposerait alors à l'hypothèse
selon laquelle le choix en faveur de telle ou telle potentialités
découlerait de l'intervention des « réalités »
constituant des auxiliaires de la conscience. Henri Stapp
nomme ces réalités, auxiliaires de la conscience,
des modèles pour l'action (templates for actions)
- Les modèles pour l'action
et l'effet Zénon quantique.
Il s'agit d'ensembles organisés de neurones qui réagissent
aux interactions du corps avec le milieu et qui sont utilisés
par le cerveau comme guides pour des actions subséquentes
susceptibles d'intervenir en réaction des stimulus
d'entrée. Ils ont un rôle important pour la survie,
offrant au cerveau des gammes de recettes utilisables dans
les circonstances critiques. Ils doivent rester actifs pendant
quelques 10 à 100 millisecondes avant d'enclencher
l'action correspondante. Il s'agit d'états vibratoires
qui demeurent stables sous forme d'oscillateurs harmoniques,
au lieu de se dissoudre dans la masse chaotique du cerveau.
Les réponses qu'ils commandent relèvent de la
levée de l'indétermination quantique, en offrant
à la conscience le choix entre Oui et Non. C'est seulement
en ce choix que se manifeste le libre-arbitre du sujet.
Si cependant il se produit une rapide séquence soit
de Oui répétés, soit de Non, l'effet
Zénon quantique évoqué plus haut, conduit
à la persistance des états correspondants, ce
qui évite leur dissolution dans le bruit provoqué
par des états plus passagers du cerveau. Selon Henry
Stapp, ce résultat favorable pour le sujet conscient
confronté à des forces mécaniques susceptibles
de détruire les capacités de son cerveau à
réagir aux menaces est le résultat d'une « volonté »
d'attention manifestée par ce même sujet. Ainsi
ce dernier peut-il, si l'on peut dire, « conserver
ses esprits » dans des circonstances qui pourraient
le conduire au contraire à les perdre.
Ces quelques
exemples, auxquels nous nous limiterons, permettent de mieux
préciser la nature de la conscience. Il ne s'agit pas
d'une propriété évanescente, venue d'on
ne sait où dans le cerveau, et qui pourrait provoquer
toutes les sortes d'actions imaginables. Il ne s'agit pas
non plus d'éléments neuronaux matériels,
ayant leur place précise dans le cerveau. Il s'agit
plutôt de faisceaux d'intentions, matérialisées
par des assemblées de neurones, susceptibles de provoquer
des actions. Leur mode d'intervention relèvent de la
simple application de l'équation d'Heisenberg, en ce
sens qu'ils lèvent les indéterminations ou incertitudes
se produisant au sein des neurones et ensembles de neurones
qui ne peuvent être décrits ou localisés
de façon mécanique, mais qui sont seulement
définis par des fonctions d'onde et réduits
par l'observation. .
3.
Commentaires
Revenons
sur le concept de conscience. Pour le préciser, il
faut rappeler que l'humain qui pose la question « qu'est-ce
que la conscience » le fait « en conscience ».
Autrement dit, d'une certaine façon, c'est le phénomène
de la conscience qui est appelé à se juger lui-même.
Pour échapper au risque de cercle vicieux, on peut
aujourd'hui simuler la conscience sur un système informatique,
comme le fait Alain Cardon. Il obtient une « conscience
artificielle » à partir de laquelle
on peut tenter de se représenter ce qui se passe au
niveau de l'individu humain conscient.Sans construire une
véritable conscience artificielle, aussi performante
que celle d'un humain (ce qui supposerait d'importants budgets
de développement) on peut utiliser les analogies suggérées
par ce modèle pour évaluer les phénomènes
cognitifs associés à la conscience humaine.
Que peut-on dire de la conscience
et des éventuels processus inspirés des modèles
de la physique quantique qu'elle utiliserait?
L'humain
est doté d'un cerveau. Celui-ci construit systématiquement
des représentations du monde dans lequel il opère,
à partir des données sensorielles qu'il recueille.
Certaines de ces représentations sont éphémères.
D'autres, lorsqu'elles sont confirmées par plusieurs
expériences concordantes, sont mémorisées
dans le cerveau et peuvent être réutilisées
pour valider de nouvelles entrées sensorielles. Ce
processus qui est permanent se déroule le plus souvent
de façon inconsciente. Il n'y a pas de raison de penser
qu'il soit propre à l'homme. Tous les êtres vivants
dotés d'un minimum de centralisation des informations
recueillies lors de leur interaction avec leur environnement
disposent de facultés de même nature, avec des
propriétés et des performances différentes.
C'est l'évolution qui a permis de sélectionner
de telles propriétés, dans la mesure où
elles contribuent à la survie.
Les informations sur le monde recueillies par les organes
des sens et mémorisées puis réutilisées
par le cerveau prennent la forme d'états spécifiques
de celui-ci. Ce sont des neurones ou des assemblées
de neurones qui expriment ces états et qui, dans la
plupart des cas, les matérialisent au niveau du cerveau
sous forme de relations durables (intersynaptiques ou chimiques)
entre neurones. Il est donc important que le neurologue (ou
si l'on préfère, son cerveau conscient), utilisant
tous les moyens que lui permet la science, se représente
de façon opérationnelle comment s'exerce cette
fonction essentielle du cerveau.
L'organisme
vivant ne cherche à se représenter le monde
que dans la limite des outils naturels dont il dispose. Ainsi
son cerveau ne conserve en mémoire que ce qu'il a expérimenté
par ses sens et qui s'est révélé pertinent
à l'usage. Les connaissances acquises sur le monde
sont généralement floues. Un oiseau pêcheur
sait globalement, par expérience, qu'il existe dans
tel étang (qu'il ne nomme évidemment pas par
ce nom) tels poissons (qu'il ne nomme évidemment pas
par ce nom) dont il peut se nourrir. Son cerveau dispose cependant
de processus rudimentaires lui permettant de ne pas explorer
l'étang au hasard, c'est-à-dire de ne pas mourir
de faim en cas d'erreurs répétées. Il
sait faire des hypothèses approximatives lui permettant
de situer le poisson dans les trois dimensions x,y,z et dans
le temps t. Il peut également estimer la vitesse et
la direction de son déplacement dans cet espace théorique.
Mais ceci fait, et toujours pour ne pas mourir de faim, il
procède à ce que l'on pourrait appeler un lever
de doute. Il plonge là où il avait estimé
que se trouvait le poisson. En cas de succès (on lira
à cette occasion le petit livre toujours actuel de
Sven Ortoli et Jean-Pierre Pharabod, le Cantique des Quantiques),
le poisson cesse d'être une hypothèse nécessairement
floue pour devenir une « réalité en
dur » analogue à lui-même, et dont il peut
se nourrir.
Pendant
des millénaires, les humains ont, comme l'oiseau pécheur
décrit ci-dessus, utilisé des représentations
floues du monde, faute d'instruments et méthodes fiables
pour préciser la localisation et le mouvement des entités
qui les intéressaient. Beaucoup de ces représentations
faisaient appel aux enseignements des religions, qui produisaient
généralement plus de flous que les méthodes
empiriques pré-scientifiques qu'ils utilisaient par
ailleurs. La généralisation des sciences exactes
a permis, à partir de l'ère des Lumières,
dont on reconnaît généralement que Newton
fut le père, d'utiliser des méthodes précises
pour cartographier le monde. Tout permet de penser que les
cerveaux de ces scientifiques disposent dorénavant,
sous la forme de procédures inscrites dans les neurones,
des outils mentaux leur permettant d'évaluer de cette
façon objective, scientifique, aussi certaine que possible,
une grande partie des entités perçues par leur
sens. Dans le même temps d'ailleurs, ces cerveaux continuent
à recourir aux anciennes approximations (souvent même
lorsque leurs possesseurs pensent adopter une démarche
scientifique).
Avec l'arrivée,
au début du 20e siècle, de nouveaux instruments
techniques, permettant de mieux étudier des phénomènes
complexes, tels que les ondes radioélectriques ou lumineuses,
les scientifiques ont découvert que les méthodes
des sciences exactes dont se félicitait la nouvelle
rationalité scientifique ne donnait pas toujours de
bons résultat. En particulier quand il s'agissait d'étudier
les entités microscopiques dont traitaient ces nouvelles
sciences, atomes, électrons, photons. Tenter d'observer
individuellement une de ces particules en utilisant les coordonnées
de la physique conventionnelle, en lieu, temps et mouvement,
pouvait dans certains cas donner de bons résultats,
mais dans d'autres des résultats aberrants.
Ce fut
le génie des premiers physiciens quantiques de proposer
des méthodes de représentation susceptibles
d'être, comme l'ont montré les progrès
foudroyants de la physique par la suite, beaucoup plus systématiquement
efficaces. On admet aujourd'hui qu'une particule individuelle
ne peut être représentée que par l'équation
de Heisenberg dite fonction d'onde, mentionnée plus
haut. Celle-ci définit une aire d'incertitude au sein
de laquelle il y a les plus grandes probabilités de
trouver un phénomène se présentant aussi
bien comme une onde que comme une particule. Mais lorsqu'une
mesure instrumentale permet au cerveau d'un scientifique d'observer
quelque chose qui ressemble à un objet matériel,
il ne s'agit si l'on peut dire que de l'un des aspect de l'objet
microscopique qui se matérialise, sous la forme soit
d'une onde soit d'une particule.
Pour que
l'oiseau pêcheur, en attrapant le poisson, lève
l'incertitude concernant l'état de celui-ci, jusqu'alors
localisé par lui dans tout le volume de l'étang,
son cerveau a mis en oeuvre des procédures mémorisées
par des assemblées de neurones. Ces procédure
devraient en bonne logique être très semblables
à celles mises en oeuvre par le cerveau d'un scientifique
qui résout la fonction d'onde d'une particule en l'observant.
L'oiseau n'a pas semble-t-il de conscience évoluée
semblable à celle de l'homme. Mais s'il disposait de
quelques fonctions comparables, il ne se poserait sans doute
pas de question philosophique sur le processus cérébral
l'ayant conduit à décider de plonger dans un
lieu et à moment qui offraient les plus grandes probabilités
de trouver un poisson. Tout ceci, y compris la prise de décision,
relève de mécanismes depuis longtemps inscrits
dans le génome de l'espèce, lui permettant de
survivre grâce à la pêche.
Notons en passant que le même cerveau de l'oiseau dispose
de mécanismes lui permettant de décrire un poisson
comme un aliment potentiel, et non comme une ombre ou un morceau
de bois flottant entre deux eaux. Il n'a pas besoin d'aller
au delà, en s'interrogeant par exemple sur la nature
profonde invisible du poisson, tel l'ordonnancement des molécules
biologiques constitutives de celui-ci. De même le physicien
quantique praticien ne demande pas en général
ce qu'il y a « derrière » les
entités mesurées par lui.
Aussi,
lorsque l'on étudie, en s'appuyant sur notre exemple
de l'oiseau et du poisson, le processus décrit par
les premiers physiciens quantiques comme nécessitant
l'intervention de la conscience de l'observateur dans la résolution
de la fonction d'onde décrivant un observable microscopique,
on ne devrait pas se poser de question philosophico-métaphysique.
Il suffirait de remplacer le terme de conscience par celui
de cerveau, et plus précisément par celui de
processus neuronaux inscrits depuis des millénaires
dans l'hérédité cérébrale
d'un certain nombre d'animaux et d'humains. Le fait qu'en
ce qui concerne l'homme, ces processus basiques s'accompagnent
de divers corollaires relevant de l'affectif individuel ou
collectif, telles les valeurs, ne devrait pas modifier profondément
l'approche du problème. Il s'agit d'une dimension supplémentaire
du cerveau (brain) que l'on associe généralement
au concept quelque peu évanescent d'esprit (mind).
Pour le neurologue, lorsque les instruments d'exploration
cérébrale le permettront, il sera possible de
retrouver dans le cerveau les assemblées plus ou moins
permanentes de neurones correspondant à ces valeurs
dites spirituelles.
De la
même façon, l'on devrait pouvoir retrouver les
assemblées de neurones correspondant à ce que
le cerveau observe de son propre fonctionnement quand il s'interroge
sur lui-même. Les modèles de conscience artificielle
montre que certains agents dédiés à cette
fonction (que Alain Cardon a nommé des agents aspectuels)
observent en permanence le fonctionnement du cerveau et plus
globalement celui du corps artificiel en situation. S'il s'agit
d'agents artificiels, on parlera alors de la production d'une
conscience artificielle. S'il s'agit d'agents neuronaux, on
parlera d'une conscience réfléchie telle qu'elle
est entendue en général. La conscience artificielle
n'a d'intérêt pour le sujet artificiel, tel un
robot, que si elle enclenche des processus décisionnels
utiles à sa survie (par exemple ne pas tomber dans
un fossé dont il ne pourrait ressortir).
Il en
est de même de la conscience réfléchie
humaine. Si le mécanisme correspondant s'est inscrit
dans l'hérédité de l'espèce et
se trouve hautement valorisé par les individus, c'est
parce qu'il permet un recul dans la prise de décision
dont les animaux plus spontanés ne disposent pas. Ne
pas reconnaître ce rôle de la conscience en prétendant,
comme le font les béhavioristes, que ce mécanisme
est soit un mythe, soit un épiphénomène,
n'a pas de sens. D'ailleurs, chacun d'entre nous, aussi matérialiste
et déterministe-simpliste qu'il soit, s'y refuse spontanément.
Faut-il
pour autant ressortir la vieille querelle du dualisme et du
monisme, opposant l'esprit et la matière? Sans doute
pas, même lorsque ce dualisme reste strictement athée,
c'est-à-dire ne fait pas appel à un esprit extérieur
au monde matériel. Il suffit seulement de distinguer,
si la finesse de l'analyse l'exige, les parties du cerveau,
autrement dit les assemblées de neurones, qui interviennent
dans les décisions immédiates, sans consulter
l'image globale que le sujet se fait de ses valeurs ou de
lui-même et celles qui ne déclenchent de décisions
qu'après consultations d'un certain nombre de mémoires
internes ou d'informations externes s'étant révélées
utiles à la survie.
Questions
de méthodes
Si l'on
admet ce qui précède, que dire de la recherche
aujourd'hui conduite par un nombre croissant de biologistes
associés à des physiciens, relatifs à
l'existence de processus quantiques s'exerçant dans
le vivant, que ce soit dans le cerveau ou ailleurs? Plusieurs
questions sont généralement posées à
cet égard
- Faut-il utiliser le calcul quantique pour analyser et comprendre
des processus cérébraux? Doit on considérer
par exemple telle particule identifiée dans le neurone
(un ion CA circulant dans un canal ionique...), tel neurone
ou ensemble de neurones, voire le cerveau tout entier, comme
des entités quantiques justifiant d'être observées
comme telles, ou peut-on se limiter aux techniques d'analyses
utilisées pour comprendre le fonctionnement d'un ensemble
matériel, fut-il complexe, tel un ordinateur? Il semble
que les méthodes statistiques et probabilistes utilisées
dans la compréhension des systèmes complexes,
qu'ils soient matériels (réseaux de télécommunications)
ou numériques (Internet), devraient suffire. Si l'on
évoque dans certains cas des phénomènes
de superposition d'états ou d'indétermination,
ce sera seulement par un abus de langage. Ces termes cachent
notre méconnaissance fine du phénomène
biologique. Utiliser à leur sujet l'équation
de Heisenberg paraîtrait inapproprié. Celle-ci
s'applique à des entités qui sont en elles-mêmes
indescriptibles par le langage courant, quel que soit le soin
que l'on mette à tenter de les préciser.
- Une
question plus profonde, qui semble dans l'ensemble inspirer
le travail de Henry Stapp présenté ici, comme
elle inspire d'autres recherches évoquées plus
haut, consiste à se demander si dans certains cas la
cellule vivante ne se comporte pas comme une sorte d'ordinateur
quantique. En d'autres termes, dans certaines conditions,
des éléments d'origine biologique, tels les
ions précités, ou des atomes entiers, pourraient
être émis en état de superposition d'état
par la cellule vivante, puis conservés à l'abri
de la décohérence par l'environnement biologique,
le temps nécessaire (quelques centièmes de seconde
sans doute) pour qu'ils puissent accomplir des opérations
quasi simultanées impossibles sur un mode séquentiel
traditionnel.
Il pourrait s'agir, pour simplifier, de « consulter »
un certain nombre de sites cellulaires avant de se matérialiser
par décohérence dans celui où l'insertion
de la particule considérée représenterait
le plus d'avantages pour la survie du sujet. Dans ce cas,
on pourrait admettre que certaines parties du cerveau ou du
corps se seraient spécialisés pour jouer le
rôle de l'observateur et de sa conscience dans la physique
quantique: provoquer à un moment adéquat la
réduction de la fonction d'onde de l'entité
momentanément quantique mise en circulation par l'organisme.
On répondra aux hypothèses de ce type qu'elles
sont tout à fait vraisemblables. Les mécanismes
décrits doivent même probablement avoir été
et demeurer bien plus nombreux qu'il n'est envisagé
aujourd'hui. La principale difficulté à résoudre
ne serait pas théorique, mais expérimentale.
Resterait cependant à comprendre par quels mécanismes
des éléments biologiques pourraient émettre
l'équivalent de q.bits. S'agirait-il d'une survivance
du passé ou d'une propriété toujours
actuelle? Est-elle répandue ou exceptionnelle?.Si elle
est répandue, pourquoi ne l'a-t-on pas observée
plus souvent? Pour
mettre tout ceci en évidence, des instruments bien
plus fins et précis que ceux aujourd'hui à la
disposition des chercheurs s'imposent. Nous pensons pour notre
part qu'il existe un grand avenir pour de telles recherches.
Elles pourraient répondre à des questions aujourd'hui
apparemment insolubles, notamment en ce qui concerne le fonctionnement
du cerveau en relation avec le corps et avec le monde extérieur.
Ajoutons
que rien en principe n'empêcherait les concepteurs de
robots évolutionnaires dotés de conscience artificielle
d'imaginer des dispositifs faisant appel à des calculs
quantiques qui soient implémentables dans de tels robots.
C'est en fait pratiquement ce que font à petite échelle
les chercheurs en calcul quantique. La difficulté rencontrée
est de maintenir en état de cohérence, le temps
suffisant, un nombre suffisants de bits quantiques ou qbits.
- Demeure une troisième perspective, qui pour le moment
relève encore un peu de la science fiction. Il est
admis en général que des particules échappant
aux contraintes étroites de notre espace-temps circulent
dans le cosmos: particules connues tels les rayons cosmiques
ou d'autres mal connues ou hypothétiques, les neutrinos,
les Wimps... Pourrait-on imaginer que certaines de celles-ci
interagissent, d'une façon susceptible de produire
des effets biologiques inconnus, avec les atomes et molécules
des organismes vivants, notamment dans le cas où ceux-ci
se trouvant en état de superposition quantique pourraient
être sensibles à des interactions encore ignorées,
mais susceptibles d'entraîner des effets bénéfiques
pour l'adaptation et la survie des organismes. Poser la question,
on le devine sans peine, n'est pas la résoudre.
Notes
1) Cf notre article: Avancées récentes
en biologie quantique http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2011/122/bioquantique.htm
2) L'effet Zénon quantique. Wikipedia
Voir wikipedia http://en.wikipedia.org/wiki/Quantum_Zeno_effect
3) Mac Fadden, Interview http://www.automatesintelligents.com/interviews/2002/mai/mcfadden.html
4)Sur Henry Stapp, voir Wikipedia http://en.wikipedia.org/wiki/Henry_Stapp.
5)
Sur Gazzaniga Voir http://www.automatesintelligents.com/biblionet/2008/sept/human.html
6)
Sur Daniel Dennett, voir http://www.automatesintelligents.com/biblionet/2000/nov/D_Dennett.html
7) Il s'agit cependant d'un ouvrage que nous
n'encouragerions pas un lecteur même cultivé
à aborder sans préparations. C'est dommage car
il résume manifestement le travail de toute une vie
de réflexion. D'une part, outre que le livre est écrit
dans un anglais technique difficile à traduire, il
est, sous une apparence de simplicité, inutilement
abstrait. L'auteur ne fournit jamais les exemples simples
qui permettraient d'illustrer son propos. C'est au lecteur
d'essayer de les imaginer, au risque de se tromper. D'autre
part, l'ouvrage est mal composé, constitué d'une
suite de chapitres ou même d''articles qui dispersent
en permanence la nécessaire attention que le lecteur
doit apporter à un fil conducteur déjà
difficile à suivre.