Sciences,
technologies et politique. Pourquoi
il ne faut pas supprimer la force nucléaire stratégique
française.
Jean-Paul
Baquiast 23/06/2012

Le
Suffren, premier sous-marin nucléaire dattaque
(SNA) de la nouvelle classe Barracuda, effectuera sa
première sortie à la mer au printemps
2016 pour une livraison à la marine en 2017.
Cette perspective de suppression peut venir à
l'esprit tout naturellement, y compris chez les militaires,
quand on examine les budgets de la défense française,
et les probables réductions de dépense
qui vont l'affecter. Selon des chiffres publiés
par Le Monde le 23 juin, le budget militaire est de
31 mds d'euros, répartis entre fonctionnement
et investissements.
Parmi
ces derniers, on inclut généralement la
suite des programmes d'équipement en avions de
combat (Rafales) hélicoptères et navires
militaires. L'expérience montre que ceux-ci sont
essentiels à la défense. Dans beaucoup
de cas ils permettent aussi des interventions civiles
ou humanitaires. De plus, ils représentent des
références pour nos industriels que ceux-ci
semblent en voie d'exploiter de mieux en mieux dans
le cadre de programmes conjoints, notamment avec les
pays du BRICS. Ils devraient donc être sanctuarisés.
Leurs retombées pour la science et la technologie
sont très importantes.
Les
budgets de fonctionnement sont moins visibles. Là
aussi, ils comportent des programmes purement dépensiers,
comme ceux actuellement liés à la guerre
en Afghanistan, et des actions de remplacement ou de
modernisation du matériel militaire. Les hommes
et le matériel vont de pair. Il ne servirait
à rien d'entretenir des effectifs paralysés
par le manque de moyens matériels, non plus que
se doter de matériels sans personnels bien entraînés
pour les utiliser.
Il
est probable que malgré la difficulté
de réduire encore des budgets de fonctionnement
déjà fortement diminués depuis
quelques années, et malgré les résistances
des différentes armes, le présent gouvernement
devra étudier et négocier des réductions.
On aurait pu espérer que dans le cadre d'un effort
pour construire une défense européenne
commune, ces réductions auraient été
compensées par une mutualisation intra-européenne
plus grande. Il n'en est rien encore pour le moment,
sauf sur des détails (par exemple la lutte contre
le piratage à la corne de l'Afrique).
Nous
pensons pour notre part que la France, dans le cadre
de ces économies forcées, devrait clairement
annoncer à l'Otan qu'elle n'augmentera pas des
participations qui ne contribuent pratiquement pas à
sa défense mais qui servent principalement les
intérêts américains. Il en serait
ainsi de campagnes menées sous l'égide
de l'Otan au Moyen-Orient. Ne citons pas ici de théâtres
possibles mais chacun peut en avoir une idée.
De même il serait totalement impensable que la
France accepte de se faire taxer pour la mise en place
du BMDE que Washington continue à vouloir imposer
aux Européens. Sur ces points malheureusement,
François Hollande a laissé planer un doute
lors de sa participation aux dernières réunions
de l'Otan. Le coût en atteindrait plusieurs milliards,
dès les premières années. Ceci
pour un résultat stratégique nul: le système
ne marchera jamais.
A
quoi sert la force de dissuasion?
Restent
alors les quelques 3,5 milliards que coute à
la France l'entretien et le renouvellement de sa force
nucléaire: missiles et sous-marins notamment.
Ces capacités, rappelons le, ont été
développées puis maintenues par la France
seule, dans un environnement industriel anglo-saxon
franchement hostile. Ils donnent aux arsenaux publics
et aux industriels associés, comme aux effectifs
d'ingénieurs et de militaires qui y sont affectés,
une expérience et un savoir-faire que, selon
l'expression, beaucoup de pays européens, sans
l'avouer, nous envient. Y renoncer aboutirait à
faire, comme le Royaume-Uni, confiance aux Américains
pour fournir des moyens de remplacement. Ce serait encourager
encore des fuites de matière grise et de savoir
faire qui ne se produisent que trop au profit des Etats-Unis.
Ce serait aussi montrer aux pays du BRICS, qui sont
tous dotés, ou en train de se doter, avec leurs
propres ressources, d'armes nucléaires, que la
France tourne résolument le dos à une
tradition gaullienne de souveraineté qui en avait
fait un modèle auprès du reste du monde.
Ceci
dit, des personnes au jugement fatigué, comme
Michel Rocard ou même Paul Quilès (rendons
justice à celui-ci. Il ne s'emmêle pas
les pieds dans les milliards comme l'a fait Michel Rocard)
expliquent qu'en termes de dissuasion, la force de frappe
ne sert à rien. Mais pourquoi dans ce cas, Israël,
menacé de toutes parts, y compris par des Etats
nucléaires, continue-t-il à développer
une force de frappe? Parce qu'elle représente
précisément une dissuasion très
solide. A moins d'être dirigés par des
déments, les pays arabes entourant Israël,
à supposer qu'ils se dotent de quelques bombes,
dont les dégâts seront nécessairement
limités, y compris dans un petit pays comme Israël,
ne courront pas le risque de les utiliser et d'être
anéantis en retour.
Le
même raisonnement doit être appliqué
par un pays moyen comme la France. Ses bombes ne visent
plus à dissuader de grands pays tels que la Russie,
comme au temps de la guerre froide, mais tous ceux que,
prolifération aidant, pourraient acquérir
quelques armes nucléaires et seraient tentés
de s'en servir. Si la France n'avait plus de force nucléaire,
elle serait obligée de céder à
n'importe quel chantage. Ce ne sera jamais le cas si
elle conserve ses moyens actuels. Il semble que le président
Hollande ait bien perçu cette dimension incontournable
de la défense.
Les
seuls économies envisageables en ce qui concerne
la force de frappe française serait de la mettre
sous conditions au service de la défense européenne.
Nos partenaires, y compris la riche Allemagne, semblent
dédaigner cette perspective. Mais il viendra
peut-être un temps, les convoitises suscitées
par la richesse allemande prenant un caractère
menaçant, où l'Allemagne sera heureuse
de se tourner vers la France pour la protéger.
Le monde de demain sera loin d'être un monde tranquille.
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