Article.
La censure épigénétique
par Bernard Dugué 14/07.2012
Cet article a été précédemment
publié par l'auteur sur son blog http://bdugue.typepad.com/a/2012/07/la-censure-%C3%A9pig%C3%A9n%C3%A9tique.html

c. elegans
La
longue série des découvertes épigénétiques
ne cesse de sallonger. On finit par se demander
si un biologiste parviendra à rendre clair le
fonctionnement des gènes et leur expression,
tant les données se multiplient, offrant peu
de prise à une compréhension densemble.
Les recherches montrent que lexpression des gènes
est essentielle mais que tout aussi importants sont
les mécanismes rendant silencieux de nombreux
gènes. On sait que le génome est une structure
complexe qui est loin dêtre figée
et dont linstabilité participe à
différents processus, notamment ladaptation
et lévolution. Des séquences dADN
peuvent être incorporées dans des zones
déterminantes du génome au risque de le
perturber si bien que des mécanismes de protection
sont développées. Le « système
génétique » reconnaît alors,
à linstar du système immunitaire,
un soi (épi)génétique et un non-soi.
Il peut se défendre contre une invasion dinformations
portée par les transgènes, quils
soient dorigine virale ou provenant de transposons,
ces fragments dADN qui « samusent
» à sauter dun endroit à un
autre en modifiant le génome.
Certains
types dARN jouent des rôles décisifs
comme par exemple les ARN interférant dont laction
consiste à rendre silencieux une série
de gènes qui ne sont pas « autorisés
» à sexprimer dans la cellule. Progressivement,
les biologistes dévoilent des mécanismes
et parviennent à trouver quel est le rôle
joué par ces innombrables fragments dacide
ribonucléique dont la fonction ne se limite pas
à coder des protéines. La découverte
de ces ARNi a valu le Nobel à Craig Mello dont
léquipe vient de publier dans la revue
Cells deux articles importants concernant le contrôle
de linformation ribonucléique dans les
cellules germinales du nématode C. Elegans,
un des modèles animaux les plus étudiés.(Voir
références ci-dessous) Le noyau cellulaire
contient des dispositifs permettant des « séquences
étrangères ». Ces voies de contrôles
étaient soupçonnées depuis longtemps
mais restaient mystérieuses selon les dires de
Mello qui dans son article annonce la découverte
dune de ces voies qui met en uvre des protéines
centrales bien connue des épigénéticiens,
les argonautes, molécules capables de se complexer
avec les ARNi.
Daprès les conclusions des chercheurs,
les données recueillies sont en faveur dun
modèle mnésique où les séquences
intrusives ne sont pas détectées par leur
signature moléculaire mais par un système
de reconnaissance basé sur la comparaison entre
ces séquences et la mémoire des gènes
précédemment exprimés par la cellule.
(M Shirayama et all. Cell, 150, juillet 2012). Ainsi,
le noyau produit une mémoire épigénétique
où sélabore un répertoire
dARN du moi permettant de constituer un autre
répertoire, celui des ARN du non moi. En résumé,
ce qui sexprime cest le moi épigénétique
cellulaire quon peut comprendre comme la synthèse
expressive du génome dans une cellule.
Les
mécanismes rendant silencieux les gènes
illégitimes sont extrêmement complexes.
Un modèle est proposé par les auteurs
de cette étude. Il implique trois protéines
argonautes. Dabord PRG-1 qui scanne les transcripts
pour établir la mémoire du moi épigénétique.
Puis WAGO-1 et WAGO-9 dont le rôle est opposé
puisquil établit la mémoire du non-moi
épigénétique. La décision
dexprimer ou de rendre silencieux un transgène
dépend alors du résultat final de cet
antagonisme entre les deux voies, lune qui rend
silencieuse et lautre qui rend licite linformation
génétique. Cette mémoire épigénétique
incite alors, comme le pensent les auteurs, à
envisager un mode de transmission de linformation
nucléique entre générations. Il
est aussi envisageable que ces processus de scannage
génétique soient présent chez les
mammifères car les ARNi sont largement présents
et se prêtent ainsi à une série
dinvestigations scientifiques pour élucider
leur fonction précise.
Une
seconde étude menée par Mello et ses collaborateurs
confirme lexistence de ces mécanismes permettant
aux cellules germinales de scanner les gènes
exprimés et de ce fait, dobtenir une mémoire
génétique et de constituer un répertoire
dARN censés représenter le moi épigénétique
(H.-C. Lee et al. Cell, 150, juillet 2012). Ces mécanismes
sont dune complexité extrême, exerçant
une surveillance stricte de lexpression génétique.
Cest toujours cette énigmatique protéine
argonaute du type Piwi, la PRG-1, qui assure cette fonction
et qui, comme lindique cette étude, intervient
en initiant les mécanismes rendant silencieux
les transgènes tout en étant incapable
de maintenir cette fonction qui fait appel à
dautres dispositifs.
Cette protéine argonaute fonctionne avec un répertoire
dARNpi de la classe des 22-G. Son champ daction
est très étendu puisquelle permet
de rendre silencieux un bon millier de gènes.
Ce quil faut retenir, cest la présence
dun système de surveillance de lexpression
génétique, autrement dit, un processus
de censure très sophistiqué reposant sur
ces protéines argonautes et qui a été
découvert il y a dix ans chez Tetrahymena,
protozoaire cilié proche de la paramécie
et servant de modèle pour létude
des régulations épigénétiques.
La particularité de cet organisme réside
dans le dimorphisme nucléaire, avec un micronoyau
contenant cinq paires de chromosomes impliqués
dans la transmission dun patrimoine génomique
aux cellules filles et un macronoyau désigné
aussi comme noyau somatique et responsable de lexpression
des gènes assurant le métabolisme et la
multiplication végétative. Le macronoyau
est instable et se réarrange lors de la division
cellulaire alors que le dispositif des argonautes est
capable de scanner le contenu intégral de deux
noyaux.
Bien que chez les métazoaires on nobserve
pas ces réarrangements massifs de linformation
génétique, les protéines argonautes
interviennent dans ces mécanismes de surveillance
informationnelle comme la montré cette
étude de Mello portant sur les cellules germinales
du nématode C. Elegans et dont le résultat
majeur est la mise en évidence des processus
permettant se sassurer que la censure épigénétique
sexerce sur des éléments transgéniques
alors que les éléments du moi épigénétique
sont protégés de cette censure et peuvent
sexprimer.
Autant
dire que ces travaux laissent perplexe, indiquant juste
quelques pistes pour comprendre lévolution
et la relation entre génotype et phénotype.
Le schéma qui se dessine peu à peu au
niveau de la dynamique moléculaire confirme une
dualité entre des processus de « jeu informationnel
» avec des séquences génétiques
mobiles, des réorganisations et des processus
de stabilisation qui provenant du vivant lui-même
et des mécanismes épigénétiques
présents dans le noyau. Ces observations appuient
la thèse dune dérive génétique
neutre et dailleurs, cest ce que confirment
les premières études comparatives sur
les épigénomes despèces différentes.
Quant à la logique du vivant, il se confirme
que la vie cellulaire, comme la vie des espèces,
dépend largement de processus cognitifs et quau
niveau du noyau, on décèle peu à
peu cette tendance double, avec une instabilité
génétique fondamentale et une série
de dispositifs censés contrebalancer cette instabilité
et sans doute en jouer. Cette thèse accrédite
la proposition précédemment énoncée
dun rôle non pas diversifiant mais stabilisant
de la reproduction sexuée (Gorelick et Heng)
Ces
recherches épigénétiques donnent
peu à peu une autre image de la machinerie cellulaire
et du vivant. On pressent quelque changement de paradigme
tout en étant plongé dans une expectative
car il semble que le schéma soit encore incomplet
et insuffisant pour livrer une compréhension
consistante du fonctionnement des systèmes vivants.
Références
Heng-Chi Lee, Weifeng Gu, Masaki Shirayama, Elaine
Youngman, Darryl Conte, Craig C. Mello
C.
elegans piRNAs Mediate the Genome-wide Surveillance
of Germline transcripts 06/07/2012
http://www.cell.com/abstract/S0092-8674%2812%2900765-9
piRNAs Initiate an Epigenetic Memory of Nonself RNA
in the C. elegans Germline 06/07/2012
http://www.cell.com/abstract/S0092-8674%2812%2900764-7
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