La course apparemment irréversible
à l'effondrement de la biosphère
Jean-Paul Baquiast 29/06/2012

Dans un article
que nous avons publié par ailleurs dans ce numéro,
s'intéressant aux questions méthodologiques
concernant les sciences de la prévision, nous avions
signalé qu'une équipe pluridisciplinaire internationale
suggèrait que les écosystèmes de la planète
seraient engagés dans une course irréversible
à l'effondrement. Celui-ci signerait nécessairement
la fin des civilisations humaines telles que nous les connaissons
(Voir en référence ci-dessous: Nature: Approaching
a state-shift in Earths biosphere).
Ce n'est pas le premier des diagnostics inquiétants
concernant l'avenir de la biosphère que nous
présentons sur notre site, tous émanant
de scientifiques confirmés...si bien d'ailleurs
que certains lecteurs nous reprochent une propension
au catastrophisme. Néanmoins l'originalité
des méthodes employées par cette équipe
comme la diversité des sources utilisées
conduisent à prendre très au sérieux
ce nouvel avertissement. On peut regretter que les auteurs,
qui veulent semble-t-il donner une grande portée
à leur travaux, n'aient pas jugé bon (à
notre connaissance) de publier aussi ceux-ci sur un
support en accès libre.
Ces auteurs font valoir la convergence actuelle de plusieurs
phénomènes: accélération
de la perte de la bioversité, fréquence
accrue des épisodes climatiques extrêmes,
modifications rapides des flux de production et de dépense
d'énergie, avec un apport brutal d'énergie.
Ceci pourrait conduire au franchissement d'un seuil
irréversible dans le changement global d'état
de la planète. Il ne se ferait pas progressivement
mais brutalement.
Les moteurs d'une possible transition critique à
l'échelle planétaire (crédit: Anthony
D. Barnosky et al./Nature)
Le dernier changement brutal s'était produit
il y a environ 12.000 ans, avec le passage de l'ère
glaciaire, qui avait duré 100.000 ans, à
l'actuelle age interglaciaire, caractérisé
par des conditions stables. Mais le véritable
changement survenu durant cette période ne date
que d'environ 1.000 ans. C'est lui qui s'est traduit
par des modifications biologiques radicales.
Si l'actuel apport massif d'énergie, se produisant
en quelques générations humaines, faisait
franchir un nouveau seuil, le changement pourrait se
produire extrêmement vite. Et ceci sans retour
en arrière possible, même si l'on s'efforce
de diminuer les entrées d'énergie. De
plus, bien qu'il soit difficile de prévoir exactement
en quoi consistera le nouvel état d'équilibre,
tout laisse penser qu'il ne sera pas favorable à
la survie des civilisations humaines actuelles. L'évènement
se produira, répétons-le, non pas en quelques
siècles mais en quelques années, ce qui
rendra impossible toute adaptation concertée.
Les scientifiques ayant réalisé cette
étude avouent ne pas voir quelles structures
sociales et politiques seraient capables de ralentir,
à supposer qu'il en soit encore temps, cette
marche à la catastrophe. Tous les mécanismes
existant fonctionnent dans le sens d'une destruction
accélérée de ce qui reste de l'ancien
équilibre. La plupart se disent « terrifiés ».
Peut-on penser que de tels avertissements pourraient
freiner les mécanismes globaux actuels poussant
à consommer et à détruire. On ne
perçoit pas comment ceci pourrait se produire,
compte-tenu du caractère incontrôlable
de ces mécanismes, au regard des moyens à
la portée des civilisations humaines que les
auteurs de ces avertissements voudraient sauver de la
destruction. La natalité globale ne diminuera
pas ou marginalement, la pression des populations sur
les ressources et les habitats croitra exponentiellement,
les dommages aux écosystèmes et même
aux systèmes physiques s'accéléreront.
Recommandations
Néanmoins les auteurs recommandent aux gouvernements
d'entreprendre quatre actions immédiates:
- diminuer radicalement et complètement la pression
démographique (comment? ),
- concentrer les populations sur les zones enregistrant
déjà de fortes densités afin de
laisser les autres territoires tenter de retrouver des
équilibres naturels,
- ajuster les niveaux de vie des plus riches sur ceux
des plus pauvres (au moins en ce qui concernera les
consommations matérielles),
- développer de nouvelles technologie permettant
de produire et de distribuer de nouvelles ressources
alimentaires sans consommer davantage de territoires
et d'espèces sauvages. Mais les technologies
dans ce domaine sont vite limitées par leurs
coûts, leurs délais de mise en oeuvre et
la rareté des matières premières
qu'elles utiliseron.
Aussi le lecteur de cette étude ne peut se dissimuler
qu'il s'agit là de vux pieux. En dehors
des catastrophes globales qui se produiront si rien
n'est fait, aucune force politique ne pourra imposer
de telles mesures à l'échelle du globe.
Ces catastrophes elles-mêmes n'auront les effets
préconisés par l'étude que si les
civilisations actuelles sont effectivement détruites.
La planète sera alors engagée dans de
nouveaux états, stables ou non, aujourd'hui imprévisibles.
Nous
nous donnerons pas la peine de recenser les arguments
qui ne manqueront pas d'être opposés à
de telles hypothèses, allant jusqu'à faire
suspecter l'indépendance des auteurs de l'étude.
Disons seulement que, saut imprévu, aucun de
tels arguments ne saura nous convaincre. Nous sommes
pour notre part confirmés dans notre propre hypothèses
selon laquelle l'évolution en cours est déterminée
globalement par des compétitions entre systèmes
anthropotechniques échappant au volontarisme.
des "systèmes cognitifs" limités
que nous sommes.
Références
Ref.: Anthony
D. Barnosky et al., Approaching a state shift in
Earths biosphere, Nature, 2012, DOI: http://www.nature.com/nature/journal/v486/n7401/full/nature11018.html
Voir aussi
Study predicts imminent irreversible planetary collapse
http://www.sfu.ca/pamr/media-releases/2012/study-predicts-imminent-irreversible-planetary-collapse.html
ainsi que les commentaires joints, qui sont dans
l'ensemble d'une grande pertinence