Article.
L'internationale des gangsters à col blanc
Jean-Paul
Baquiast 28/07/2012
L'ONG Tax Justice Network a confié une étude
sur les paradis fiscaux à un expert du domaine,
James Henry, ancien chef économiste chez Mac
Kinsey. Le contenu du rapport de ce dernier est progressivement
remis à la presse. Il commence à susciter
certains échos timides.
Il
n'y a pas de raisons sérieuses pour contester
les éléments connus à ce jour du
document, lesquels recoupent beaucoup d'informations
obtenues par ailleurs de façon plus dispersée.
Le journal britannique The Guardian vient d'en publier
les premières conclusions. Il compare a juste
titre les chiffres des sommes dissimulées à
ceux des dettes publiques européennes , mises
à la charge des contribuables européens
dans le cadre du processus de rétablissement
des équilibres budgétaires. Les sommes
« évaporées » suffiraient
à couvrir tous les déficits actuels. Or
James Henry estime à seulement 10.000 dans le
monde le nombre des super-riches bénéficiant
de ces dissimulations.
Selon
le rapport, les 10 principales banques privées,
dont UBS et Le Crédit Suisse pour la Confédération
Helvétique, Goldman Sachs pour les Etats-Unis,
ont contribué à dissimuler dans les pays
qui garantissent le secret bancaire, Suisse et Iles
Caïmans en premier lieu, une somme de 21 trillions
de dollars (peut-être 25 ou 30). Il s'agit d'un
montant égal au produit intérieur brut
des Etats-Unis et du Japon réunis, les deux plus
puissantes économies du monde. Un réseau
efficace de banques privées, comptables, fonds
d'investissement profite désormais de la levée
des barrières douanières et réglementaires
pour offrir aux privilégiés de ce monde
les moyens d'échapper aux taxes et contrôles
des Etats nationaux. Loin d'être « finis
», comme l'avait affirmé Nicolas Sarkozy
avec une rare impudence de la part d'un chef d'Etat,
les paradis fiscaux ont vu les sommes abritées
par eux multipliées par 4 ces cinq dernières
années.
Selon
la Banque des Règlements Internationaux et le
FMI, les sommes ayant échappé aux pays
en développement seraient suffisantes pour payer
les dettes que ces derniers ont contracté à
l'égard du reste du monde. Les élites
mondialisées de ces pays ont organisé
ces fuites, avec la complicité des banques, au
lieu de réinvestir leurs bénéfices
dans leurs frontières d'origine.
L'étude,
qui ne prend pas en compte des actifs non financiers
comme les biens immobiliers ou l'or, estime à
280 milliards de dollars le seul manque à gagner
pour les Etats, en terme de revenus fiscaux. On doit
ajouter, comme nous l'avions indiqué dans un
précédent article, que les sommes ainsi
détournées relèvent de processus
dits d'évasions fiscales, sans être véritablement
d'origine criminelles. Mais dans le même temps,
les principales banques mondiales et leurs filiales
dans les paradis fiscaux organisent l'accueil et le
blanchiment des revenus des organisations mafieuses.
L'enquête actuellement menées aux Etats-Unis
concernant la banque britannique SHBC laisse deviner
l'ampleur, sans comparaison avec celles de la dissimulation
fiscale , des sommes d'origine criminelle transitant
par cette banque, comme par ses homologues dans le monde.
Certains
s'étonnent que les gouvernements, qui n'ignorent
rien de la réalité de ces comportements,
continuent à ne pas lutter contre eux, autrement
que par des mesures cosmétiques. Dans le même
temps, au risque de pousser les populations à
la révolte, comme en Grèce et bientôt
en Espagne, ils continuent à réduire les
dépenses publiques et sociales les plus nécessaires,
et à relever les impôts. La France désormais
socialiste s'est engagée dans un processus de
ce type, sous la pression de ses voisins. Il est vrai
que seule elle ne pourrait pas faire grand chose.
Il
serait cependant possible, au niveau de l'Union, que
les gouvernements européens bloquent les failles
réglementaires permettant aux multinationales
et aux spéculateurs d'échapper à
leurs charges. Il faudrait aussi intensifier les contrôles
et les répressions au lieu de réduire
les effectifs des services fiscaux et des tribunaux.
Menées au niveau européen, ces politiques
devraient être défendues dans le cadre
de la coopération internationale auprès
de pays comme les Etats-Unis qui prétendent souffrir
des mêmes maux. Elles avaient certes été
mentionnées au niveau du G20, qui avait prétendu
lutter contrer les paradis fiscaux. Mais il ne faut
pas se faire d'illusion. Aucun gouvernement ne prendra
de mesures susceptibles de gêner en quoi que ce
soit les intérêts de ses ressortissants
les plus puissants.
Ils
n'ont plus peur de rien
Tout
laisse penser au contraire que les connivences depuis
longtemps dénoncées par de rares économistes
entre les intérêts financiers, les gouvernements
et administrations publiques, les médias et l'internationale
des super-riches se poursuivront indéfiniment.
La crainte que tous ces gens pourraient éprouver
face à d'éventuelles révoltes démocratiques
ne résiste pas à l'analyse objective qu'ils
font de leur situation. Comment les 90% des populations
qui voient constamment maintenant leurs niveaux de vie
se dégrader trouveraient-ils le courage et les
ressources pour se révolter...d'autant plus que
partout, y compris dans les « démocraties
», se renforcent les moyens de coercition.
Le
politologue libéral américain Paul Craig
Robert voit juste quand il estime que la chute de l'URSS
à la fin du 20e siècle fut l'évènement
majeur ayant autorisé le gouvernement américain
et ses alliés à perdre toute prudence
dans l'exploitation des populations. Le pouvoir soviétique
n'avait plus guère de ressources, mais il pouvait
encore, tant qu'il existait, polariser un minimum d'opposition
au sein des pays capitalistes, et susciter de ce fait
une certaine peur salutaire. A sa disparition, dit Paul
Craig Roberts, les oligarchies occidentales ont considéré
qu'elles avaient la voie libre pour mettre en coupe
réglée les économies et les populations.
On ne voit pas très bien ce qui pourrait aujourd'hui
leur imposer plus de retenue.
Sources
* Tax Justice Network
http://www.taxjustice.net/cms/front_content.php?idcat=148
* The Guardian. Les élites mondiales ont dissimulé
avec la complicité des banques 21.000 milliards
de dollars dans les paradis fiscaux http://www.guardian.co.uk/business/2012/jul/21/global-elite-tax-offshore-economy
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